Alors que Bitcoin rebondit de plus de 11 % après des achats massifs via l’ETF de BlackRock, Larry Fink dévoile sa véritable stratégie : utiliser la blockchain pour absorber l’intégralité des marchés financiers et éliminer une grande partie des intermédiaires.
BlackRock vient probablement de faire bondir le Bitcoin de plus de 11 % en une semaine (de 80 600 $ vers 91 600 $) en ramassant un peu au-dessus de 80 000 $, puis en divulguant ce jeudi avoir réalisé des achats au travers de son ETF BTC.
Larry Fink, PDG de BlackRock (11 500 Mds$ sous gestion), administrateur du plus gros portefeuille institutionnel de Bitcoins (avec MicroStrategy), avait déclaré mi-octobre depuis Hong Kong que l’or et le Bitcoin étaient sur un pied d’égalité comme principaux « actifs de la peur ». Ceux que l’on n’achète que lorsqu’on anticipe la dévaluation des monnaies, une phase d’instabilité financière, voire même des menaces sur l’intégrité physique de la population (comprendre un risque de guerre qui peut justifier de quitter précipitamment une potentielle zone de conflit).
Aussitôt après son discours, le Bitcoin avait entamé sa chute de 115 000 $ vers 80 000 $ (perdant jusqu’à 36 % sur ses sommets), tandis que l’or (4 180 $) n’a strictement rien perdu en six semaines.
Larry Fink avait peut-être un peu négligé de préciser que le Bitcoin, plus qu’un « refuge » face à l’abus de la planche à billets, est surtout un reflet de la quantité de liquidités qu’imprime la planche à billets… mais il avait immédiatement enchaîné sur un tout autre sujet qui représente l’avenir selon lui : la tokénisation de l’intégralité de l’encours des ETF de BlackRock, l’incontestable et intouchable n°1 mondial, tant par la diversité des « thématiques » listées que par la taille des encours et la liquidité de ces instruments.
Larry Fink fait allusion à une classe d’actifs de type « passif » qui représente 5 300 Mds$ d’encours, soit presque 50 % de toutes les sommes confiées à BlackRock. Mais il indique qu’il anticipe l’inscription de tous les actifs financiers (actions, obligations, bons du Trésor, ETF) sur la blockchain.
Tout reposera à terme sur « des maillons de la blockchain » (tokens), c’est-à-dire stockés dans un portefeuille numérique dédié et inviolable.
Tout actif « tokénisé » et revendu pourra alors être instantanément converti en stablecoins (autres tokens) à l’initiative du client, quasiment sans frais et sans intermédiaires (oui, bien sûr, les implications financières et systémiques sont vertigineuses, j’y reviens dans quelques instants).
Larry Fink prédit que « cela va arriver bientôt, pas dans un avenir lointain ».
Ceux qui me lisent ou m’écoutent depuis une décennie connaissent mes réserves face à toutes les vertus que l’on prêtait initialement au Bitcoin :
- statut de « monnaie » alors qu’il ne satisfait que deux caractéristiques fondamentales sur cinq ;
- « or numérique » (le métal précieux a 5 000 ans de bons et loyaux services, les transactions ne génèrent pas un atome de carbone, n’ont pas besoin d’une source d’énergie et d’une armée de « vérificateurs » en réseau avant l’intégration dans une blockchain) ;
- la « décentralisation » et l’absence complète d’intermédiaire qui en fait un actif « libre ».
Libre en théorie, certes, mais cette caractéristique se retrouve profondément remise en cause par BlackRock qui renforce son statut d’administrateur de gabarit planétaire, au travers de ses propres produits dérivés – et des réserves en BTC qu’il détient, de quoi « réguler les cours » –, et qui va progressivement contraindre les utilisateurs à rester dans son écosystème, via des stablecoins adossés à des T-Bonds (voilà qui fait bien les affaires du Trésor américain)… en tant que partenaire privilégié de la Fed.
L’autre avantage, la « transparence fiscale » (pas d’impôts sur les plus-values), a disparu depuis longtemps, sauf dans le cadre de transactions fantômes liées à une économie censée passer sous le radar des autorités bancaires et de la justice (versement de rançons, trafic d’armes et de stupéfiants, blanchiment).
Donc si Larry Fink fait, dès les premières secondes de son récent discours, l’apologie du Bitcoin (qu’il assimilait il y a 10 ans à un outil de blanchiment d’argent sale), c’est qu’il lui a découvert entre-temps des « vertus » irrésistibles… et il ne s’agit pas de son statut d’actif de réserve comme il le prétend !
Il s’agit de « quelque chose de beaucoup plus gros », qui va bouleverser et rebattre les cartes du monde des intermédiaires financiers à l’initiative du plus titanesque d’entre eux, BlackRock, sa propre firme.
Et c’est là que Larry Fink et moi-même partageons la même vision : j’ai toujours soutenu l’idée que la tokénisation (création d’un titre de propriété numérique infalsifiable et inviolable) était l’avenir de la finance, tout comme la dématérialisation des actions et des emprunts (des secteurs privé et public) le fut à l’entame des années 1980.
Il aura fallu attendre environ 40 ans pour qu’une seconde révolution dans le négoce et la conservation des actifs financiers voie le jour… Il ne reste plus qu’à formaliser le cadre légal et unifier les systèmes de transaction, lesquelles deviendront totalement anonymes (je veux dire non traçables par d’éventuels intrus sur les plateformes) et sécurisées.
En tant que principal initiateur et intermédiaire de la planète, BlackRock se prépare à contrôler les futurs rouages du système financier tokénisé. Un système décentralisé en théorie, mais dont les données seraient en pratique collectées et archivées par BlackRock qui s’imposerait de facto comme le tiers de confiance, avec la caution de la Fed.
Cela sous-entend en réalité la convertibilité automatique de tout token provenant d’une vente – et non arbitré entre actions, émissions obligataires, ETF, crypto-actifs – en stablecoin fédéral. Je trouverai peut-être une formulation plus accrocheuse ultérieurement, mais vous comprenez déjà l’idée.
Nous voici déjà très éloignés de ce que les premiers adeptes libertaires des crypto-monnaies avaient en tête. Mais le plus énorme, vous le voyez déjà arriver comme une tornade sous un cumulonimbus doté d’un « anneau » à la base, c’est que toutes les transactions financières au sein d’une architecture blockchain seraient « désintermédiées » !
Et oui, bien sûr, plus besoin de brokers en ligne, plus de commissions sur les transactions — sinon purement symboliques —, plus de chambres de compensation, plus de marché interbancaire (comprenez, location de liquidités), ni de date de valeur, ni de droits de garde, ni de frais de tenue de compte, etc.
C’est la remise à plat totale de l’intermédiation financière telle que nous la connaissons depuis un siècle et demi, pour échanger diverses classes d’actifs par le biais des banques, plateformes boursières, exchanges. C’est le gigantesque gâteau à plusieurs centaines de milliards de dollars des commissions en tout genre qui s’apprête à disparaître, de la même façon que les SMS – autrefois vache à lait des opérateurs télécom – sont devenus gratuits, ou les appels via WhatsApp et autres applis connectées au Wi-Fi. Et ce sont des centaines de milliers d’emplois qui semblent appelés à disparaître, en plus du back-office où une majorité du personnel administratif a déjà été remplacée par de l’intelligence artificielle.
Et le traitement de l’information, des millions de données financières par des « experts » ?
Le super-logiciel Aladdin de BlackRock s’impose depuis longtemps comme le « Big Brother » de la finance : le site Science4all le qualifie « d’intelligence artificielle la plus terrifiante de la planète ».
Il capte tout, analyse tout, dans toutes les langues, en temps réel, actualise ses téraflops de données à la milliseconde, détecte les signaux faibles, ajuste ses stratégies d’allocation et prend des millions de décisions avant même que vous ayez lu la moindre petite phrase émanant d’un membre de la Fed ou commentaire d’un dirigeant de Nvidia… ou que Keir Starmer vient de trébucher au G20, ce qui pose des questions sur son équilibre mental.
Mais Larry Fink ne menace pas que le modèle économique des banques : il prédit la mort de ce qui les relie toutes entre elles, à savoir le système de transfert de virements bancaires sécurisé SWIFT, qu’il décrit comme « un système hérité des années 1970, lent, fragmenté et coûteux ».
La tokénisation, donc la désintermédiation, va de facto rendre SWIFT obsolète et inutile dans tout ce qui concerne les échanges d’actifs financiers.
Et Larry Fink a oublié d’ajouter que la tokénisation est la solution technique suivie par la Chine depuis des années pour fluidifier et sécuriser les échanges financiers entre les BRICS et autres partenaires de la route de la soie, via un environnement blockchain intraçable pour les logiciels espions américains, lesquels connaissent pratiquement tout ce qui transite par SWIFT.
