Comment peut-elle casser la spéculation tout en ne précipitant pas plus l’arrivée de la récession ?
Le facteur temps ne fait pas partie des recherches, études et découvertes des économistes.
C’est trop abstrait pour eux, alors que c’est tout à fait concret. La question des durées de transmission, des effets de diffusion, et des effets de mémoire est centrale dans la gestion des autorités.
Les autorités ont pris le contrôle du facteur temps lorsqu’elles ont décrété avec l’aide des groupes « too big to fail » que le long terme n’existait pas, qu’il n’était qu’une succession de courts termes qui s‘enchaînaient. Cela leur a donné le contrôle des taux longs, alors que, techniquement, elles ne contrôlent que les taux courts.
Le piège des délais
Ce fut un trait de génie ! Tout comme celui qui a consisté à populariser l’idée que si les taux des bons du Trésor sont bas, les actions doivent être chères ! La fameuse « équation de la Fed ».
Tout se joue sur des différentiels de vitesse et de calendrier.
Je soutiens qu’une grande partie de l’habileté de la Fed et de ses bras séculiers vient de son intégration du facteur temps, du calendrier, et du timing.
La Fed jusqu’à présent a réussi à être maîtresse des horloges.
Cela signifie que, là où la pensée voit juste, mais sans tenir compte du calendrier, les gouverneurs, eux, voient en fonction du calendrier.
Et ce faisant, ils prennent souvent les marchés à leurs pièges. Cela leur donne un avantage sur eux pour les manipuler. Par exemple, la Fed se sert des shorts et des aspects techniques pour piloter la tendance selon ses besoins. Les shorts sont un allié dans les manipulations… mais, quelquefois, ils échappent au contrôle. Le ressort bandé des shorts se décompresse alors à des moments inopportuns.
La question de la hausse des taux est dans son fondement une question de temps, de course entre différents paramètres, puisque l’on sait qu’elle ne pourra qu’être temporaire et qu’il faudra les baisser plus tard pour sortir de la récession. Il faut les monter le plus vite et le plus haut possible afin d’avoir des cartouches pour la future récession.
On le voit clairement si on revient aux sources, à la déclaration de la Fed que l’inflation était temporaire, transitoire. C’est une déclaration sur le temps et cela pointe vers une stratégie.
Aller vite ou lentement ?
Cette stratégie s’est trouvée compromise par le facteur temps : tout en étant en grande partie temporaire, l’inflation extrême a duré plus longtemps que prévu et la Fed a été obligée de changer de tactique.
Au lieu d’être lente, elle a accéléré, elle a comprimé le cycle de hausse des taux.
L’idée sous-jacente était qu’en allant vite, on casserait la spéculation, on casserait les anticipations, on modifierait suffisamment les perceptions pour que celles-ci cèdent plus vite que l’économie réelle. Il fallait casser la psychologie très vite afin de ne pas avoir à casser l’économie.
Vous voyez que c’est une gestion du facteur temps.
Désormais, la Fed est en difficulté parce que les marchés, la spéculation, les esprits animaux vont trop vite. Ils capitalisent déjà par avance à la fois le pivot et la future baisse des taux.
Cela se télescope avec la tactique de la Fed, dans la mesure où cela desserre les contraintes financières ; cela assouplit les conditions financières qu’elle veut encore maintenir serrées.
Cette semaine, Powell va devoir réagir. Il ne peut laisser la spéculation casser sa stratégie. Il ne peut pas non plus être trop faucon car, maintenant, la récession est aux portes de l’économie américaine, cela ne fait plus aucun doute.
Comment casser la spéculation tout en ne précipitant pas plus l’arrivée de la récession?
Il va falloir une habileté incroyable – au plan rhétorique j’entends – pour s’en sortir.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]