La Chronique Agora

De Sumer au Bitcoin, histoire de la monnaie et du crédit.

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Le monde est noyé sous les dettes et une nouvelle crise couve :  c’est devenu un constat banal. Mais l’envers de la dette c’est le crédit. Le crédit infini et gratuit n’a jamais été possible par le passé. Notre époque moderne constitue une exception et le bitcoin une tentative moderne de limitation du crédit et donc de la dette.

Presque personne (sauf quelques anxieux qui se sont préparés un potager et un bunker avec de l’eau fraîche et de l’or) ne sait comment fonctionne vraiment le système financier actuel.

A la conférence Bitcoin-Biarritz du 7 avril 2018 se côtoyaient jeunes geeks et investisseurs avertis plus âgés à la recherche d’informations techniques sur cette chose encore mystérieuse : les cryptomonnaies.

Ce n’est qu’en ayant une idée du passé qu’on peut prendre la mesure de ce que pourrait apporter le bitcoin et la blockchain. D’où cette brève histoire de la monnaie.

 

 

EPISODE 1……………………………………………………………………………………………………………………….

De la nuit des temps à 1 750 avant JC……………………………………………………………………………………

Au commencement était le troc et le crédit (la dette)……………………………………………………………..

3 000 ans avant Jésus Christ, Sumer…………………………………………………………………………………..

1 750 avant Jésus Christ, Babylone………………………………………………………………………………………

EPISODE 2……………………………………………………………………………………………………………………….

1440 avant JC, le jubilé naît chez les hébreux………………………………………………………………………….

De 1 750 avant JC à 560 avant JC………………………………………………………………………………………….

La monnaie d’Etat et les premières escroqueries…………………………………………………………………….

560 avant Jésus Christ, Lydie : première monnaie d’Etat………………………………………………………

560 avant JC : le jubilé naît chez les Hébreux………………………………………………………………………

EPISODE 3……………………………………………………………………………………………………………………….

De 560 à 200 avant JC……………………………………………………………………………………………………….

Platon et Aristote : deux vues sur la monnaie………………………………………………………………………….

Monnaie, crédit, fiscalité : un triangle indissociable………………………………………………………………..

La monnaie selon Platon repose sur un mythe………………………………………………………………………..

La monnaie selon Aristote doit être une marchandise…………………………………………………………..

Les monnaies marchandises en concurrence………………………………………………………………………….

Monnaie-crédit ou monnaie-marchandise : une différence essentielle……………………………

EPISODE 4…………………………………………………………………………………………………………………………….

De 200 avant JC à 337………………………………………………………………………………………………………………

L’avilissement de la monnaie métallique……………………………………………………………………………………..

L’inflation due à la cupidité ?……………………………………………………………………………………………………….

L’inflation est due à la perte de confiance dans l’Etat et sa monnaie……………………………….

 

EPISODE 1 : De la nuit des temps à 1 750 avant JC.

 

Au commencement était le troc et le crédit (la dette)

Le troc a probablement permis aux premiers bipèdes d’échanger mais pas de commercer de façon étendue.

Le troc est vite limité. Un cuissot de bison contre un silex, mais si j’ai pas besoin d

Le sel et non pas de silex ? Et si celui qui a du sel, ne veut pas de mon cuissot de bison ? Le silex prend-il plus de temps et d’énergie à tailler que le bison à être tué ? Mais la chasse au bison est plus risquée. Comment déterminer les bons rapports de valeur entre silex-sel-bison ?

Le troc devient vite un casse-tête inextricable. D’où la monnaie pour faciliter les échanges.

La monnaie peut être soit une marchandise sur laquelle un grand nombre s’accorde, soit un crédit dont l’envers est une dette. Dans ce dernier cas, une autorité supérieure tient les registres de dette.

Imaginons…

« Crojoli a livré une panoplie de silex aujourd’hui à Cromignon.

Cromignon doit un cuissot de bison par mois durant deux ans à Crojoli ou ses ayant-droits.

Signé ce jour devant Cromajeur, chef d’Eyzies de Tayac et de ses alentours ».

Cromignon a une dette. Crojoli lui a fait crédit et Cromajeur le grand chef est témoin.

La première monnaie était surtout du crédit (de la dette) comme l’attestent les différentes traces archéologiques.

Signalons pour ceux qui veulent creuser le sujet le livre du militant anarchiste et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street, David Graeber : Dette – 5 000 ans d’histoire.

 

3 000 ans avant Jésus Christ, Sumer

Après divers tâtonnements (céréales, bétails, sel, coquillage, pierres…), les shekels d’argent émergent à Sumer en tant que monnaie.

Innovation géniale que la monnaie pour remplacer le crédit (et la dette) dans les échanges.

L’économie consiste à échanger quelque chose contre autre chose.

Les gens s’efforcent d’échanger ce qu’ils font le mieux contre quelque chose que quelqu’un d’autre fait mieux qu’eux. C’est ainsi que des accords gagnant-gagnant se nouent.

Crojoli est plus doué pour tailler les silex que Cromignon. Cromignon est plus doué pour chasser que Crojoli. C’est pour cela qu’ils contractent. Si Cromigon paie comptant ses silex en monnaie, Crojoli peut stocker son argent et acheter autre chose que des cuissots de bison.

Cromajeur n’a plus besoin d’être témoin et peut se consacrer, en tant que grand sorcier, à développer des rites funéraires sophistiqués.

L’argent-métal est une monnaie anonyme qui s’est imposé de façon empirique, quelque 3 000 ans avant JC, à Sumer, la grande puissance de l’époque.

L’argent-métal est une monnaie anonyme qui s’est imposé de façon empirique, quelque 3 000 ans avant JC, à Sumer, la grande puissance de l’époque.

L’or est alors connu , bien sûr. Il est rare et vaut 60 fois plus cher que l’argent. L’argent, un peu plus abondant, s’est finalement imposé durant la troisième dynastie d’Ur.

Même lorsqu’il n’y a pas de shekels, les scribes consignent des dettes qui sont désormais exprimées en shekels. Vous ne vous débarrassez pas de l’administration et des bureaucrates aussi facilement, même du temps de Sumer…

L’autorité du scribe est limitée dans l’espace. Donc si vous vouliez commercer loin avec votre caravane, il vous fallait de l’argent.

La transaction en shekels peut-être anonyme. Celui qui reçoit le shekel ne sait pas qui vous êtes et, le shekel n’ayant pas de frappe, de poinçon d’identification, cet acheteur ne sait même pas d’où vous venez.

Voici donc à quoi ressemblait le système monétaire et financier d’il y a 5 000 ans :  de l’argent métal et des registres de dettes tenus par des scribes qui comptaient en unité d’argent, le shekel. Les scribes tenaient aussi cette comptabilité pour recouvrer les impôts, car qui dit dynastie et administration dit aussi impôts…

Finalement, ce n’était pas très différent de maintenant. Les registres de dette sont désormais tenus par des banquiers et des banquiers centraux ; le recouvrement des impôts occupe beaucoup de scribes et de personnel administratif qui préfère les registres de dette bien tenus.

1 750 avant Jésus Christ, Babylone

Le code d’Hammurabi voit le jour. La monnaie qui existe en parallèle du crédit est toujours shekels d’argent mais le code d’Hammurabi régit aussi le crédit, la dette et les mauvais payeurs.

Il s’apparente à de la common law, c’est à dire un recueil de décisions constituant une jurisprudence dont on dégage des règles. C’est un principe différent du droit français qui s’appuie sur des règles écrites une bonne fois pour toutes et supposées prévoir tous les cas.

Article 117. Si quiconque omet d’honorer une créance pour dette, et se vend lui-même, sa femme, son fils, et sa fille contre de l’argent ou les donne au travail forcé, ils travailleront pendant trois ans chez celui qui les a achetés, et seront libérés la quatrième année.

Ceci est une révolution.

Une remise à zéro de la dette est prévue après quatre ans d’esclavage.

Autrement dit, la capacité d’endettement est par conséquent limitée à environ quatre années de capacité de travail d’une famille.

C’est un point très important. Déjà, 1 750 ans avant Jésus Christ, on avait compris que le crédit infini n’était pas possible. Pour limiter le crédit, l’esclavage des mauvais payeurs est donc limité dans le temps.

Le montant de dettes (du crédit) est plafonné par la loi.

Dans ces temps anciens la monnaie était donc de l’argent-métal ou de la dette dont les registres étaient tenus par des autorités supérieures.  Assez vite, les autorités ont imposé une limite au crédit afin de limiter l’esclavage (la sanction des mauvais payeurs) et les troubles sociaux qui auraient pu résulter de la mise en esclavage d’un grand nombre par un tout petit nombre.

Nous voici bientôt arrivés à une innovation majeure qui bouleversera le commerce de la Méditerranée : la première monnaie d’Etat.

EPISODE 2 : de 1 750 avant JC à 560 avant JC

1440 avant JC : le jubilé naît chez les Hébreux

Monnaie et crédit continuent donc à coexister dans l’Antiquité. L’or et l’argent rares et inutiles s’imposent par l’usage comme monnaies, mais le crédit a toujours cours.

Depuis Hammurabi, en cas de surendettement, les individus débiteurs insolvables et leur famille étaient  réduits en esclavage mais la période d’esclavage était limitée à quatre années. Elle était de sept ans chez les Hébreux.

Puisque la durée de vie et la capacité de travail d’un être humain sont limitées, laisser gonfler le crédit sans limite peut conduire à une société d’esclaves contrôlée par quelques nantis ou déboucher sur une extrême violence lorsque les esclaves se révoltent.

Pour limiter ce problème, la loi sumérienne prévoyait de plafonner la période d’esclavage.

Les Hébreux optent pour une autre méthode. Ils instaurent le « jubilé », tous les 50 ans. Cette durée correspond à des chiffres symboliques, les années sabbatiques revenant tous les 7 ans. Cette pratique du jubilé est inscrite dans le Lévitique.

Le jubilé se reproduit tous les 7 x 7 ans et au 7ème mois de la dernière année.

L’année du jubilé, toutes les dettes étaient remises : les esclaves et prisonniers libérés, les terres hypothéquées ou saisies rendues à leurs propriétaires.

On peut imaginer que les prêteurs se faisaient rares l’année précédent le jubilé. Inversement, les emprunteurs ne devaient pas se bousculer juste après un jubilé sachant que s’ils ne payaient pas, ils risquaient d’être pourchassé leur vie durant.

Un économiste moderne dirait que le jubilé régule le cycle du crédit.

Nul besoin de grand planificateur ou de banquier central omniscient pour ce faire. Une règle simple, immuable, prévisible, connue de tous et appliquée à tous suffisait. La solution des Hébreux était élégante.

 

Cahin-caha, la monnaie et le crédit évoluent en parallèle, connaissent quelques innovations, s’améliorent ou se détériorent.

Le commerce se développe grâce à la monnaie marchandise que sont l’or ou l’argent.

La monnaie d’Etat et les premières escroqueries

Nous nous sommes quittés en 1 750 avant Jésus-Christ.

La monnaie est alors shekels d’argent ou dettes mais le montant de dettes (de crédit) ne peut croître à l’infini pour une même famille en vertu du code d’Hammurabi.

Les scribes sont les banquiers centraux de l’Antiquité mais la monnaie d’argent est privée.

Revenons sur l’innovation géniale que constitua la notion de « monnaie ». Il s’agit de quelque chose d’aussi majeur que le feu ou la pierre taillée.

La monnaie – distincte de la dette ou du crédit – est un outil d’échange. L’échange, le commerce, le négoce pratiqués librement et sans contrainte sont source de progrès.

Cette affirmation ne nécessite pas de long développement. Imaginez simplement que vous deviez vivre en autarcie sans pouvoir échanger ce que vous faites de mieux contre ce que d’autres font mieux que vous … Pas très réjouissant, n’est-ce pas ?

C’est bien pour cela qu’il y a des pâtissiers ou des rôtisseurs, que les pilotes ont une bonne vue et que les accordeurs de piano ne sont pas sourds. Chacun se spécialise et échange avec d’autres spécialistes.

Evidemment, l’échange doit être libre car sinon, il n’est pas source de progrès mais de contrainte voire de violence.

Si Cromagnon vient avec sa grosse massue pleine de silex vous piquer la récolte de votre potager, il n’y a pas de progrès.

Pour un échange libre et sans contrainte, une monnaie honnête est mieux qu’un registre tenu par un scribe.

Reprenons notre schéma de l’économie…

La monnaie n’est pas sortie du cerveau d’un grand planificateur, d’un scribe génial. Nulle trace d’écrit promulguant autoritairement une monnaie. Les shekels d’argent ont émergé naturellement, de façon empirique.

Soit les échanges se réglaient en monnaie, en shekels sonnants et trébuchants.

Soit il fallait passer devant un scribe, grand-prêtre, autorité qui tenait les registres de dettes consignant qui devait à qui et en regard une quantité en shekel.

Ô lecteur sagace, retenez ce rôle capital du registre qui est centralisé par une autorité. Nous aurons l’occasion d’en reparler en parlant des « registres » ou ledgers du Bitcoin qui apparaîtront 5 000 ans plus tard.

 

Evidemment, le scribe, grand-prêtre, autorité,… était d’une probité parfaite et ne falsifiait pas les registres. Sauf dans tous les cas ou une autorité supérieure le lui demandait en le menaçant de destitution, bannissement, galère, esclavage, torture.

Aujourd’hui quand un banquier central falsifie un registre de dettes comme nous le verrons, c’est pour notre bien à tous nous dit-on. Mais revenons au passé.

 

– 560 avant Jésus Christ, Lydie : première monnaie d’Etat

 

Le fourmillement de ces monnaies privées d’or ou d’argent soulève un problème. Celui qui les accepte en règlement d’une transaction doit pouvoir les vérifier et les comparer. Il faut en mesurer le poids et la pureté de l’argent, réaliser des conversions.

Certaines monnaies de grands marchands ou de pirates étaient réputées et bien acceptées, d’autres moins connues, circulant plus rarement laissaient les marchands perplexes.

Entre en scène Alyatte II, roi de Lydie et père de Crésus.

En Lydie coule la rivière Pactole.

La rivière Pactole charrie des pépites qui sont un alliage d’or et d’argent appelé électrum.

Alyatte II a alors une idée géniale : frapper des pièces toutes identiques de son sceau. Ainsi, les marchands auraient-ils une certitude sur le poids et le titre des pièces négociées.

Alyatte a inventé le premier bureau Veritas et la monnaie d’Etat.

Trité ou tiers de stratère lydien

 

Bien entendu, pour rémunérer son service royal, Alyatte prélève une petite commission et il vend ses pièces plus cher que leur coût de revient.

Le succès de cette première monnaie d’Etat, le statère, est immédiat. Les statères se diffusent largement. Le commerce de la région est en plein essor.

Les marchands abandonnent balances et mesures, les transactions s’accélèrent.

Le succès monte à la tête du fils d’Alyatte II, Crésus. Il a des ambitions et entend mettre sous sa coupe plusieurs cités grecques marchandes. Les impôts tombent, sous la forme de prélèvements et de tributs[1] mais cela ne suffit pas.

Sournoisement, Crésus trafique l’électrum naturel en augmentant la part d’argent. L’électrum naturel comporte près de 75 % d’or. A la fin des petites manœuvres  de Crésus,  l’électrum artificiel des statères ne comporte plus que 50 à 55 % d’or[2].

Sachant que la valeur relative de l’argent et de l’or était à l’époque de 1 à 10, les profits (mal acquis)  du Trésor lydien furent (au début) gigantesques. Toutefois le crime de mauvais monnayage ne payant pas à la longue, inflation et troubles s’ensuivirent. Altérer la monnaie finit toujours mal.

L’affaire se termina donc mal pour Crésus qui fut fait prisonnier par Cyrus, roi des Perses. Ces derniers imposèrent alors leur propre système monétaire en or.

Ce qui n’échappera pas à votre sagacité, cher lecteur, c’est que la première monnaie étatique fut aussi la première à être manipulée par son émetteur qui prétendait en être le garant.

Le faux monnayage officiel consiste toujours à diluer la monnaie. L’État espère ainsi paraître plus riche et cela fonctionne très bien au début.

Ensuite l’illusion se dissipe, les citoyens flairent la supercherie et les prix s’ajustent à la monnaie diluée, ce qui veut dire qu’ils montent. Un signe infaillible de désordre ou manipulation monétaire est une hausse des prix à l’unisson.

L’État tricheur remonte presqu’aussi loin que sa main mise sur la monnaie. Le contrôle de la monnaie est indissociable de la fiscalité.

Les monnaies d’Etat se multiplient. Les Etats et les Cités qui trafiquent leur monnaie font faillite. L’esclavage reste la sanction ultime du particulier mauvais payeur.

Les plus grands penseurs se penchent sur l’énigme de la monnaie et son lien avec le crédit.

Platon et Aristote eurent des avis divergents sur la question et furent les premiers à émettre des théories monétaires.

EPISODE 3 : de -560 à -200 avant JC

Platon et Aristote : deux vues sur la monnaie

Après avoir balayé 2 500 ans d’Histoire, nous allons invoquer Aristote et Platon pour tenter de comprendre quelque chose à la monnaie et de dégager des principes.

Le travers de tout amateur d’Histoire consiste à raisonner avec une mentalité qui ne correspond pas à l’époque. Dans notre escapade, ce biais n’existe presque pas. C’est pourquoi les réflexions d’Aristote et de Platon restent d’une saisissante actualité.

Le pouvoir, le commerce, les taxes, les impôts, la contrebande et l’évasion fisacle… rien de neuf sous le soleil.

Déjà, sous Hammurabi, taxe et contrebande faisaient jaser.

 

Le British Museum :

« Les anciennes tablettes cunéiformes relatent des histoires de trafics et contrebande et expliquent aux marchands comment cacher leurs produits dans leurs sous-vêtements. »

 

EPISODE 3 – De -560 à -200 avant JC – Platon et Aristote : deux vues sur la monnaie

Après avoir balayé 2 500 ans d’Histoire, nous allons invoquer Aristote et Platon pour tenter de raffiner notre compréhension de la monnaie et de dégager des principes.

 

Le travers de tout amateur d’Histoire consiste à raisonner avec une mentalité qui ne correspond pas à l’époque. Rassurez-vous, dans notre escapade, ce biais n’existe presque pas. C’est pourquoi les réflexions d’Aristote et de Platon restent d’une saisissante actualité.

 

Le pouvoir, le commerce, les taxes, les impôts, la contrebande et l’évasion fiscale… rien de neuf sous le soleil.

 

Déjà, sous Hammurabi, taxe et contrebande faisaient jaser.

 

Le British Museum :

« Les anciennes tablettes cunéiformes relatent des histoires de trafics et contrebande et expliquent aux marchands comment cacher leurs produits dans leurs sous-vêtements. »

Comme vous le voyez les soucis des sumériens et des babyloniens sont aussi les nôtres.

Depuis 3 000 avant JC, nous avons vu que les transactions pouvaient se conclure soit avec de la monnaie, soit avec du crédit.

Dans ce dernier cas, le crédit devait pouvoir être limité. La pratique de l’esclavage dissuadait le surendettement. Pour mieux réguler le cycle du crédit, les Hébreux ont rajouté la pratique du jubilé, l’effacement périodique des dettes deux fois par siècle.

 

Monnaie, crédit, fiscalité : un triangle indissociable

Les autorités politiques et religieuses apprécient d’avoir la mainmise sur la monnaie et le crédit car cela leur facilite le recouvrement des impôts et taxes. Peu de citoyens viennent gentiment déposer spontanément leur obole au Trésor. Le « denier du culte » est un impôt librement consenti par les catholique set les enquêtes montrent que les gens sont loin de respecter la vieille règle de la dîme ou du décime qui voulait que l’on donnât 10% de ses revenus. Il est vrai aussi, que les hôpitaux ne sont plus des hospices religieux et que la redistribution a pris le dessus sur la charité.

Les impôts fiancent le train de vie de l’Etat et plus ils sont facilement recouvrés mieux c’sst.

Pour un fonctionnaire zélé, le crédit inscrit sur des registres d’Etat est une forme préférable de monnaie à l’or, l’argent où le bitcoin.  Simplement parce que le crédit est une monnaie qu’il peut complètement contrôler. Au copntraire, l’or, l’argent, le bitcoin ou le cash peuvent échapper au contrôle. L’anonymat, qui préserve la vie privée, est très gênant.  Avec des registres, les autorités savent exactement qui contracte avec qui, pour quel montant et où prélever l’argent.

Tout gouvernement a une tendance naturelle à grossir, à vouloir élargir son champ d’action et sa palette de « services publics ». Pour cela, il lui faut de l’argent, donc créer des impôts, et nationaliser la monnaie (ou le crédit) pour les recouvrer. Ce qui était vrai il y a trois mille ans l’est toujours.

 

Dans la Grèce antique, les cités ont le monopole de leurs monnaies. Les étrangers doivent échanger leurs pièces en monnaie locale, à un taux favorable pour le gouvernement de la cité qu’ils visitent. L’électrum ou l’argent pur sont les métaux précieux les plus utilisés.

Les citoyens sont tenus de régler leurs impôts en monnaie qui à son tour sert à payer les mercenaires et les « services publics ».

Quelques siècles avant JC, lesdits services publics sont encore peu développés : une trière ou galère de combat, un choeur pour le théâtre et le gymnase pour l’entraînement des athlètes, voilà qui suffit à une cité grecque respectable.

 

Mais déjà, gouvernement-impôt-monnaie forment désormais un triangle indissociable.

 

Les finances des cités grecques ne furent pas un long fleuve tranquille et leur histoire est jalonnée de faillites.

Deux des plus grands cerveaux de l’Antiquité se penchèrent donc sur l’économie, la finance et la question de la monnaie : Platon (-428, -348 avant JC) puis Aristote (-384, -322 avant JC).

 

La monnaie selon Platon repose sur un mythe

 

Père du mythe de la caverne, Platon voit la monnaie comme une simple convention sociale dont la valeur est subjective. L’Etat gère cette « convention sociale », les deux parties – acheteur et vendeur – acceptent la monnaie à cause de la garantie de l’Etat.

 

Puisque simple convention sociale, pour Platon, la monnaie n’a pas besoin de valeur intrinsèque, d’être adossée à une autre valeur que la caution de la Cité.

Décidément, le père du mythe de la caverne, aimait bien les mythes. Car qu’est-ce que la monnaie « convention sociale » si ce n’est pas un mythe, un objet imaginaire ?

 

Cependant, avec un tel raisonnement, Platon passe outre notre grand principe économique : même si le prix est subjectif et peut être déformé par l’imaginaire, on échange quelque chose contre autre chose. Echanger quelque chose contre un mythe est un contrat déséquilibré.

Certes l’or et l’argent sont « inutiles » contrairement au bronze avec lequel les armes sont forgées. Mas ils sont « quelque chose » et ne reposent pas uniquement sur la confiance. De l’or ou de l’argent, on en a ou pas. C’est assez binaire.

Souvenez-vous : dans un échange honnête, on doit échanger quelque chose contre autre chose. Une promesse, un mythe, une convention sociale ne sont pas quelque chose : un produit ou un service identifiable et quantifiable.

Platon a une vision étatiste de la monnaie.

 

La monnaie selon Aristote doit être une marchandise

Un peu plus tard, Aristote prend une position différente. Pour Aristote, la monnaie doit avoir une valeur intrinsèque. Elle doit être marchandise.

Aristote a une vision libérale et décentralisée de la monnaie. Il estime que la monnaie doit pouvoir dépasser l’enceinte de la cité, l’économie domestique. Elle doit pouvoir recouvrir l’aire d’échange la plus vaste possible.

Les monétaristes ironisent parfois sur l’attachement d’Aristote à l’or et l’argent. Ils oublient que c’est l’usage consacré par tous, une évidence spontanée  –  donc un choix démocratique – qui a donné leurs statuts à ces métaux.

Aristote a codifié 3 caractéristiques essentielles que doit avoir une monnaie :

·      Instrument d’échange donc facilement reconnu

·      Instrument de mesure, instrument comptable

·      Stockage de la valeur dans le temps (à l’échelle de vie de quelques générations de bipèdes).

 

Les monnaies marchandises en concurrence

 

Pendant ce temps, en Chine, les pièces en métaux vils s’imposent en tant que monnaie– sauf dans l’Etat de Chu (-475 à -223) seul à adopter l’or. Toutefois, même des métaux comme l’étain, le cuivre, le plomb, le fer et leurs alliages possèdent une valeur intrinsèque, contrairement à une « convention sociale ». pour les extraire, il faut de l’énergie, du travail.

 

Anciennes monnaies chinoises

 

Récapitulons.

Si la monnaie n’est pas du crédit, elle est alors marchandise. La monnaie papier ou fiduciaire n’est finalement qu’un équivalent de crédit estampillé par l’Etat. Parmi les monnaies marchandises, les monnaies métalliques se sont imposées grâce à leurs avantages :

Conservation : mieux que le grain d’orge en usage à Sumer avant que l’argent ne le supplante

Stockage de la valeur : la quantité est limitée. Il n’est pas facile de multiplier l’or ou l’argent à volonté, sauf à consommer de l’énergie pour le miner. L’or et l’argent  sont moins faciles à extraire  que le cuivre ou l’étain qui sont plus abondant.

Reconnaissance : l’or et l’argent ne ressemblent pas aux autres métaux

Relative inutilité : personne ne meurt de faim, de froid ou de soif si l’or ou l’argent font l’objet de spéculation. On ne peut pas en dire autant des céréales, du riz ou du pétrole…

 

Monnaie-crédit ou monnaie-marchandise : une différence essentielle

Cette distinction entre monnaie-crédit et monnaie-marchandise est fondamentale.

La monnaie-marchandise sous-tend un modèle économique qui ne repose pas exclusivement sur la confiance, contrairement au crédit. Mais dans ce cas  l’Etat perd le contrôle des registres et la perception de ses recettes fiscales s’en trouve compliquée.

Dès lors, l’histoire monétaire et financière sera animée par la volonté des Etats de contrôler la monnaie-marchandise et de financer des ambitions politiques excédent leurs capacités financières.

Hélas pour les autorités gouvernantes, la capacité financière d’un Etat  ne peut pas excéder celle de ses contribuables… D’où les triches incessantes de la part des autorités lorsqu’elles ne peuvent plus recourir à la taxe pour prétendre qu’elles sont plus riches que la réalité.

Les deux plus belles histoires de manipulation monétaire sont l’hyperinflation de la fin de l’empire romain et la faillite de Philippe Le Bel. Cette dernière nous permettra de découvrir un autre grand penseur de la monnaie : Nicolas Oresme.

Vous reconnaîtrez facilement quelqu’un qui n’a aucune culture financière s’il vous dit que si vous mourrez de soif dans le désert, l’or vous sera inutile pour avoir de l’eau. Dans de telles circonstances, un bout de papier, comme un billet de banque le sera alors encore plus et ne parlons pas d’une carte de débit. Pour avoir vécu en Afrique je peux vous certifier que tout le monde prend l’or…

La suite de l’histoire de la monnaie très bientôt…

[1] Olivier Picard, L’invention de la monnaie et les Empires, De Crésus à Cyrus le Perse et aux Grecs

[2] Emmanuel Le Roy Ladurie, Naissance de la monnaie : du lingot à l’euro, Le Figaro Littéraire, 21 juin 2001

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