La Chronique Agora

Bitcoin est-il le téléphone de la monnaie ?

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▪ Un lecteur nous écrit depuis la Suisse :

"Vous commencez à devenir un spéculateur… Je suis extrêmement surpris et déçu".

"Passer de l’or à une devise virtuelle… Vous êtes en train de perdre la tête".

"Je suis à Montreux à l’occasion d’une conférence pour les family offices les plus riches d’Europe. Personne n’accorde la moindre chance à cette devise virtuelle".

"Nous venons d’avoir une session sur la manière dont les familles perdent de la richesse à long terme — je pense que Bitcoin peut être ajouté à la liste".

Eh bien, une petite clarification s’impose. Nous ne sommes pas assez fou pour recommander de placer toute la fortune familiale dans les Bitcoins. Quant à la spéculation, nous nous contentons de spéculer sur des idées… non sur des investissements. Bitcoin, en tant qu’idée, vaut la peine de spéculer un peu.

Parallèlement, un autre lecteur nous envoie ce point de vue de Matthew O’Brien, du magazine The Atlantic :

"Bitcoin est une pyramide de Ponzi que les ultra-libéraux utilisent pour s’enrichir mutuellement — parce que l’or ne leur suffisait pas".

Une pyramide de Ponzi ? Quoi ? Pour ça, il faudrait un Ponzi… un grand ordonnateur qui attire frauduleusement les investisseurs puis prend leur argent pour payer les investisseurs précédents. Ce n’est pas ainsi que fonctionne Bitcoin.

▪ Bitcoin, un peu plus qu’une simple facilité de paiement
M. O’Brien voit un parallèle entre Segway, la société fabriquant des transporteurs personnels, et Bitcoin. C’est vrai que les gens avaient fait d’ambitieuses prédictions pour les deux. C’est vrai aussi que Segway n’a pas révolutionné les transports. Et peut-être que Bitcoin ne révolutionnera pas le système monétaire.

Nous n’en savons rien. M. O’Brien non plus. Mais il pense savoir :

"Ce qui est révolutionnaire, c’est qu’il s’agit d’un système de paiement où aucun tiers — comme une société de carte de crédit, par exemple — ne se situe entre les acheteurs et les vendeurs. Chaque achat est comme un petit acte de foi. On choisit de croire que le vendeur livrera la marchandise comme promis — et si ce n’est pas le cas, on souhaite être remboursé. C’est là qu’interviennent les intermédiaires financiers comme les entreprises de carte de crédit ou PayPal. Ils s’assurent que les acheteurs et les vendeurs sont dignes de confiance, et traitent les disputes éventuelles".

"Certes, il est agréable de pouvoir récupérer votre argent si les choses tournent mal, mais ce n’est pas gratuit. Les intermédiaires prennent leur part. Bitcoin, en revanche, n’a pas d’intermédiaire. C’est simplement un système peer-to-peer décentralisé. Vous ne pouvez pas récupérer vos Bitcoins si les choses tournent mal — mais il n’y a pas de frais de transaction. La question est de savoir si ceux qui ne sont pas encore convaincus penseront que cet échange en vaut la peine".

"[…] Les gens qui ont des Bitcoins n’ont toujours pas de raisons de les dépenser, et les gens qui n’en ont pas n’ont toujours pas de raisons d’en avoir. Ils ne veulent pas d’une devise dont on ne peut prédire la valeur d’une heure sur l’autre. Ils ne veulent pas acheter de manière anonyme. Et ils ne veulent pas que les transactions soient irréversibles (ce qu’ils voudraient encore moins s’ils se faisaient pirater)".

"Toutes les grandes idées commencent par avoir l’air insensées. Mais toutes les idées qui semblent insensées ne finissent pas par être grandes. L’histoire regorge de Segways. En dépit de sa majestueuse ringardise, au moins le Segway était-il vaguement utile. On pouvait vraiment filer sur les trottoirs sans le moindre effort. […] Que faire avec des Bitcoins, en revanche ? Eh bien, ils peuvent servir à spéculer pour de vrai et pour de faux. Dans la mesure où il n’a pas de véritables fondamentaux, il peut valoir n’importe quoi : un Bitcoin à 36 000 $ ou un Bitcoin à 36 $ sont à peu près aussi plausibles l’un que l’autre. C’est parfait pour gagner de l’argent aux dépens de ceux qui sont entrés plus tard dans la partie, mais guère autre chose".

Ce pauvre M. O’Brien manque d’imagination. S’il avait été là lorsque le téléphone a été inventé, il aurait probablement remarqué : "qui en voudra un ? Cela ne fonctionne que si on a quelqu’un à appeler. Et à ce jour, il n’y a que 109 de ces appareils dans toute l’Amérique du Nord".

D’abord, la valeur de toute innovation est obscure. Son prix doit être volatil. Son utilité immédiate, elle aussi, sera limitée.

La plupart des innovations échouent. Mais pas toutes. Nous ne sommes pas en train de dire que Bitcoin fera partie des succès. Cela pourrait s’effondrer et mourir demain, pour autant que nous en sachions. Mais la promesse des devises virtuelles… des crypto-monnaies… est, comme le téléphone, révolutionnaire.

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