La Chronique Agora

Attention aux baux qu’accorde votre SCI familiale

SCI familiale

Le fisc peut faire basculer votre SCI familiale vers le régime défavorable de l’impôt sur les sociétés « à l’insu de son plein gré » ! Voici comment vous prémunir contre ce risque.

Comme l’indique son nom, la SCI est une société dont l’objet social est civil, c’est-à-dire qu’elle a vocation à gérer un patrimoine privé. En tant que telle, elle est soumise par défaut à l’impôt sur le revenu (IR). Son objet ne doit pas être commercial car sinon elle devient passible de l’impôt sur les sociétés (IS).

Or, tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, une SCI peut se retrouver à l’IS si elle passe certains baux. Ce glissement juridique a de lourdes conséquences…

La SCI à l’IR a pour elle la simplicité : une comptabilité allégée qui vous dispense de faire appel à un expert-comptable. En revanche, la SCI à l’IS – qu’on appelle également société opaque – s’adresse à un public différent : patrimoine important, recherche d’une réduction de l’impôt sur le revenu de ses associés, visée dynastique même parfois !

Elle entraîne des procédures comptables lourdes, alignées sur celles des entreprises, et un risque de double imposition : impôt sur les bénéfices sociaux, puis ensuite impôt sur le revenu majoré des prélèvements sociaux (PS) prochainement portés au taux confiscatoire de 17,2% sur les dividendes distribués.

Un certain profil de gestion des biens de votre SCI ou encore la rédaction de baux contenant des clauses spécifiques peut vous faire basculer en régime d’opacité fiscale. Ceci vous expose lors d’une procédure de contrôle fiscal à une requalification potentiellement douloureuse.

La société civile qui se livre à une activité de type commerciale entre dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés (1). Certes, l’administration fiscale tolère certains « petits » arrangements. Toutefois, les situations suffisamment explicites vont justifier un basculement à l’IS.

Pas plus de 10% de recettes commerciales

Dans sa doctrine administrative, Bercy autorise une petite souplesse vu les conséquences potentiellement adverses de l’assujettissement à l’IS. Ainsi, 10% de recettes à caractère commercial sur l’ensemble des recettes totales permet de rester dans le régime à l’IR (2). Souplesse complémentaire, le dépassement du seuil de 10% s’apprécie avec un calcul moyen sur l’année et les trois précédentes, ou bien sur la durée totale écoulée depuis la création de la SCI si celle-ci a moins de quatre ans d’âge.

Comment éviter les « recettes commerciales » ?

Encore faut-il s’accorder pour qualifier ce qui est commercial ou non parmi les recettes. Le doute peut parfois subsister – c’est donc la rédaction des baux qui est examinée à la loupe. Voici comment prévenir les situations dangereuses et aussi vous défendre en cas de contrôle.

Les locations meublées lorsqu’elles sont exercées hors SCI relèvent toujours des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) (4) et par extension cela se reporte dans le cas d’une SCI.

Louer en meublé 15 jours par an…mais tous les ans démontre bien une activité commerciale – a contrario, on en déduira qu’une durée courte et location ponctuelle en meublé font échapper au changement non souhaité (ni souhaitable !) de régime.

La jurisprudence après avoir longtemps hésité entre le critère quantitatif et la fréquence, a forgé un critère définitif d’appréciation : la régularité. Ainsi, dans une affaire d’abord examinée à Marseille (5), le juge de l’impôt s’était arrêté à l’appréciation d’une durée, en l’espèce 15 à 30 jours de location meublée par an qui ne suffisaient pas, selon lui, à opérer le changement.

Cependant, les juges du Palais-Royal ont finalement censuré cette vision. Dans l’important arrêt du 28 décembre 2012 (6) ils ont considéré que l’habitude (dont parlent les textes) naissait de la régularité, de sorte que la fréquence doit primer sur la longueur du contrat de location. Depuis lors, un certain nombre de décisions ont été prises selon ce critère.

Régularité et fréquence priment sur la quantité de nuitées vendues…

Un récent arrêt de la Cour d’appel administrative de Versailles, le 7 février 2017 (7) rappelle explicitement que :

« L’exercice, à titre habituel, d’une activité de loueur en meublé relève de la catégorie des revenus industriels et commerciaux ; c’est seulement lorsque la condition d’habitude n’est pas remplie que les résultats d’une activité occasionnelle de cette sorte est taxable selon le régime des revenus fonciers ; en l’espèce, la SCI D. a acquis, en 2002, un bien à Ramatuelle qu’elle a loué en meublé à six reprises sur sept périodes estivales ; dès lors, l’activité locative meublée présentait bien un caractère habituel, et non occasionnel, contrairement à ce que soutient l’administration« .

Le juge a écarté la discontinuité (c’est-à-dire des périodes de vacance locative hors saison d’été) pour se concentrer uniquement sur la régularité : tous les étés, la villa était louée – hormis un été sur les sept analysés en raison de travaux…

Dans une affaire jugée à Caen puis à Nantes (8), les juges successifs ont appréciés la simple prise en comptabilité de pièces relatives à des achats de meubles par la SCI comme signe suffisant à exclure la location du régime des revenus fonciers et donc à la faire rentrer dans le registre commercial !

Des stipulations maladroites dans le bail faisant office d’aveux

La même analyse s’impose si l’immeuble de la SCI comporte certains équipements considérés comme des meubles juridiquement parlant et que le local est loué cette fois à un professionnel.

Cette interprétation comprend aussi les équipements à rénover par le preneur (9). Dans une affaire parvenue jusqu’au Conseil d’Etat, le locataire avait pris une partie de l’équipement à sa charge en assumant les frais d’une remise à niveau. La société civile offrait un bien comprenant un immeuble bâti équipé pour l’accueil du public et un parcours de golf, dont le contrat de location prévoyait la rénovation… reconnaissant implicitement dans une clause qu’elle les avait bien fournis en « état d’usage ». Dès lors les revenus perçus n’étaient plus des revenus fonciers mais bien des BIC et donc IS applicable.

L’intéressement sur l’activité économique du locataire : à manier avec grande précaution

On voit qu’au-delà des faits, les clauses d’actes ont un poids certain dans les démarches de requalification du régime fiscal.

Si votre SCI et votre locataire ont convenu d’un intéressement sur les bénéfices de ce dernier, en cas de contentieux le juge de l’impôt considèrera que la société se livre bien à une activité commerciale et non plus civile (10). A fortiori si votre SCI fournit les fluides (eau, électricité, gaz, etc.) au locataire (11).

En revanche, en cas de contentieux fiscal, vous pourrez rappeler utilement à votre vérificateur que le juge de l’impôt a refusé de voir une activité commerciale si le bail ne comporte qu’une clause d’indexation du loyer en fonction du chiffre d’affaires en l’absence de tout lien capitalistique ou d’organigramme entre le gérant de votre SCI et les dirigeants de l’entreprise locataire (12).
[NDLR : tant en matière civile que fiscale, la SCI se positionne comme un solide outil d’optimisation, à condition évidemment de ne pas faire d’erreurs. Notre Rapport Spécial SCI vous donnera toutes les clefs d’un montage et d’une gestion patrimoniales réussis. Cliquez ici pour recevoir votre exemplaire.]

  1. Au terme des articles 8 , 206,1 et 206,2 du Code général des impôts
  2. Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) n°BOI-IS-CHAMP-10-30-20120912 § 320
  3. Réponse du ministre du Budget au député Henry Berger (n°33593, JO AN du 11 mai 1981, page 2009, reprise au BOFiP précité § 330
  4. suivant les prévisions de l’article 35 du CGI
  5. Cour d’appel administrative, 3 février 2011, n°08MA03685
  6. 347607
  7. 15VE02918
  8. Tribunal administratif de Caen, 2 juin 2015, numéro 1401338 puis Cour administrative d’appel de Nantes, 16 février 2017, n°15NT02385
  9. Conseil d’Etat, 26 février 2014, n°362327
  10. Conseil d’Etat, 28 septembre 1984, n°40666
  11. Conseil d’Etat, 27 juillet 1984, n°39942
  12. (Tribunal administratif d’Amiens, 15 décembre 2016, n°1402818 ; décision récente en droite ligne d’un courant jurisprudentiel ancien et constant (voir notamment l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 juin 1967, n°70037

 

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