La théorie entourant sa création était enthousiasmante… mais les fragilités de Bitcoin commencent à se faire de plus en plus visibles – et elles ne sont pas anodines. En fait, une lourde épée de Damoclès pèse sur l’avenir de la cryptomonnaie…
Les parures libertaires qui habillaient le bitcoin lors de sa création ne sont plus que des lambeaux.
La plus célèbre des cryptomonnaies est née autour d’une idéologie – fort enthousiasmante au demeurant – d’émancipation de nos paiements du contrôle Etatique. Elle est en train de perdre ce pari.
Vu de France, les choses restent relativement stables pour les cryptomonnaies. Le poids de l’Etat s’est, tout au plus, manifesté lors de la déclaration d’impôts chez les investisseurs ayant profité du bull market de 2020.
Il peut être tentant de conclure, dans nos frontières, que les pouvoirs publics restent sagement à l’écart de l’utilisation « de bon père de famille » du bitcoin, se tentant de réclamer une obole pour les spéculateurs chanceux.
Ce calme législatif hexagonal ne doit pas faire oublier la tempête qui se déroule à l’étranger. Sur la question des cryptomonnaies, l’Europe est en retard législatif sur ses voisins. Il faut donc regarder la situation internationale pour savoir quelle tendance s’appliquera chez nous dans quelques mois ou années.
Les exemples nord-américains et chinois sont formels : les Etats sont en train de reprendre la main sur le bitcoin.
Quand Oncle Sam confisque les bitcoins
Début mai, le plus grand opérateur d’oléoducs aux Etats-Unis, Colonial Pipeline, a été frappé par une attaque de type « rançongiciel ».
Les pirates ont mis à mal les systèmes informatiques du groupe, qui a été contraint de suspendre le fonctionnement d’un oléoduc de 8 800 km transportant du diesel et de l’essence depuis Houston jusqu’à New York. Sur la côte est des Etats-Unis, la panique s’est emparée des consommateurs qui craignaient une pénurie de carburant durable.
Afin de parer au plus pressé, Colonial Pipeline a décidé de verser aux attaquants la rançon demandée de 75 BTC tout en impliquant les autorités. Ces dernières ont annoncé, mi-juin, avoir réussi à saisir pas moins de 63 BTC après avoir traqué leur cheminement dans la blockchain.
Les spécialistes savent que, contrairement aux idées reçues, les transactions en Bitcoin sont loin d’être secrètes. C’est même tout le contraire : le principe de la blockchain étant une traçabilité et une publicité totale des échanges, il est impossible de perdre la trace d’un Bitcoin. Dès qu’il revient dans la sphère réelle pour une utilisation liée à un nom ou une adresse, son bénéficiaire peut être identifié et interpellé.
La rapidité avec laquelle la saisie a été faite montre que les gouvernements ne sont plus du tout des spectateurs naïfs face aux transactions en cryptomonnaies. Ils disposent de moyens de surveillance en place, doublés de moyens d’action rapide en cas d’usage non approuvé.
Or, si identifier les contrevenants est une chose, saisir les sommes reste normalement techniquement impossible. En mettant la main sur les bitcoins, Oncle Sam a montré aux spécialistes sa capacité à obtenir (ou pirater) les clés privées des portefeuilles concernés.
A l’heure de l’écriture de ces lignes, la manière dont les autorités ont fait sauter ce verrou réputé secret et inviolable est encore inconnue.
S’agit-il du résultat de simples saisies de matériels ? D’un piratage légal des ordinateurs des criminels ? Existe-t-il une faille dans le mécanisme de cryptage de la blockchain – auquel cas la technologie dans son ensemble serait remise en question ?
Il faudra que Washington montre rapidement patte blanche pour éviter que le doute ne s’installe quant à la solidité du bitcoin – à moins que ce ne soit, évidemment, le but recherché.
La Chine fait place nette pour son crypto-yuan
La récente démonstration de force des USA n’est pas la seule épine dans le pied de Bitcoin. L’étau se resserre également dans l’Empire du Milieu.
Début mai, Pékin mettait de nouveaux bâtons dans les roues de la crypto en renforçant la réglementation anti-minage et anti-spéculation. Trois institutions ont dû interrompre les services liés à l’acquisition, le stockage et le paiement en bitcoins. La lente intégration entre la blockchain et le système bancaire traditionnel s’est ainsi interrompue du jour au lendemain.
Début juin, ce sont les comptes Weibo (équivalent de Twitter) des grandes figures locales des cryptomonnaies qui ont été suspendus.
Le message est clair : pas question de laisser s’installer des leaders d’opinions capables d’envoyer, d’un seul message, le cours du bitcoin au ciel ou au tapis par la seule force de leur nombre d’abonnés. Se faire une e-réputation autour des cryptomonnaies n’est plus une activité acceptable dans l’Empire du Milieu.
La nature ayant horreur du vide, Pékin a d’ores et déjà anticipé la suite des événements. L’une après l’autre, les plates-formes de paiement dématérialisé JD, Alipay et WeChat se sont liées au crypto-yuan. Le futur de la consommation des 1,2 milliards de Chinois est sans doute de payer grâce à son smartphone depuis un portefeuille alimenté en cryptomonnaie – mais le sous-jacent ne sera certainement pas du bitcoin.
La fragilité de Bitcoin de plus en plus exposée
La bataille d’arguments entre crypto-enthousiastes et crypto-sceptiques se déroule sur de nombreux terrains. Instabilité du prix, coût écologique, limitations techniques intrinsèques et quasi-impossibilité d’usage dans la vie quotidienne sont autant de limites bien réelles à l’adoption massive du bitcoin.
Pourtant, ce ne sont pour moi que des problèmes secondaires par rapport à l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de la tête des cryptomonnaies. En soi, l’instabilité du prix est propice à la spéculation, la lenteur du réseau est un non-problème tant que le bitcoin ne sert pas aux transactions du quotidien, et il est facile de détourner pudiquement le regard face à la consommation électrique gargantuesque du réseau.
Si vous nous lisez de longue date, vous savez que le scénario noir pour Bitcoin et ses petites sœurs reste la sanction législative. Lorsque les Etats sifflent la fin de la partie, les monnaies non-officielles deviennent marginales.
C’est vrai lors du remplacement d’une devise nationale par un autre, ce fut tout aussi vrai dans le passé lors des interdictions de détention d’or physique, ce sera également le cas lorsque le bitcoin aura été déclaré illégal.
Bien sûr, la cryptomonnaie ne disparaîtra pas pour autant totalement. Il se pourrait même que son usage devienne alors, ironie des choses, majoritairement dédié au stockage de valeur pour les activités illégales, les citoyens lambda jetant leur dévolu sur d’autres systèmes de paiement.
Reste que son cours, dopé ces derniers mois par l’afflux d’investisseurs particuliers impatients de se joindre à la fête, ne pourra plus profiter de l’épargne populaire. La question à 60 000 $ est donc la suivante : à votre avis, combien vaudra un bitcoin lorsqu’il ne restera plus que les criminels endurcis pour oser braver les interdits étatiques ?