Le capitalisme financier est arrivé à un tel point que la hausse des Bourses mondiales ne dépend plus, désormais, que des banques centrales. Plus rien d’autre ne justifie les envolées actuelles.
La phase actuelle de capitalisme financier repose sur un socle qui est celui du crédit, de la monnaie de crédit. L’existence centrale de ce socle impose que systémiquement on puisse, pour accompagner l’accumulation infinie, produire de la monnaie et du crédit à l’infini, sans limite.
Le système impose que les limites de la solvabilité disparaissent et que le discontinu de la solvabilité – un avant et un après –, ce discontinu fasse place au continu des flux de liquidités. La liquidité, les liquidités, occupent une place centrale dans le capitalisme financier.
Mieux même, le système ne peut fonctionner que sur la base de l’illusion de la liquidité sans limite, et donc sur l’existence réelle et sans cesse prouvée, d’un excès de liquidité/liquidités.
Au passage je vous rappelle la meilleure définition que je connaisse de ce mercure insaisissable qu’est la liquidité : c’est quand on croit que l’on va pouvoir vendre plus cher ce que l’on a acheté (dixit un gouverneur de la Fed, Donald Kohn, dans les années 2000).
L’excès de monnaie, ou sa perception, doivent être structurels.
Avec le temps, l’excès de monnaie fait craindre sa dépréciation. On voit bien que c’est le thème dominant dans les réflexions des détenteurs de monnaie : ils ont peur que celle-ci se transforme en monnaie de singe. Soit dit en passant, ils n’ont pas tort car c’est ainsi que finiront nos monnaies fiduciaires : à la poubelle… mais si cela est sûr et certain, ce n’est pas forcément pour demain.
On peut longtemps repousser les limites de la stupidité des peuples.
Toujours plus de dette
La certitude s’articule de la façon suivante : nous sommes dans une financiarisation accélérée de nos systèmes produite par la nécessité de créer toujours plus de dette. Cette dette s’accumule, elle devient instable et, périodiquement, elle crée des crises de liquidités et de solvabilité.
Pour éviter l’effondrement du système ainsi créé, les autorités ont choisi la fuite en avant, c’est-à-dire la création d’une masse de dette de plus en plus accélérée. Les chiffres qui étaient auparavant par milliards sont devenus des centaines de milliards, puis maintenant des milliers de milliards.
La masse des actifs financiers qui, dans les temps anciens, représentaient une fraction du PIB représente maintenant des multiples. On doit être autour des 380% aux Etats-Unis en ce moment si mes souvenirs sont bons.
Il n’y a pas de retour en arrière possible. Chaque fois que cela a été tenté, une crise brutale a été déclenchée sur les marchés d’actifs – et elle a obligé les autorités monétaires à intervenir coûte que coûte, c’est-à-dire en fournissant toute la quantité de monnaie de base que les marchés exigeaient pour se stabiliser.
Les crises se rapprochent
Il faut savoir que, dans des processus de ce type, d’une part les crises se rapprochent sans cesse à cause de l’instabilité et, d’autre part, les masses qui sont en jeu progressent de façon exponentielle.
Nous sommes dans des phénomènes de boule de neige ; les exigences de l’ogre monétaire sont de plus en plus tyranniques.
Tout ceci peut paraître abstrait ou théorique, mais il est possible de faire la jonction avec le vécu psychologique des opérateurs qui forment la communauté spéculative des marchés. En effet, avec l’apprentissage et l’expérience de dizaines d’années de ce processus, ils savent que les autorités monétaires n’ont plus le choix.
Comme ils disent : « On ne peut plus laisser tomber les marchés. »
Présenté autrement, la communauté spéculative a maintenant parfaitement assimilé le fait qu’elle tenait les autorités monétaires en otage et que celles-ci étaient prisonnières d’un sinistre engrenage. C’est cette prise de conscience qui constitue à notre sens – mais aussi à celui de nombreux observateurs – la mutation en cours des marchés.
Vous pouvez étudier de près les journaux et essayer de lire et de décoder les rationalisations et les explications au comportement des marchés ; vous constaterez que toujours, en filigrane, c’est la certitude exposée ci-dessus qui constitue la justification de l’inéluctable hausse.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]