Le troupeau est d’abord apparu comme un nuage de poussière venant du nord-ouest.
Il faudrait encore deux heures avant que nous entendions les vaches mugir et les gauchos crier et hululer.
Dans le tumulte du rassemblement, les vaches sont séparées de leurs veaux. Ils s’appellent désespérément jusqu’à être réunis.
Les bêtes meuglent aussi pour d’autres raisons — probablement le dégoût d’avoir été cravachées par les gauchos et harcelées par leurs chiens pendant trois ou quatre heures.
Nous n’avons pas rejoint la troupe ce matin.
Gustavo, le nouvel intendant du ranch, nous a poliment demandé si ça ne nous embêtait pas de céder notre cheval à l’un des gauchos.
Nous nous sommes demandé si Gustavo pensait nous rendre service… s’il avait vraiment besoin du cheval… ou s’il s’inquiétait de notre sécurité.
L’an dernier, il nous a vu chuter d’un cheval en tentant d’arrêter un taureau emballé. Il ne souhaite pas voir son patron piétiné — ça ralentirait toute l’opération |
L’an dernier, il nous a vu chuter d’un cheval en tentant d’arrêter un taureau emballé. Il ne souhaite pas voir son patron piétiné — ça ralentirait toute l’opération.
Le retour de Jorge
Une fois le bétail arrivé à l’enclos, les cow-boys — Gustavo, Samuel, Pedro et Natalio — mirent pied à terre.
Pablo a pris la place de son frère José, dont la femme, Silvia, avait dû retourner à l’hôpital pour faire de nouveaux examens. (Elle s’était plainte d’un mal de tête, suite à quoi tout le côté droit de son corps avait été paralysé. Cela ne semble guère encourageant, mais nous attendons le diagnostic des médecins).
Nous avons tous été heureux de voir Jorge arriver en voiture. Il n’avait pas pu résister au rassemblement. Il était simplement venu donner des conseils… mais ne tarda pas à se retrouver en tenue de travail, une grosse seringue hypodermique à la main. Il est à la retraite mais a pris en charge les vaccinations malgré tout.
Tout le monde avait une tâche à accomplir, votre correspondant compris.
Les jeunes garçons — des changos, Samuel et Pablo — faisaient tournoyer leurs lassos et criaient après les bêtes… se lançant dans le troupeau pour les conduire vers l’entrée de la manga.
Ladite manga est un long conduit fait de hauts murs de pierre, où les bêtes sont compressées en file indienne. Elle mène à un couloir de bois, où un certain nombre de portes et de carcans permettent aux cow-boys de travailler sur les bêtes l’une après l’autre.
Les vaches couraient en tous sens, tentant d’éviter l’entrée de la manga ; elles devaient savoir que ce qu’elles y trouveraient ne leur plairait pas.
Un nuage de poussière s’élevait au-dessus de l’enclos. Petit à petit, par groupes de trois ou quatre, les animaux allèrent là où ils étaient censés aller.
Lorsqu’enfin les bêtes arrivaient dans le couloir, les portes étaient fermées devant et derrière elles |
Les changos fermèrent alors les portes et montèrent sur les murs de pierre qu’ils parcouraient en poussant le bétail avec de longs bâtons pour le forcer à avancer.
Samuel avait même une pique à bétail électrique — la première que nous ayons vue au ranch.
Lorsqu’enfin les bêtes arrivaient dans le couloir, les portes étaient fermées devant et derrière elles. Les vaches ainsi immobilisées, Jorge pouvait leur administrer une piqûre de vaccin anti-parasites.
Jorge (au premier plan) surveille la vaccination
Geraldo (qui ne fait pas partie de notre équipe, mais est autorisé par le gouvernement à surveiller les vaccinations) leur donnait une piqûre supplémentaire contre la brucellose.
Gustavo luttait avec les veaux, leur mettant un morceau de plastique jaune dans le nez pour les empêcher de téter leur mère.
En ce qui nous concerne, nous manoeuvrions l’une des portes… suivant les appels de Jorge — arriba ou abajo (vers le haut ou vers le bas) — selon la direction que les bêtes devaient prendre.
Celles partant abajo seraient renvoyées dans la grande vallée d’où elles venaient. Les autres seraient menées vers Compuel. Nous n’avons pas compris le processus de sélection, mais il n’y avait pas le temps d’en discuter.
Poussière, vacarme et action
Ouvrir et fermer une porte peut sembler être le travail le plus facile, mais nous avons vite réalisé qu’il comportait ses propres responsabilités, dangers et défis.
« Fermez la porte », criait Jorge… ne nous donnant qu’une seconde ou deux pour réagir.
Parfois, il était trop tard. Une fois qu’une vache — ou pire, un taureau — avait passé la porte, ne serait-ce que jusqu’au cou, il était impossible de l’arrêter. Et de temps à autre, un animal perdait la tête.
L’un d’entre eux, avec des cornes, nous sauta dessus, devant la porte, tentant de franchir le mur pour sortir de la manga. Nous avons sauté en arrière juste à temps pour éviter d’être éventré… mais nous sommes resté prudent le reste de la journée.
Les gauchos cravachaient, poussaient et faisaient tourner leurs lassos — tout en criant des menaces ou des encouragements au bétail |
Toute la scène n’était que poussière, vacarme et action. Les gauchos cravachaient, poussaient et faisaient tourner leurs lassos — tout en criant des menaces ou des encouragements au bétail.
Les plus âgés administraient les médicaments et rendaient leur jugement… toujours en s’interpellant au-dessus des meuglements et du tintamarre général.
Il arrivait qu’un veau se fasse piétiner dans la manga. Les animaux plus grands — y compris de gigantesques taureaux — marchaient sur le pauvre petit veau, le laissant pour mort. Il arrive que les petits meurent effectivement, mais cette fois-ci, les deux victimes ne tardèrent pas à se remettre.
Chaque fois, Gustavo sautait au sol, prenait la tête du veau et la tenait levée. Jorge le suivait de près. Aiguille à la main, il faisait une piqûre au veau. Quelques secondes plus tard, la bête semblait reprendre ses esprits et se remettait sur pied.
Lorsque le soleil se coucha, nous avions fini notre ouvrage — ayant traité 195 vaches et 83 veaux.