▪ C’est vrai, le 1er avril c’était lundi, mais la plupart des places européennes étaient fermées… alors les mystifications et les gags surréalistes sont restés dans les cartons. Pas pour longtemps, comme l’a démontré la séance de mardi.
Pas plus qu’un amuseur public ne sait garder pour lui un mauvais calembour, le marché version 21ème siècle ne peut résister à la matérialisation du scénario boursier le plus incongru.
▪ Commençons par planter le décor conjoncturel
Très concrètement, voilà le tableau qui se dressait devant l’investisseur hier matin : le chômage atteint 12% en Europe (19 millions de sans-emploi officiels, plus de 25 millions en réel, un record historique), les ventes d’automobiles se sont effondrées en mars et les chiffres d’activité industrielle ont dégringolé partout en Europe.
Pour être plus précis : le PMI manufacturier de l’Eurozone se contracte de 47,9 vers 46,8 en mars (46,6 en première estimation). Il retombe sous les 50 en Allemagne, une vraie surprise puisqu’il était attendu à 51. Il décroche également de façon inattendue en Irlande, de 51,5 vers 48,6. Enfin, la débâcle se poursuit en Italie à 44,5 (un plancher depuis avril 2009) et en Espagne (de 46 vers 44,3). Seule la France se stabilise : le PMI ressort inchangé par rapport à février (à 44) après 42,6 en janvier.
▪ Les places boursières ne dérogent pas à leur règle…
Face à cette déferlante de vents contraires, les places européennes affichaient une résistance inattendue. Les indices gagnaient même un peu de terrain à chaque (mauvais) chiffre publié… Comme si le jeu consistait à prendre à revers les vendeurs et à tirer les cours jusqu’au déclenchement de leurs stops (rachats visant à limiter les pertes face à une évolution inattendue du marché).
Comme cela n’allait pas assez vite, un « coup de robot » a été tiré à 11h59. Le CAC 40 a pris 15 points en quelques secondes sans aucune information — cela va de soi — et pratiquement aucune transaction.
Il devait y avoir un trou dans les carnets d’ordres sur le cash et les contrats à terme qui a été parfaitement identifié et exploité par les têtes chercheuses algorithmiques. En à peine 10 minutes, la hausse du marché parisien est passée de 0,55% à 1,1%… et ce score a été doublé au cours de la dernière heure de cotation.
Même les plus optimistes parmi les ultrabulls restent bouche bée devant la flambée des indices survenue ce mardi.
Manifestement, les marchés nous rejouent le scénario du 1er octobre 2012 et du 2 janvier 2013. C’est le premier jour du trimestre et les robots arrachent tout, peu importe le contexte, peu importent les perspectives conjoncturelles.
Mais comme l’étroitesse des volumes rendait cette manipulation grossière des indices trop voyante, de « bons Samaritains » se sont chargés d’effectuer quelques ajustements durant le fixing de clôture.
Ils ont fait exploser les volumes de un milliard d’euros à 3,4 milliards — soit presque un tiers des transactions du jour surgissant comme par miracle à 17h35. En effet, un gain de 2% avec 2,3 milliards d’euros à 17h29, cela signifiait que le marché montait dans le vide.
▪ Un bon chiffre ne fait pas le printemps
Comme les commentateurs permabullesques ne cherchent même plus à fournir des explications crédibles tant ils pensent s’adresser à un public décérébré, ils n’ont pas hésité à justifier la hausse surréaliste du CAC 40 (+2% à 3 805 points au final) par un bon chiffre américain sorti à 16h (commandes industrielles en hausse de +3%).
Sauf que c’est faux : l’accélération à la hausse de 40 points supplémentaires à Paris ne s’est réellement enclenchée qu’une demi-heure plus tard, à 16h30, sans lien mécanique avec la statistique de 16h.
Même si un unique chiffre faisait le printemps à lui tout seul aux Etats-Unis, cela ne saurait occulter la déferlante de mauvaises statistiques économiques publiés en Europe hier matin.
Comment expliquer dans ces conditions que l’Euro-Stoxx 50 ait pu progresser trois fois plus vite à 17h35 (+2,1% contre +0,7%) que les indices américains — les seuls où l’on puisse invoquer le bénéfice d’un chiffre convenable (à condition d’oublier le piètre indice ISM publié la veille, à 51,3 contre 54,2 attendu) ?
Bien entendu, le mécanisme psychologique invoqué est archi-classique. C’est tellement mauvais, tellement en-deçà des prévisions dans l’Eurozone, que la BCE « va faire quelque chose ».
Mais l’argument n’a même pas séduit les premiers acteurs concernés, les spécialistes des marchés obligataires. Ils sont restés de marbre au sujet d’un éventuel assouplissement monétaire tandis que les gérants « actions » s’abandonnaient à l’exubérance la plus irrationnelle.
▪ Les 15 dernières minutes sont cruciales
La preuve est faite qu’avec quelques logiciels algorithmiques suffisamment retors, il suffit de peu de moyens financier et de quelques arguments stupides repris par des médias complaisants et des vendeurs d’actions peu scrupuleux (mais avides de bonus) pour que s’instaure un marché à sens unique où le rally se nourrit de lui-même… ou plutôt, de l’argent de la Fed.
Et si cela ne suffit pas, il y a le traditionnel coup de booster des 15 dernières minutes : ça n’as pas raté hier soir !
Le S&P 500 et le Nasdaq ne gagnaient plus que 0,20% vers 21h45 ; ils en terminent en progression de 0,5% — et cela fait toute la différence car le S&P inscrit un nouveau record absolu de clôture à 1 570 points, contre 1 569,2 le 28 mars. Un record, certes… mais acquis à la dernière minute, et ce n’est pas une image !
Et où sont les volumes ? A peine 470 millions de titres contre plus du double (et parfois le triple) lors du précédent zénith d’octobre 2007. Difficile dans ces conditions de parler d’une « vague de fond » acheteuse de la part des épargnants américains. Ce mouvement perpétuel n’est pas vraiment fédérateur, loin s’en faut… mais le mot d’ordre demeure « don’t fight the Fed » (« ne luttez pas contre la Fed »).