La Chronique Agora

Carambolage financier

** Le terrible carambolage sur les autoroutes financières de la planète nous a tous choqués. Nous vérifions si nous pouvons bouger nos doigts. Nous regardons dans le rétroviseur si nous avons du sang sur le visage. Puis nous rampons hors de la voiture. Dieu merci, nous pouvons encore marcher ! Rien de cassé.

* Comment nous appelons-nous ? Combien avons-nous de doigts ?… Bien, rien au cerveau non plus.

* Mais… regardez notre véhicule ! La voiture est en pièces. Il ne reste qu’environ 100 000 milliards de dollars de richesse dans le monde. C’est du moins le chiffre que nous avons pu lire récemment. Nous avons également vu que la perte totale de richesse, suite à la crise financière mondiale, pourrait atteindre les 50 000 milliards de dollars. Telle était l’estimation de Rupert Murdoch. Et il n’est probablement pas loin du compte. Quasiment la moitié de la valeur boursière mondiale. 20% de la valeur immobilière. Des milliers de milliards de produits dérivés, SIV, CDO et IOU. Tout cela finit par faire une somme.

* Mais… quelle chance ! Nous sommes encore en un seul morceau. Et là, sur le côté de la route, il y a encore une station-essence… une pizzéria… un centre commercial. La majeure partie de la richesse perdue n’était que de la richesse imaginaire — une sorte de barbe à papa financière : mettez un peu d’eau, et elle se dissout… Mais la véritable richesse est encore là… plus ou moins.

* Alors réjouissez-vous. Ce n’est pas si terrible !

* Ceux qui craignaient "la fin du monde" peuvent respirer. Une crise financière ne signifie pas la disparition des actifs réels. Les maisons sont encore là où elles étaient avant que la crise ne commence. Les usines aussi sont là — avec leurs chaînes de montage et leurs machines. Toutes les moissonneuses-batteuses et les tracteurs sont encore prêts à l’usage, tout comme avant la crise.

** Alors quel est le problème ?

* Qui a dit qu’il y avait un problème ? Nous n’avons pas de problème… et vous, vous avez un problème ?

* C’est simplement que l’économie mondiale est en train de faire un examen majeur de sa vie. Elle a été secouée par l’accident. Pas uniquement physiquement ; émotionnellement aussi. Elle a vu la mort en face — c’est du moins ce qu’elle a expliqué à ses amis, un peu trop fréquemment, et avec un peu trop d’émotion, après le krach. Elle a donc décidé de prendre de longues vacances… après des années passées à travailler jour et nuit… achetant, vendant, investissant, spéculant, s’endettant, empruntant… ouf !… Elle est prête à faire une pause. Elle prend donc un peu de temps libre. Elle pense aux choses… elle les réévalue.

* "Qu’ai-je vraiment fait de ma vie ?" se demande-t-elle.

* "Est-ce vraiment la conduite à suivre ?" "Est-ce que cela me mène là où je veux aller ? Peut-être aurais-je dû faire du droit, comme le voulait ma mère".

* Avec toutes ces profondes réflexions, les revenus planétaires chutent à pic. Les entreprises ferment leurs portes. Les travailleurs travaillent beaucoup moins. Les machines ralentissent. Les capitalistes essaient juste de garder ce qu’ils ont — on ne parle même pas de gagner plus.

* Et regardez ce qui arrive à l’or — il a dépassé les 1 000 $ ! Le Dow est en route pour les 3 000… et il en va de même pour le métal jaune. Vous vous rappelez notre Transaction de la Décennie ? Oui, évidemment. Achetez de l’or durant les baisses… vendez les actions durant les rebonds. Jusqu’à présent, tout va bien… et il ne reste plus que 10 mois et demi.

* Petit à petit, une réalité sévère et peu confortable apparaît. C’est comme un homme d’âge moyen qui réalise soudain qu’il a gâché les meilleures années de sa vie…

* Les entreprises du monde sont organisées pour une économie qui n’existe plus !

* Des usines ont été construites… ainsi que toute une chaîne de production, de livraison et de ventes… pour fournir trop de choses à trop de gens qui ne peuvent pas les payer.

* A présent, dans ces instants d’introspection… où l’on marche le long de la plage, avec le dialogue des mouettes en fond sonore… on découvre autre chose : quasiment rien ne vaut autant qu’autrefois. Les reconnaissances de dettes provenant de personnes qui ne peuvent les rembourser, par exemple. Des maisons habitées par des gens qui n’ont pas d’emploi. Des actions d’entreprises vendant des choses à des gens ne pouvant se permettre de les acheter. La "richesse" que ces choses représentaient était en grande partie imaginaire. Et maintenant, cette richesse imaginaire disparaît — pouf !

* Cher lecteur, nous sommes dans une période de découverte… de "découverte des prix", comme l’appelaient les économistes. C’est une époque de prise de conscience. Et par moments… c’est terrifiant. Parce que tout à coup, nous réalisons que nous avons été des benêts. Nous avons trop payé… trop peu épargné…

* Nous avons mal dépensé notre temps… égaré notre fortune… nous n’avons rien compris à rien…

* … et à présent, une terrible vérité nous heurte comme un 33-tonnes… On nous est rentré dedans, en quelque sorte. Notre vie est un désastre… une opportunité gâchée… une impasse.

* Est-il trop tard pour recommencer ? Une nouvelle carrière… peut-être comme avocat spécialisé dans les dossiers de faillite. Et un nouvel amour dans notre vie — peut-être l’une de ces surfeuses venues de Californie…

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