En matière de cryptomonnaies comme ailleurs, il faut être très vigilant vis-à-vis de ceux qui jouent les zélateurs. Faut-il pour autant gober les arguments de ceux qui leur sont hostiles ?
Bill Gates déteste tellement les cryptomonnaies qu’il les considère comme mortelles.
Pour ceux qui n’avaient pas bien saisi son opinion sur ce sujet, le cofondateur de Microsoft a enfoncé le clou fin février lors d’une session « Ask Me Anything » sur Reddit.
« La principale caractéristique des devises crypto est leur anonymat. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. La capacité du gouvernement à repérer le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et le financement du terrorisme est une bonne chose. A l’heure actuelle, les cryptomonnaies servent à acheter du fentanyl et d’autres drogues. C’est donc une technologie qui a causé des décès de façon assez directe. Je pense que la vague spéculative autour des ICO et cryptomonnaies est super risquée pour ceux qui restent positionnés », a-t-il déclaré.
Bill Gates nous ressort le bon vieil argument erroné/sophisme de l’anonymat. Commençons par rappeler que très rares sont les cryptomonnaies qui se veulent anonymes.
Pour ce qui est de Bitcoin, c’est précisément le contraire. Toutes les transactions étant inscrites sur un registre public, il s’agit d’une crypto non pas anonyme mais pseudonyme, au sens où lorsque vous connaissez l’identité des personnes qui détiennent des adresses, vous pouvez suivre quasiment en direct les transactions qu’elles réalisent entre elles.
Par ailleurs, pour ce qui est des cryptos qui se revendiquent comme anonymes, le caractère non-traçable des transferts entre deux adresses est parfois remis en cause par la découverte de failles de sécurité. Comme le dit Riccardo Spagni, manager au sein de l’équipe de développement de Monero, « la confidentialité n’est pas une chose que vous accomplissez, c’est une bataille constante entre le chat et la souris ».
Enfin, dire que les cryptos sont « une technologie qui a causé des décès de façon assez directe » au prétexte qu’elles permettent de se procurer des drogues revient à énoncer un épouvantable sophisme. A votre avis, quels moyens de paiements sont les plus utilisés pour acheter des drogues, des armes, financer des opérations terroristes ou que sais-je encore, si ce ne sont les devises étatiques à cours légal dominantes ? Bill Gates appelle-t-il pour autant à les interdire ? Evidemment pas.
Début mai, il remettait le couvert avec un nouveau sophisme. « Je parierais contre le bitcoin s’il y avait un moyen facile de le faire. En tant que classe d’actifs, vous ne produisez rien alors vous ne devriez pas vous attendre à voir son cours augmenter […]. Le bitcoin et les ICOs sont les choses les plus spéculatives et insensées du moment », a-t-il déclaré lors d’une interview sur CNBC.
Le dollar, l’euro, l’or produisent-ils quelque chose ? Non. Bill Gates échange-t-il une action Microsoft contre une remorque de Coca Cola lorsqu’il a envie de boire un coup ? Pas que je sache. Pas étonnant, puisque l’économie de troc a été abandonnée depuis bien longtemps au profit des monnaies fiduciaires, dont le cours varie les unes par rapport aux autres en fonction de la confiance (fiducia en latin) que le public mondial leur accorde. Il n’en va pas autrement pour le bitcoin.
Quand Charlie Munger voit des cerveaux de bébés partout
Charlie Munger, comme Warren Buffett, est né à Omaha. En 1924 pour Munger et en 1930 pour Buffett. Ensemble, ils ont dirigé la société d’investissement Berkshire Hathaway pendant plus d’un demi-siècle avec le succès qu’on leur connait. En 2004, Bill Gates les a rejoints au directoire de la société, ce qui lui vaut de régulièrement côtoyer les deux géants de la gestion financière.
Au mois de mai, Charlie Munger donnait un entretien à Yahoo Finance. Comme le note Yves Bennaïm dans le magazine suisse Bilan, « il y explique que son absence de valeur intrinsèque peut entraîner une spéculation artificielle ‘anti-sociale, stupide et immorale’ comparable à ‘gagner beaucoup d’argent en trafiquant des cerveaux de bébés fraîchement récoltés’. »
Que dire ? Pas grand-chose, si ce n’est que peut-être que le nonagénaire voulait battre Warren Buffett dans un concours d’hyperboles, ce dernier ayant déclaré quelques jours auparavant que Bitcoin était « probablement de la mort-aux-rats à la puissance carrée ».
Le sophisme ultime : Bitcoin pollue trop
Vous l’avez sans doute lu des dizaines de fois : Bitcoin a un énorme point faible, il consomme énormément d’énergie et, par cela même, il pollue. Il s’agit donc d’une monnaie antiécologique que tout défenseur des cerveaux de bébés se doit de conspuer comme il se doit.
Prenons cette « analyse » de Libération que m’a envoyé un ami le 5 janvier, en me disant qu’elle allait sans doute me faire « bondir »…
Voici ce que je lui répondais :
« La question de la consommation énergétique du bitcoin est un énième sujet sur lequel les médias grands publics font montre d’un je-m’en-foutisme le plus total.
Au mieux a-t-on droit à des sophismes du type ‘Horreur, consommation énergétique du BTC = consommation énergétique du Danemark’. Mais le bitcoin a-t-il vocation à remplacer le Danemark ? Non, il prétend être une alternative au système bancaire. Par conséquent, les seules comparaisons qui valent sont celles qui mettraient en perspective la consommation énergétique du bitcoin avec la consommation énergétique du système bancaire et de celles de Visa, MasterCard et consorts.
Curieusement, ce genre de raisonnement (et a fortiori les chiffres qui vont avec) est absent des médias grand public. Par ailleurs, un article qui traite de ce sujet au 5 janvier 2018 et qui ne mentionne pas les avancées sur le Lightning Network (qui va drastiquement faire baisser le coût des transactions) est juste une plaisanterie de vendeur de papier subventionné à grands coups d’argent des contribuables. Voilà ce qui me fait vraiment bondir ! »
Certains commentateurs respectés avancent que les cryptos sont déjà plus écologiques que les monnaies fiduciaires. C’est l’opinion qu’a avancée Joseph Young sur CryptoCoinsNews le 26 mai.
« Bitcoin et les cryptomonnaies posent un problème énergétique ?
Les employés de la Fed ne s’asseyent pas pour peindre à la main toute la journée des portraits de Benjamin Franklin sur des bouts de papiers et fabriquer des billets de 100 $.
Cela consomme de l’énergie, de l’électricité et du travail manuel.
Cela coûte significativement moins de produire des cryptodevises. »
Lightning Network, que bitcoin.fr définit comme « la technologie permettant de contourner ces limitations, en proposant de créer un réseau de paiement en surcouche de la blockchain Bitcoin », a beaucoup progressé depuis janvier. Mi-mars, sa version bêta a été déployée. Ce réseau n’en est bien sûr qu’à ses débuts, mais il est important de noter que des processeurs de paiement (comme CoinGate, « qui permet aux entreprises d’accepter plus d’une cinquantaine de crypto-monnaies et d’être payé dans la devise de son choix », selon bitcoin.fr), l’expérimentent déjà.