La Chronique Agora

Le capitalisme en crise — mais pas pour les raisons qu’on croit

▪ Le Financial Times a commencé sa série d’articles sur « le capitalisme en crise » par un texte décousu qui tente de délimiter la question. Malheureusement, les journalistes du FT ne semblent pas comprendre ce qu’est le capitalisme, sans parler de ce qui ne va pas chez lui. Ils disent qu’ils « repensent le capitalisme »… sauf qu’ils ne semblent pas y avoir pensé une première fois.

« Au coeur du problème se trouve l’inégalité croissante des revenus », écrivent-ils.

Anatomiquement parlant, l’inégalité des revenus est à la surface… non au coeur. Elle ressemble plus à des verrues ou des furoncles apparus sur la peau du système, visibles de tous. Au grand jour. La question, c’est : qu’est-ce qui cause ces plaies ?

En 1965, les chefs d’entreprise américains touchaient 24 fois le salaire du travailleur moyen. Au cours des 25 années qui suivirent, ce ratio a été multiplié par 70. Il a ensuite explosé à la hausse, pour atteindre 299 en 2000 et 325 aujourd’hui. Les gens considèrent ces chiffres avec la même mine de dégoût consterné que celle qu’on réservait autrefois aux syphilitiques. C’est affreux, le signe extérieur d’un péché intérieur, pensent-ils.

Mais il ne s’agit de loin pas du coeur du capitalisme. Ni du foie. Ni des reins. Ni d’un quelconque autre organe vital. Les salaires des dirigeants ne sont pas un bienfait pour le capitalisme. Ce ne sont pas eux qui font tourner le système. Ils sont un coût. Un poids. Un boulet. Ils ne profitent qu’à un segment très spécial de la main-d’oeuvre — les gestionnaires. Ce sont les dirigeants… les initiés… les contrôleurs. Ils ressemblent plus à des intendants de plantation ou à des gardiens de prison qu’à des capitalistes, et leurs intérêts sont donc très différents de ceux des travailleurs ou des actionnaires. Ils mettent les premiers sous pression et dépouillent les seconds. Ils réduisent les coûts… fournissent les profits… et s’en servent une large part au passage.

Selon John Kay, qui écrit également dans le FT, une brèche s’est ouverte entre les capitalistes et les dirigeants dès les années 30. Les capitalistes possédaient encore le capital. Mais les dirigeants le contrôlaient.

« Les Titans modernes obtiennent leur autorité et leur influence de leur position dans la hiérarchie, non de la possession du capital », explique Kay. « Ils ont obtenu ces positions grâce à leurs compétences dans les domaines de la politiques et de l’organisation, comme les généraux et les évêques acquéraient leur position dans la hiérarchie militaire ou ecclésiastique ».

Ce sont des bureaucrates, en d’autres termes… de beaux parleurs… des lèche-bottes… non des entrepreneurs ou des capitalistes. Et au cours du temps, comme les majordomes, les régents et les régisseurs, ils utilisent leur contrôle des institutions pour leur propre bénéfice.

▪ La zombification commence par les insiders
Comment peuvent-ils s’en tirer ? C’est une partie du processus que nous appelons « zombification ». Les institutions tendent toutes à changer, au cours du temps ; elles passent de la concrétisation d’un dessein extérieur — comme fabriquer du pain ou faire la guerre — à la protection de leurs propres intérêts. Qu’il s’agisse d’un gouvernement ou d’une entreprise, les escrocs et les parasites conçoivent des moyens de les exploiter. Ces insiders, ces « initiés » pervertissent l’organisation et détournent sa puissance et son argent à leur propre avantage.

Le secrétaire de club, le président d’entreprise, le directeur d’association caritative, le dictateur et le sénateur… Tous cherchent des moyens d’agrandir leur propre pouvoir ou richesse. Les économies nationales sont sapées. Des secteurs entiers sont corrompus.

Nous pensions que cette idée était quelque peu originale. Nous pensions avoir trouvé quelque chose de nouveau. Mais une fois encore, Mancur Olson, professeur d’économie institutionnelle à l’université du Maryland, avait une bonne longueur d’avance sur nous. Il décrivait le processus tel qu’il s’applique au gouvernement dans son livre de 1982, The Decline of Nations [« Le déclin des nations », NDLR.]. Son point de vue sur la question est un peu plus étroit et responsable que le nôtre.

Il décrivait la manière dont les lobbyistes et les groupes d’intérêts ont corrompu le gouvernement et l’économie. Les entreprises — protégées, subventionnées, lourdement réglementées — sont devenues inefficaces. La production réelle par unité d’investissement a baissé. Le pays a décliné.

Nous avons déjà vu comment, aux Etats-Unis, la santé, l’éducation et la défense ont été largement zombifiées. Des sommes gigantesques ont été « investies » dans ces secteurs lors des quatre dernières décennies. En dépit de tout cet argent, les gens ne sont statistiquement pas en meilleure santé… ni mieux éduqués. Quant à la défense, les lobbies militaires affirment que les Etats-Unis sont plus en sécurité. Mais jamais on n’a trouvé autant d’étrangers ayant une dent contre les Etats-Unis.

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