▪ Les marchés se sont montrés déçus de ce que la BCE aurait dû dire et n’a pas dit… et ils redoutent ce que la Fed pourrait dire mais qu’ils n’ont pas envie d’entendre.
Cela fait maintenant cinq séances que les actions baissent. Les deux premiers replis n’ont eu l’air de rien et le troisième a complètement pris les opérateurs de court… enfin en particulier ceux qui détenaient des valeurs françaises.
Personne n’a vu venir le coup ; nous n’allons pas faire le malin en prétendant que ce scénario était écrit et que les raisons de voir une correction s’enclencher étaient aussi nombreuses que les séances de stagnation du CAC 40 avant qu’il ne dévisse sous les 4 200 points.
Nous ignorons encore quel est le catalyseur. Nous avions énoncé des pistes dans notre Chronique de mercredi et nous y rajoutons celle du délit d’initié concernant les trop bonnes statistiques publiées cette semaine… et en fait, le lendemain même du coup de tabac sur les places européennes (et oui, allez comprendre, les chiffres sont américains mais la correction a frappé sur l’autre rive de l’Atlantique).
Bien évidemment Wall Street n’est pas épargné. Les indices américains alignent une cinquième séance de repli consécutif — à part le Nasdaq et le Russell 2000, qui ne se sont repliés que quatre fois sur cinq depuis vendredi dernier. Cependant, les écarts sont une nouvelle fois modestes et presque insignifiants en regard des scores observés en Europe ce jeudi (-1,3% en moyenne).
Au final, le Dow Jones et le S&P 500 s’effritaient de 0,43% jeudi soir, et le Nasdaq de -0,12%, ce qui porte le repli hebdomadaire moyen à 1,25%. Parallèlement, le CAC 40 affichait -4,5% et l’EuroStoxx 50 -4,3%.
▪ Une correction incomplète
Nous en sommes réduit à valider cette constante : plus les marchés sont chers, plus les PER sont stratosphériques, moins ils corrigent.
Le Nasdaq reste par exemple l’indice qui a le plus progressé cette année… et c’est celui qui malgré tout perd le moins de terrain cette semaine : à peine -0,7%, c’est 0,5% de moins que ce que Paris a perdu ce jeudi.
Le CAC 40 a clôturé sur des niveaux qu’il n’avait jamais approchés depuis des semaines. Il efface tous ses gains depuis le 10 septembre dernier.
C’est rageant : nous qui avions fini par nous demander si le rattrapage algébrique de +40% que certains nous promettaient par rapport au zénith de 2007 n’allait pas finir par se produire, des fois que le marché ait oublié de comptabiliser tous les dividendes versés depuis l’été 2007…
▪ Les banques centrales s’expriment
L’actualité de jeudi a été dominée par les réunions de banques centrales. La BCE, tout comme la Banque d’Angleterre, a maintenu tous ses taux directeurs inchangés.
Mario Draghi a profité de la conférence de presse de jeudi après-midi pour affirmer que personne au sein de la BCE n’a proposé de modifier l’un des trois taux de référence (notamment de prises en pension). De même, il n’est pas question d’instaurer des taux négatifs pour inciter les banques à prêter davantage ; il s’avère que la demande de crédit demeure limitée, malgré un loyer de l’argent très faible.
La BCE a maintenu son estimation de PIB dans l’Eurozone à -0,4% en 2013 — mais la croissance remonterait à 1,1% en 2014 (contre 1% précédemment) et 1,5% en 2015.
Que ce soit en 2014 ou 2015, et compte tenu de profils de croissance qui demeureront très disparates, il est à peu près certain que l’emploi ne repartira pas ces deux prochaines années.
Une guerre des salaires déflationnistes est déjà enclenchée entre les pays du sud de l’Europe et ceux du nord. Loin d’envisager de faire marche arrière avant que les pouvoirs d’achat soient au tapis, de nouveaux plans d’austérité sont à l’étude au Portugal et en Slovénie. Ils ont cependant peu de chances d’être adoptés tels que, malgré la pression mise par le FMI.
L’objectif des 2% d’inflation réitéré en début d’année 2013 est complètement enterré et la BCE ne prévoit pas plus de 1,1% en 2014 et 1,3% en 2015
▪ De l’inédit dans l’économie
Mario Draghi ne redoute pas de scénario inflationniste à la japonaise (comme dans les années 90), toutefois, car les fondamentaux et l’environnement bancaire ne sont pas comparables : pas de surinvestissement des banques dans le secteur privé et une large diffusion de la dette entre les mains de créanciers étrangers, contre une détention très majoritairement domestique au Japon.
Admettons que les cas de figure soient très différents. Cela n’empêche pas de nombreux économistes de pencher en faveur d’un scénario déflationniste jusqu’en 2016 puisque Janet Yellen semble considérer qu’aucune remontée des taux ne devrait se produire avant trois ans.
C’est là que nous sommes effectivement confrontés à de l’inédit. En effet, jamais depuis 100 ans — et la création de la Fed –, un président de banque centrale n’a eu à gérer une repentification de la courbe des taux en partant de zéro.
Au Japon, cela fait juste 23 ans que les économistes attendent que cela se produise. Malgré tout l’argent injecté depuis neuf mois, cela ne semble pas encore près d’arriver.
Mais la Banque du Japon s’y est certainement mal prise… Et si elle a tout essayé, eh bien, c’est qu’elle a mal essayé !
La BCE dispose heureusement de nombreux outils pour agir contre la déflation et elle reste prête à agir… Elle se veut à ce point convaincue que « ce sera suffisant » qu’un LTRO — ou un « QE éternel » à l’européenne — ne semble pas faire partie des options étudiées.
Elle prend cependant un gros risque en tentant de faire passer un revolver en plastique pour un pistolet mitrailleur : on ne bluffe pas avec la déflation.