La Chronique Agora

California Dreamin'

** Françoise Garteiser est retournée pendant quelques temps dans son Alsace natale. En son absence, nous vous proposons cette semaine un essai de Bill Bonner extrait du magazine MoneyWeek.

** Un voile d’insolvabilité flotte sur Los Angeles comme la fumée d’un feu de broussailles. L’incendie est un tel danger, en Californie, que des inspecteurs parcourent les collines entourant la ville à la recherche de bois mort. Les résidents sont mis à l’amende s’ils en trouvent sur leur terrain… mais aucune pénalité de ce genre n’attend ceux dont le petit bois financier pose un risque.

Nous sommes venu en Californie pour y voir l’avenir. Les Etats-Unis mènent peut-être le monde, mais la Californie mène les Etats-Unis. C’est un véritable bouillon d’invention… en perpétuelle innovation… en perpétuelle évolution… à un rythme si rapide que le reste du monde attrape le vertige en essayant de suivre.

Detroit a peut-être donné au pays les automobiles bon marché… mais c’est Los Angeles qui a su quoi en faire. Elle a construit des banlieues tout le long de la côte… puis les a reliées avec un réseau d’autoroutes. Le carburant était bon marché. Les maisons n’étaient pas chères. Et les routes étaient ouvertes.

La Californie est un pays de rêveurs. Les bulles, comme les plantes tropicales, s’y développent rapidement et à leur aise… créant de vastes canopées d’illusion et de vanité. Puis le soleil fait son effet, et les rêves desséchés tombent sur le sol… où ils n’attendent plus qu’une étincelle.

A la fin des années 90, la Silicon Valley était source de grandes rêveries — selon lesquelles la technologie informatique transformerait le monde. Ce qui a bien été le cas. Mais les choses ne se sont pas passées exactement comme on l’espérait. La bulle des dot.com est partie en fumée à la fin de la décennie.

Puis est arrivé un groupe de nouvelles bulles — provenant elles aussi de Californie en majeure partie. Les autorités ont paniqué durant la récession de 2001-2002. Leurs taux d’intérêt artificiellement bas — associés à l’économie mondialisée — ont causé la mutation finale qui a produit la Culture de Bulle Extrême, aux alentours de 2002-2007. Les prix de l’immobilier ont grimpé, donnant aux consommateurs le nantissement dont ils avaient besoin pour rêver dans les grandes largeurs. Ils n’ont pas tardé à emprunter de l’argent pour pouvoir acheter des voitures allemandes, remplir leurs réservoirs de pétrole saoudien et se rendre dans des centres commerciaux pour acheter des gadgets chinois.

Tout le monde spéculait sur les prix de l’immobilier — les propriétaires, les prêteurs, les investisseurs, les constructeurs et le gouvernement d’Arnold Schwarzenegger lui-même. Maintenant que les prix des maisons ont baissé, cependant… toute la Culture de Bulle est menacée d’extinction. Nous nous sommes rendu jusqu’au coeur de Los Angeles pour en trouver des preuves. Mais avant tout, il a fallu trouver le coeur de la ville. La cité s’étend sur plusieurs kilomètres dans toutes les directions. Elle a aussi de grandes mains… qui attrapent les voitures mal garées et collectent les taxes d’habitation. Et ses jambes sont constamment en mouvement ; la ville bouge toujours.

L’endroit semble manquer de coeur, en revanche. Le centre-ville ressemble à La Défense — un ensemble d’immeubles de bureaux. Le matin, les gens arrivent, parquent leur voiture dans des garages et vont directement à leur bureau. A la fin de l’après-midi, les jambes partent dans la direction opposée. Et la nuit, les rues sont aussi moroses et vides que la tête d’un sénateur.

Le cerveau est absent. Lorsque les citoyens ordinaires rêvaient de richesses, le gouvernement de l’état faisait de même. A présent, le culturiste risque la faillite pour la deuxième fois depuis qu’il a été fait gouverneur. Lorsqu’il a pris ses fonctions, l’état menaçait de faire défaut sur les 13 milliards de dollars de prêts contractés par l’administration précédente. Cette fois-ci, l’enjeu est encore plus élevé.

La Californie a mené les Etats-Unis à la hausse ; elle les précède également à la baisse. Lorsque la valeur des nantissements s’est effondrée en 2007, la Culture de Bulle a viré au brun. Les propriétaires ont été ruinés. Leurs prêteurs ont été ruinés. Et le monde entier n’a pas tardé à se retrouver ruiné lui aussi. Ces deux dernières années, les prix des maisons en Californie ont chuté de 40%… 50% dans certaines régions. Lorsqu’on parcourt la ville, la plupart des anciens quartiers montrent peu de signes de difficultés. Peu de panneaux "à vendre" sont en place. La vie continue comme si de rien n’était depuis les débuts de cette culture, à l’entrée du XXe siècle. Ce sont dans les régions ouvertes en dehors de la ville, où les rêves avaient le plus grand ensoleillement, que les problèmes commencent. Faites le trajet en voiture de Santa Monica à l’aéroport. Lorsqu’on arrive sur Marina del Mar, on remarque vite d’immenses complexes immobiliers des deux côtés de la route. "A louer", affiche l’un. "Appartements de standing à vendre", dit l’autre. Pas de files d’attente devant les bureaux de vente. Dans toute la Californie du Sud, on trouve des milliers de ces nouvelles maisons… majoritairement à la frange des grandes banlieues… et bon nombre d’entre elles sont pratiquement désertes. Les promoteurs n’étaient guère nombreux à penser que les prix seraient réduits de moitié.

Naturellement, lorsque la bulle a explosé… il en a été de même pour le budget de l’état de Californie. Tout à coup, les revenus fiscaux se sont effondrés… tandis que les dépenses grimpaient. C’était parfaitement prévisible pour une personne d’intelligence normale ; néanmoins, cela a semblé prendre les législateurs par surprise. Durant des mois et des mois, le gouvernement a prévenu qu’il allait se trouver à court d’argent. Là aussi, la Californie ouvre la voie. Non seulement ses citoyens font faillite — son gouvernement aussi. Au début de cette année, le gouvernement se trouvait confronté à un déficit de 42 milliards de dollars, qui l’a contraint à payer ses employés en reconnaissances de dettes.

Contrairement au gouvernement fédéral, la Californie ne peut imprimer d’argent. Mais entre émettre des reconnaissances de dettes pour ses employés et émettre des dollars pour ses prêteurs étrangers, il n’y a pas grande différence. Qu’ils portent l’emblème de l’état de Californie ou celui des Etats-Unis d’Amérique, ces morceaux de papier finiront par ne valoir que ce que les gens sont prêts à donner pour eux… et pas un sou de plus.

La Culture de Bulle semble désormais clinquante, démodée et ruinée. Mais les Californiens continuent de rêver. Lorsque la broussaille se sera finalement consumée, peut-être rêveront-ils à quelque chose de nouveau.

Meilleures salutations,

Bill Bonner
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