Et ça ne va pas forcément nous faire rire !
Vous connaissez tous l’alternative-gag « j’ai une bonne, et une mauvaise nouvelle »… La bonne, quel que soit l’ordre de sa divulgation, est pire que la mauvaise, ce qui constitue le principal ressort comique du faux paradoxe.
Je vous propose donc son symétrique « positif » avec l’alternative suivante : bonne nouvelle, les marchés sont au plus haut et ils sont en mode « to the moon ». La mauvaise nouvelle – en fait, elle est multiple– c’est que :
- l’endettement des Etats s’accroît de 1 000 Mds$ tous les 100 jours depuis juin 2023 ;
- la charge d’intérêt annuel des US vient de passer elle aussi la barre des 1 000 Mds$ ;
- la Fed n’a pas l’intention de réduire le loyer de l’argent avant juin (et non ce mois de mars comme anticipé l’automne dernier) ;
- elle ne procèdera qu’à 3 ou 4 allègements, et non 7 ou 8 comme l’espérait un large consensus le 27 décembre dernier (date des 1er doutes sur ce scénario de rêve qui a volé en éclats) ;
- les banques régionales poursuivent leur descente aux enfers avec une explosion du taux de défaut sur les cartes de crédit, les prêts auto, et surtout, les promoteurs spécialisés dans l’immobilier de bureau qui enchaînent les faillites ;
- la Chine, également plombé par l’immobilier et un stock de 70 millions de logements invendus, ne parvient pas à relancer son économie… et l’administration Biden a promis de tout faire pour qu’elle n’y parvienne pas, avec de nouvelles taxes et sanctions douanières visant notamment le secteur automobile et informatique ;
- l’Europe joue l’escalade des tensions avec la Russie, avec Emmanuel Macron « envisage » des envois de troupe de l’OTAN en Ukraine, ce que la Pologne et les Etats baltes approuvent (la russophobie est largement répandue dans ces pays), avec le soutien à peine dissimulé d’Ursula von der Leyen qui veut placer son éventuel second mandat sous le signe de l’hostilité à la Russie ;
- l’Allemagne aurait envisagé de participer à la destruction du pont de Kertch, qui relie la Crimée au continent, véritable cordon ombilical de la province annexée en 2014 – après le coup d’état du Maïdan orchestré de main de maître par la CIA –, ce qui constituerait un acte de guerre de l’Allemagne sur un territoire considéré comme russe par Moscou ;
- le New York Times révèle par le menu comment la CIA (toujours elle) a installé 12 bases secrètes (espionnage et formation aux armes occidentales des troupes ukrainiennes) le long de la frontière russe au lendemain du Maïdan, dès la formation d’un gouvernement ukrainien entièrement sous le contrôle de l’administration Obama ;
- et on imagine la réaction de Washington découvrant que la Russie aurait implanté 12 bases « hostiles » au Mexique, pays devenu ouvertement complice de Moscou et qui est depuis peu candidat pour rejoindre les BRICS élargis, le long du Rio Grande, puis de la frontière avec la Californie tandis que des citoyens américains installés là-bas dans de vastes ranchs en pleine propriété seraient régulièrement attaqués et bombardés par l’armée locale : le Mexique serait déjà le 51e Etat américain !
Mais ce qu’il y a de très particulier dans l’alternative « bonnes nouvelles/mauvaises nouvelles » à la sauce « rallye de 2024 », c’est que les marchés se moquent totalement – « intégralement » serait encore plus approprié – des mauvaises nouvelles énumérées ci-dessus.
La preuve : la fin « bullish » du mois de février débouche sur une entame tonitruante du mois de mars, ce qui donne lieu à un feu d’artifices de records (S&P 500, Nasdaq Composite, Nasdaq-100).
Les commentaires entendus à la clôture le 1er mars font état d’un marché en mode « all-in ». Le rallye haussier entamé il y a 18 semaines présente de plus en plus de similitudes avec la période fin 1999/début 2000, avec cette variante singulière qu’il n’existe plus aucune phase de volatilité à la baisse.
Les indices US ont en effet bouclé une 18e semaine de hausse avec un gain hebdo de +1% pour le S&P500 et +2% pour le Nasdaq-100, alors que le secteur des semi-conducteurs s’envolait de +4% ce 1er mars, affichant un gain stratosphérique de +20% en 1 mois, ce qui est bel et bien comparable au comportement des « dot.com » fin 1999 début 2000.
L’indice « SOXX » des semi-conducteurs s’est tout simplement aligné sur Nvidia avec +4% : le n°1 planétaire a retracé son zénith à 826 $ et se hisse au-delà des 2 000 Mds$ de capitalisation (2 055 Mds$) et ravit ainsi la 3e place en terme capitalisation planétaire à Saudi-Aramco (2 036 Mds$).
Il s’est échangé chaque jour de la semaine passée un volume de 30 Mds$ sur Nvidia : c’est l’équivalent de deux semaines d’activité sur le marché parisien.
Nvidia est devenu Wall Street et Wall Street ne respire plus qu’au travers de Nvidia. Ce seul titre pèse plus que le secteur énergie (1 900 Mds$), ou plus que l’ensemble du secteur « immobilier » (environ 1 000 Mds$, en contraction en 2024) + « minier » (environ 750 Mds$) + l’ensemble des valeurs « aurifères » du monde entier (250 Mds$) qui affichent leur plus basse valorisation par rapport au S&P 500 depuis 20 ans.
Mais Nvidia ne représente même pas 1% du chiffre d’affaires de l’ensemble des valeurs de ces secteurs : c’est le plus grand « gap » de valorisation/chiffre d’affaires de l’histoire des marchés.
Nous pourrions conclure cette chronique par une nouvelle alternative : la bonne nouvelle, c’est qu’un seul titre vous procure plus de retour sur investissement en neuf semaines que 250 autres en neuf mois… et Wall Street est convaincu que c’est bien parti pour durer.
La mauvaise nouvelle, c’est que l’élément de langage « la Russie nous menace, la Russie nous attaque » fait irruption dans nos médias moins de six mois après le vote d’une disposition élyséenne autorisant l’Etat français à réquisitionner hommes, moyens financiers et matériel non plus en cas de conflit, mais de « menace » (un mot qui revient un peu trop souvent).
Ne pas oublier l’article 16 de la Constitution de la Ve République qui, en « période de crise », permet de donner des « pouvoirs étendus » ou « pouvoirs exceptionnels » au président de la République française… et une réquisition fait désormais partie de ses options.
Plutôt qu’une réquisition, Bruno Le Maire évoque pour l’instant un grand emprunt « mutualisé » paneuropéen pour affecter l’épargne « dormante » à des projets prioritaires comme la décarbonation et la « souveraineté européenne » (comprendre l’effort de réarmement dans un contexte de désengagement financier des Etats-Unis).
Mais là encore, les investisseurs s’en fichent et assimilent cela à de la « gesticulation », du bruit de fond sans intérêt, puisque rien ne peut arrêter le rallye de Nvidia, sauf peut-être une hausse de l’or au-delà de 2 100 $/oz, qui démontrerait que les acheteurs d’or ont compris quelque chose que les détenteurs d’actions ne veulent ni voir, ni comprendre depuis trop longtemps.