Le projet de retenue à la source devrait voir le jour en 2017. Une année fiscale blanche est un cadeau électoral fait au détriment des jeunes, des propriétaires et des expatriés. Au-delà, c’est peut-être le premier pas vers la fusion de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales.
J’ai fait mes débuts dans la vie professionnelle en vendant des contrats d’assurance. Lorsqu’il s’agissait de l’assurance-vie, l’un des arguments de vente était la constitution d’un capital pour faire face, entre autres, aux contraintes financières de la première année de retraite, année où il faudrait continuer à payer des impôts basés sur les revenus de la dernière année d’activité, alors que le niveau de la pension allait être beaucoup plus bas. En pratique, il s’agissait de rendre à l’Etat le crédit que la puissance publique avait consenti 35 ans plus tôt aux entrants sur le marché du travail et qui n’avaient pas payé d’impôts la première année de leur activité.
Quelques années plus tard, mon employeur m’expatriait à Londres et je découvrais la simplicité du prélèvement à la source. A ce moment-là, John Major était Premier ministre, et le système fiscal britannique reflétait la refonte décidée par son prédécesseur, Margaret Thatcher : peu de tranches, relativement peu progressives, même si la tranche ultime était alors de 40%. En début d’année civile mon salaire ne subissait aucun prélèvement car j’étais encore dans la tranche de revenus non imposables, et puis au fil des mois, le pourcentage de retenue montait, au fur et à mesure que j’atteignais les tranches suivantes.
Un système simple, exact et séduisant. L’année n+1, il fallait faire une déclaration de revenus pour l’année n, mais je n’ai presque jamais eu de correction dans un sens ou dans un autre, ou seulement marginale, tant le système était fiable.
Il ne me restait plus qu’à attendre que cette idée géniale soit adoptée dans mon pays d’origine. Vingt-cinq ans plus tard, allons-nous y venir?
Retenue à la source et mensualisation : quelle différence ?
Un petit détail à l’époque m’avait échappé. Si notre pays est l’un des rares du monde développé à n’avoir pas encore fait le saut de la déduction à la source, c’est que la mensualisation a en réalité réglé le problème. Mais c’est aussi parce que la France conjugue deux exceptions majeures en matière fiscale. D’une part, la prise en compte de la situation familiale et du nombre de personnes à charge, d’autre part, la multiplication des niches, qui font le charme (paraît-il) de la fiscalité française.
(Le PEA est une vieille « niche fiscale » qui résiste au temps. Comment vous constituer un PEA robuste, mois après mois, en visant 15% par an ? Tout est expliqué ici.)
Ainsi la Direction générale des Finances publiques calculera le taux moyen d’imposition personnalisé (ou plutôt « familiarisé ») appliqué aux revenus de l’année de référence et l’utilisera pour l’année en cours. Question naïve : quelle différence, au fond, avec la mensualisation ?
Certes, les fonctionnaires qui conçoivent ces usines à gaz sont valorisés car ils ont l’air intelligent, et ils assurent une charge de travail à leurs collègues tout occupés à contrôler et à vérifier. Sans parler du fromage tenu par les indispensables conseillers fiscaux, souvent d’ailleurs anciens agents des impôts se monnayant dans le privé à prix d’or… Voilà un business model très solide.
En toute logique, nous devrions d’abord mettre complètement à plat notre système pour le simplifier (en allant jusqu’à la flat tax ou taux unique pour tous) pour ensuite passer au prélèvement à la source. Mais, en France, le projet est de mettre la charrue avant les boeufs.
Gros cadeau électoral et « petits perdants »
Le gouvernement doit cependant gérer, une fois de plus, une contradiction : mener une réforme de fond à un an d’une élection majeure d’une part, et instiller le message d’une année blanche en 2017 (comme par hasard) d’autre part. Les bons citoyens devront comprendre, de façon subliminale, que les revenus de 2017 des contribuables à rentrées régulières tirées du travail uniquement ne seront pas imposés.
Il y aura bien quelques « petits perdants ». Les jeunes (encore eux, une fois de plus) qui arriveront sur le marché du travail à partir de 2018, imposables pour la première fois cette année-là, devront payer des impôts immédiatement. Mais quand les premiers jeunes concernés se rendront compte qu’ils se sont fait « avoir », les élections seront passées.
Il y aura aussi les propriétaires fonciers, qui payeront en 2018 des impôts sur leurs revenus de 2017 et sur ceux de 2018 (ils vont adorer !) et enfin les expatriés, comme l’a fait remarquer Frédéric Lefebvre, députés des Français de l’étranger pour les Etats-Unis et le Canada. L’année de leur départ, les expatriés payent des impôts sur leurs revenus de l’année précédente en France et sur l’année en cours dans leur pays d’accueil, s’il applique déjà la déduction à la source. Cette double charge était jusqu’à présent compensée par l’absence d’imposition immédiate l’année du retour. Ce ne sera plus le cas.
Cet achat massif de voix (hormis celles des « petits perdants ») avec de l’argent public pourra s’analyser comme le plus gros coup clientéliste du gouvernement. Mais il s’agissait d’une promesse électorale du candidat vainqueur de 2012.
Fusion de l’impôt sur les revenus et des prélèvements sociaux ?
A moins que ce ne soit que le premier étage d’une fusée à l’égalitarisme ravageur, le second étage étant une autre promesse de campagne : la fusion de l’impôt sur le revenu avec les prélèvements sociaux.
Si cette hypothèse se confirmait (dans la mesure où le gouvernement irait jusqu’au bout, pari incertain par les temps qui courent…), et si vos revenus vous situent dans les tranches élevées, en l’absence d’une révolution introduisant la flat tax, préparez-vous à un « choc de spoliation » sans précédent…