Le Bitcoin n’a pas tenu ses promesses initiales, mais aura surtout servi à enrichir quelques spéculateurs. En revanche, d’autres cryptomonnaies ont de vrais services à rendre.
Le Bitcoin n’est plus une technologie de niche réservée à quelques geeks avertis ou aux militants libertaires.
A l’échelle de la planète, il existerait près de 200 millions de wallets, ces portefeuilles numériques qui permettent de stocker des cryptomonnaies. En France, selon un sondage réalisé par l’institut Kantar TNS, près de 7% des habitants déclareraient détenir ou avoir détenu des cryptomonnaies, dont 68% du Bitcoin.
Le formidable rebond du Bitcoin en début d’année 2023, passé de 16 500 $ au 1er janvier à 23 700 $ un mois plus tard, a remis du baume au cœur des crypto-enthousiastes. Rien de tel qu’une hausse de 43% en un mois pour faire oublier que l’actif numérique avait perdu près des deux tiers de sa valeur en 2022.
La sphère financière s’enflamme de nouveau pour la plus célèbre des cryptomonnaies, et nous voyons refleurir les arguments en faveur d’une hausse permanente de ce jeton par nature déflationniste. Dans un contexte de forte inflation et d’incertitude face à la politique que suivront les banques centrales cette année, se jeter dans les bras du Bitcoin – qui plus est à bas prix – peut sembler une bonne stratégie de protection de son épargne.
C’est oublier que les arguments rebattus par ses partisans restent aussi hypothétiques qu’il y a un an, deux ans, ou même dix ans. Les promesses initiales du Bitcoin n’ont jamais été tenues, et aucun changement majeur de paradigme n’est à attendre cette année.
Plus gênant encore : l’omniprésence médiatique de la première cryptomonnaie a créé des attentes déraisonnables autour de la blockchain, ce qui a eu le double effet de créer une bulle spéculative qui a englouti des milliards tout en maintenant dans l’ombre d’autres projets pourtant plus prometteurs.
Ce que le Bitcoin n’a jamais pu être
Impossible d’échapper à l’enthousiasme communicatif des promoteurs du Bitcoin. Comment ne pas avoir d’appétit pour un « or numérique » qui serait simultanément capable de protéger la valeur de l’épargne dans le temps, s’affranchir des contraintes qui pèsent sur la détention et le transfert de capitaux, rétablir l’anonymat des transactions financières numériques, tout en étant par construction protégé du vol (par les malfaiteurs comme les Etats gourmands) ?
Le problème est que chacun de ces arguments tarde à se matérialiser et reste, près de quinze ans après la naissance du projet de cryptomonnaie, toujours hypothétique.
Au début des années 2010, pouvoir transférer en quelques minutes des fonds n’importe où sur la planète à un coût acceptable était effectivement une promesse alléchante. Alors que les transferts bancaires internationaux se faisaient encore souvent avec des ordres de virement sur papier, passaient par des intermédiaires aléatoires et étaient entachés d’erreurs et de frais prohibitifs, la monnaie numérique offrait une vraie promesse de valeur ajoutée.
Mais le différentiel avec les offres bancaires s’est réduit. Avec l’arrivée des fintech, les transferts internationaux numériques se sont simplifiés, fiabilisés, et leur coût est devenu négligeable.
Dans le même temps, le Bitcoin a prouvé son incapacité à proposer des frais de transaction stables et prévisibles.
Evolution sur cinq ans des frais de transaction sur le Bitcoin en dollars. Infographie : Ycharts
Certains Etats comme la Chine ont même interdit aux entreprises d’utiliser le Bitcoin pour leurs transactions commerciales, cantonnant ainsi la monnaie numérique à des usages illégaux.
La protection de la valeur de l’épargne dans le temps s’est avérée elle aussi être un mirage, comme l’atteste la volatilité du prix du Bitcoin exprimé dans une monnaie internationale comme le dollar américain ou l’euro. Les grands mouvements, qui ont fait le bonheur des spéculateurs et fait naître en quelques années des dizaines de milliers de crypto-millionnaires, sont paradoxalement le signe que le Bitcoin ne peut être considéré comme un bon réservoir de valeur.
Evolution comparée du peso argentin (en turquoise) et du Bitcoin (en bleu) depuis mars 2022 : les monnaies de singe ne sont pas toujours celles que l’on croit…
Même la promesse d’anonymat et d’insaisissabilité des actifs numérique n’a plus lieu d’être. L’année dernière, le FBI a saisi pour plus de 3,6 Mds$ en Bitcoin dans le cadre d’une procédure pour fraude. La National Cryptocurrency Enforcement Team (NCET), fondée par le département de la Justice fin 2021, a montré une surprenante capacité à détricoter un grand nombre de transactions pour retrouver les fonds malgré les efforts de dissimulations faits par les fraudeurs, ainsi que les clés de sécurité privées censées être inviolables.
La blockchain du Bitcoin n’est pas le coffre-fort numérique qu’elle prétend être, et les saisies de portefeuille par les Etats s’avèrent étonnamment faciles.
Ces arguments battus en brèche, il ne reste guère au Bitcoin que sa qualité d’instrument de spéculation.
La blockchain peut-elle s’émanciper ?
Emportée par la médiatisation du Bitcoin, la technologie de la blockchain a elle aussi été mise sur le devant de la scène. Fin 2017, alors que le Bitcoin connaissait son premier grand pic de valorisation, l’engouement est devenu mondial.
Impossible, à l’époque, d’échapper aux conférences sur la blockchain, aux thèses d’investissement sur ce « nouveau monde numérique », et aux promesses de R&D de la part d’entreprises en mal de relais de croissance.
Sur les marchés comme dans le non-coté, bien des investisseurs se sont jetés sur les promesses d’une nouvelle économie portée par ces bases de données décentralisées et réputées inviolables.
Mais comme toute lubie technologique, la blockchain a fini par lasser. Si le Bitcoin a su maintenir sa notoriété, l’attrait du grand public pour la blockchain s’est émoussé.
Evolution de l’attrait pour la requête « blockchain » dans Google. Le pic de 2017 n’a jamais été retrouvé. Infographie : Google Trends
Nés de l’engouement indifférencié pour tout ce qui touche de près ou de loin à cette technologie, les fonds thématiques autour de la blockchain sont donc condamnés à faire perdre de l’argent aux investisseurs. L’évolution boursière de l’ETF VanEck Crypto and Blockchain Innovators en est le parfait exemple.
En investissant tous azimuts dans des entreprises qui utilisent la blockchain, sans considérer l’intérêt opérationnel offert par cette technologie au cas-par-cas, ces fonds ne se diversifient pas pour limiter le risque : ils saupoudrent l’argent géré sur quantité de projets de même fragilité.
La sanction boursière ne pouvait tarder.
Jusqu’à -90% en 12 mois : répartir ses investissements au sein d’un secteur qui n’a pas encore fait son grand ménage ne protège pas des moins-values.
Il s’agit là d’un juste retour des choses. La blockchain rejoint progressivement le rang des technologies innovantes qui sont un moyen d’accomplir plus facilement des tâches, et non une fin en soi.
A l’instar de l’impression 3D, utile pour certains usages industriels mais qui ne méritait en aucun cas l’engouement financier dont elle a fait l’objet, la blockchain a connu une phase d’euphorie excessive qui nécessitait une correction.
Les investisseurs peuvent désormais faire leur travail de recherche de la qualité et dénicher les projets pour lesquels la blockchain joue un rôle tangible. L’écosystème des jetons basés sur la blockchain reste d’ailleurs bien vivant : si les estimations varient selon les sources, le site CoinLore recense, début février 2023, plus de 10 200 cryptos. Elles n’étaient qu’un millier début 2018, alors que la blockchain atteignait ses sommets de médiatisation.
Pour se développer sur des bases plus saines, il faut simplement que cette technologie s’émancipe une fois pour toutes de son créateur. Le Bitcoin n’a pas tenu ses promesses – mais d’autres cryptomonnaies, plus spécifiques, ont de vrais services à rendre.