▪ L’auto-flagellation et le "déclinisme" ne constituent pas une exclusivité franco-française. Les modèles que nos économistes nous vantent sont peut-être admirables de loin… mais loin d’être admirables.
Le quotidien Die Welt reprenait dans son édition de lundi quelques-unes des meilleures feuilles d’un livre intitulé Die Deutschland Illusion, publié le matin même par l’économiste allemand Marcel Fratzscher — lequel n’est autre que le président de l’Institut de recherches DIW de Berlin.
Pour résumer son propos, Die Welt met en exergue certaines phrases choc de son ouvrage.
C’est de bonne guerre et il faut se méfier des raccourcis… mais le journal n’invente rien : Marcel Fratzscher a bien écrit "l’Allemagne est en déclin". Et de continuer :
"Elle vit sur ses acquis. L’économie de ce pays est en échec, sa croissance depuis l’an 2000 est plus faible et les salaires y ont progressé moins vite que la moyenne européenne.
Le revenu moyen d’un ménage allemand a baissé de 3% depuis l’an 2000. La baisse a même atteint 5% pour les 10% les plus pauvres
Le revenu moyen d’un ménage allemand a baissé de 3% depuis l’an 2000. La baisse a même atteint 5% pour les 10% les plus pauvres… et la pauvreté, en hausse constante, touche un enfant sur cinq".
C’est d’autant plus choquant que, d’après des statistiques démographiques que tout le monde peut consulter, il ne naît désormais pas plus de 700 000 enfants par an outre-Rhin. Un chiffre à comparer à 1,4 million il y a 40 ans, dans une Allemagne pas encore réunifiée, amputée de sa partie est — soit d’une quinzaine de millions d’habitants (bon, allez, 16,5 millions officiellement en janvier 1990… mais la natalité était déjà en baisse à l’époque).
MADE IN EUROPE ! |
Oui, il s’agit bien d’une triste Allemagne qui vieillit et qui, en dépit de ses 200 milliards d’euros d’excédents commerciaux, ne trouve même pas les moyens de doper sa natalité. Rappelons que la Russie de Poutine a fort bien su le faire en soutenant les femmes, non seulement pour leur premier mais également les enfants suivants — y compris les mères célibataires qui sont les premières à sombrer dans la pauvreté lorsque la famille se disloque.
En Allemagne, les mentalités ont encore assez peu évolué : "élever un enfant ou travailler, il faut choisir"…
Depuis le début des années 90, beaucoup de femmes passent outre. Les Allemandes de l’est travaillaient davantage qu’à l’ouest, c’est un exemple que les féministes ont voulu suivre.
Fini la femme au foyer qui attend en cuisinant le retour de son petit mari bénéficiant d’un gros salaire. Cela pour deux bonnes raisons : les Allemandes n’aiment pas cuisiner… et les gros salaires sont un lointain souvenir (ils ont été en parti abolis pour la classe ouvrière par les lois Hartz/Schröder de 2004).
Oui, les femmes travaillent davantage, mais souvent pour gagner des clopinettes à mi-temps et en jonglant avec les horaires des écoles et des collèges, car les structures d’accueil des enfants et des "plus grands" n’ont pas suivi l’évolution du marché du travail.
Pour les femmes qui travaillent à plein temps, c’est la galère. Peu ou pas de crèches, pas de cours l’après-midi dans les écoles allemandes… et si les gamins ou les gamines n’aiment pas le sport, la seule alternative c’est regarder la télé tout l’après-midi sous la surveillance de la grand-mère ou de la grand-tante — en espérant qu’elle n’habite pas trop loin.
▪ Baisse du niveau de vie et bulle de l’immobilier
Je me souviens bien de l’Allemagne du début des années 80, je m’y rendais régulièrement. J’ai visité les quartiers ouvriers de la Ruhr aussi bien que les beaux quartiers du sud-ouest de Munich, j’ai visité les villes universitaires aussi bien que celles bâties autour de l’industrie automobile, Berlin-ouest et Berlin-est. Il y avait de belles voitures partout, en parfait état, le niveau de vie ouest-allemand était effectivement bien plus élevé qu’aujourd’hui pour les classes moyennes.
Il n’y avait quasiment pas de "travailleurs pauvres". L’OS ouest-allemand n’était pas en concurrence avec son homologue polonais, tchèque ou hongrois ; il touchait un vrai salaire, pas une misère… et cela suffisait effectivement à subvenir aux besoins d’une famille.
Le désastre social aurait pu être bien pire en Allemagne si les prix de l’immobilier s’étaient mis à flamber comme en France, où la pénurie de logement est quasiment institutionnalisée.
La Bundesbank constate avec anxiété que le foncier commence à présenter les caractéristiques d’une bulle outre-Rhin |
Or la Bundesbank constate avec anxiété que le foncier commence à présenter les caractéristiques d’une bulle outre-Rhin. Les très grandes fortunes allemandes sont conscientes que leur patrimoine financier est de plus en plus constitué d’actifs virtuels, dont la valorisation est adossée à de la fausse monnaie.
Même à Londres, les family offices et les fonds souverains conseillent à leurs richissimes clients de diversifier leurs avoirs sur le sol européen. Certes Paris reste plus abordable que Londres mais n’est plus vraiment bon marché… alors qu’à Berlin, Düsseldorf ou Francfort, il y a encore de très bonnes affaires et des rendements immobiliers attractifs.
La classe moyenne allemande a de moins en moins les moyens de devenir propriétaire (cela n’a jamais constitué un objectif prioritaire), et les loyers commencent à grever sérieusement le pouvoir d’achat.
La fameuse prospérité que nos élites germanophiles nous vantent ne se traduit en rien de façon concrète pour le ménage allemand… En revanche, quelle fierté légitime que de savoir que grâce à 10 ans de régression salariale et sociale, les finances du pays sont à l’équilibre !
Je plaisante ! C’est un peu comme si l’on demandait en France aux habitants des zones industrielles sinistrées de Bretagne ou de Lorraine s’ils sont fiers de savoir que Versailles, le Louvre et le Mont Saint-Michel sont visités chaque année par 50 millions de touristes et qu’il s’agit d’un record planétaire.
La "fierté de"… ça ne fait pas bouillir leur marmite, ça ne donne pas de boulot à leurs enfants !
▪ Chine-Allemagne, un tandem qui ne fonctionne plus
Pour en revenir à l’Allemagne, elle a fini de manger le pain blanc de la croissance à deux chiffres chinoise.
Oui, c’est vrai, les berlines allemandes sont très présentes dans les beaux quartiers de Shanghai et Pékin… mais beaucoup de pièces sont fabriquées hors d’Allemagne — notamment en France par Peugeot s’agissant des blocs moteur diesel.
Le consommateur germanique lui, à de moins en moins les moyens de rouler comme un nouveau riche chinois. Mais aussi et surtout, il n’a plus les moyens d’acheter espagnol ou italien : il achète vietnamien, indonésien, etc.
Parce que la réalité, c’est qu’il y a bien une collaboration industrielle — qu’il faut saluer — entre l’Allemagne et ses voisins (mais l’épicentre se déplace de plus en plus à l’est). En revanche, le "riche" allemand des années 80 qui venait dépenser son argent en France n’est plus que le mythe d’une ère révolue.
Le consommateur allemand de la classe moyenne adopte maintenant un comportement de "pauvre", contraint de remplir son chariot dans les enseignes de hard discount, de passer des vacances à prix cassé en formule tout compris (il fréquente de moins en moins les restaurants des stations balnéaires, ne ramène plus de souvenirs, etc.).
La prospérité allemande n’est plus que comptable, elle a déserté le quotidien des salariés |
La prospérité allemande n’est plus que comptable, elle a déserté le quotidien des salariés… et je dirais même son réseau routier qui est souvent dans un triste état.
Facile de dégager des excédents budgétaires quand on n’investit plus dans les infrastructures, ni même dans la recherche. Ce qui est inutile, la Chine était demandeuse de ce que l’Allemagne produisait il y a 10 ans… il n’y avait qu’à se laisser porter par la vague et faire tourner les usines.
Mais au fait, qui sur Terre jouerait pour la France le rôle qu’a joué la Chine pour l’Allemagne ces 15 dernières années ? Quel pays d’un milliard et demi d’habitants qui a besoin de se moderniser va nous acheter nos machines-outils ?
Questions stupide : la France n’en produit pas !
L’Allemagne, elle, a grand besoin de produire de nouveaux habitants.
Facile, pensez-vous, vu le nombre de chômeurs que compte l’Espagne ou la Grèce… Mais quel travailleur a envie de venir transpirer pour 800 euros par mois dans un pays qui manque de crèches, de soleil et de grands projets d’avenir ?
Ce n’est pas moi qui en apporte la démonstration, c’est Marcel Fratzscher dans son livre Deutschland Illusion !