La Chronique Agora

Les banques sont-elles vraiment si solides ?

banque, stress test, risque, crise

Les « stress tests » sensés mesurer la capacité des banques à résister aux crises ne sont pas toujours très crédibles. Ils passent en fait sous le tapis quelques problèmes.

Pour les analystes bancaires, les résultats considérés comme positifs des stress tests auxquels étaient soumises les grandes banques américaines récemment indiqueraient tout simplement que les craintes concernant le secteur bancaire étaient exagérées.

Le 28 juin dernier, la Fed a, en effet, publié les résultats des « stress tests » annuels imposés aux 23 plus grandes banques du pays. Elles seraient toutes capables de résister à un choc économique majeur et à un effondrement de l’immobilier commercial. En d’autres termes les quelques 540 Mds$ de pertes estimées consécutivement à ces chocs ne ferait pas passer leurs ratios de solvabilité sous les planchers réglementaires.

De leur côté, les marchés ont salué avec l’excès qu’on leur connaît ces résultats comme le montre la performance des principales banques américaines entre le 28 juin et le 3 juillet dernier :

Expliquer par ces résultats la hausse de ces actions est comme très souvent saugrenu : les banques auraient surperformé compte tenu de ces résultats rassurants… comme si l’on attendait autre chose des stress tests bancaires. En tout cas pour le peu d’intervenants qui savaient en début de semaine que cet « exercice » désormais annuel était programmé.

D’ailleurs si les cours des actions bancaires avaient baissé, on aurait entendu nombre d’analystes justifier ce mouvement par d’autres raisons tout aussi saugrenues (des inepties du genre « ces bons résultats étaient anticipés »).

Entre les mailles du filet

Peu importe, le plus important est de s’interroger (et on peut le faire depuis une douzaine d’années) sur la crédibilité de l’exercice des stress tests bancaires.

D’abord, au niveau du périmètre retenu. Dans le cas qui nous occupe ici, il faut rappeler que ces stress tests ont été appliqués à « seulement » 23 banques, au lieu des 34 banques les plus significatives du pays évaluées en 2022. Les 11 banques non testées durant cet exercice 2023 ne seraient ainsi pas systémiques. Ce qui est un jeu extrêmement dangereux, et qui se peut se retourner contre les investisseurs, puisque ces 11 banques ne sont justement pas régulées, du fait du fallacieux prétexte de caractère non systémique.

La belle affaire : sur ces 11, 4 ont fait faillite cette année ! La question serait donc plutôt de savoir si ces avertissements resteront sans frais, plutôt que de se réjouir naïvement des résultats officiels publiés par la Fed. Compte tenu de la faible capacité des dirigeants politiques à tirer les enseignements des crises, il est donc raisonnable d’être prudent sur le sujet.

L’autre interrogation concernant la crédibilité de ces tests porte sur la philosophie voire de la méthodologie. Rappelons que les stress tests ont souvent été biaisés parce que, pour les dirigeants politiques et économiques du monde entier, il s’agit de s’auto-persuader que les grandes catastrophes sont quasiment impossibles.

On aimerait pouvoir et vouloir le croire, mais ce n’est pas possible. L’objectif paraît louable car cela permet de rassurer tout le monde, des électeurs aux actionnaires en passant par les clients et salariés. Certains nous diront que tout cela est normal, car le moteur de la croissance et du progrès c’est la confiance. Oui, mais finalement, cela finit par être contre-productif. Car, si les résultats de ces stress tests ne sont pas crédibles, nous accumulons justement un déficit de confiance vis-à-vis des institutions au sens large.

A quoi bon des stress tests ?

Naturellement, des stress tests bancaires n’ont pas vocation à annoncer la fin du monde dans un scénario catastrophiste, puisque cela reviendrait à créer un cercle vicieux de prophéties auto-réalisatrices.

Dès lors, comment par exemple tester pertinemment la capacité à faire face à une crise de liquidité et/ou de solvabilité ? Puisque la faillite d’une banque ne peut venir que de l’une de ces crises ou des deux, tant elles sont étroitement imbriquées

Il s’agit donc de trouver un juste équilibre dans ce type d’exercice, afin d’être suffisamment crédible. Cela suppose de pouvoir se doter des outils de toute nature permettant – autant que faire se peut – d’évaluer les risques très forts, mais par définition pas extrêmes, et de mettre en place les stratégies et politiques correctrices qui devraient s’imposer le cas échéant.

Il faut donc évaluer des situations qui, sans intervention étatique ou dispositif de secours, peuvent mettre en danger l’existence d’une banque.

La première situation, la crise de solvabilité, signifie que, suite à de fortes dépréciations d’actifs, l’établissement bancaire enregistre une baisse significative de ses fonds propres et se retrouve en situation de sous-capitalisation (ratio de solvabilité en dessous des minima réglementaires requis par le Comité de Bale).

La seconde, la crise de liquidité (le fameux « bank run » ou fuite des dépôts) est en revanche matérialisée par l’incapacité de la banque à refinancer son activité courante.

Ces deux concepts de liquidité et de solvabilité sont différents, même s’ils sont souvent confondus y compris dans le monde de la banque et de la finance. Cependant, même s’ils font référence à des éléments de passif attaqués différents, les deux notions sont naturellement corrélées intimement.

Et chacun d’être stupéfait lors de chaque faillite bancaire qu’une de ces crises entraîne l’autre, qui aggrave à son tour la première : la crise de liquidité que connaît une banque va la conduire à vendre dans l’urgence des actifs dans des conditions économiques souvent très défavorables et donc à constater des moins-values importantes.

C’est ce que nous avons encore constaté avec la faillite de Silicon Valley Bank (SVB) et la nécessité de vendre à n’importe quel prix ses bons du Trésor et autres titres obligataires, impliquant une de fonds propres. Ces ventes ont nettement dégradé la solvabilité, et aggravé la perte de confiance des marchés et des déposants, d’où la crise de liquidité.

Pour des banques mieux préparés

La survenance de risques extrêmes serait-elle couverte par des fonds propres beaucoup plus importants ? Patrick Artus, patron des études économiques de Natixis, est très clair sur le sujet dans un papier récent :

« Même si les ratios prudentiels des banques sont devenus au cours du temps plus sévères, il faut accepter l’idée qu’ils peuvent protéger les épargnants, les déposants, contre des pertes ‘normales’ des banques, grâce à l’importance des réserves de fonds propres et de liquidités, mais qu’ils ne peuvent pas les protéger contre un ‘bank run’ (une course aux dépôts) qui frappe les banques particulièrement fragiles, et qui conduit les déposants à confier leur épargne à une autre banque.

Si la confiance des déposants est entamée, ils transfèrent leurs dépôts de la banque à laquelle ils ne font plus confiance vers des banques plus solides, ce qui s’est produit pour la Silicon Valley Bank ou Credit Suisse. Le montant de la perte de dépôt est tel, si un bank run survient, qu’aucun ratio prudentiel ne peut éviter de graves difficultés, voire la faillite de la banque. »

Voilà qui permet de relativiser les résultats jugés satisfaisants de stress tests bancaires

S’il y avait demain un bank run sur les banques US citées en début d’article, on aurait vite fait de constater que la prétendue capacité de résilience telle qu’elle ressort des stress tests ne suffirait pas et il faudrait alors recourir aux solutions suivantes :

Toujours plus de risques

Et si le problème n’était pas vraiment ces banques ?

En effet, même si l’on sait que les plus grandes banques américaines sont bien « too big to fail », malgré Bale 3 (puis Bale 4 et dans un avenir plus ou moins lointain Bale 5) et malgré les dispositifs renforcés de bail-in, rien n’y change : il est impossible pour un mastodonte financier en difficulté de se sauver tout seul.

Et si le problème n’était pas non plus la sophistication de la réglementation bancaire et son caractère officiellement de plus en plus restrictif et contraint pour les banques ?

Si le vrai problème, c’était plutôt les effets contreproductifs de la réglementation, puisque les normes de rentabilité du capital ne sont pas ajustées à la baisse ?

On veut tous (enfin presque tous) de la rentabilité et de la création de richesse, mais encore faut-il que tout ceci soit naturel. En maintenant au même niveau voire à des niveaux totalement irréalistes les exigences de rentabilité sur fonds propres et en poussant les banques à disposer de capitaux/fonds propres de plus en plus importants, on voit tout de suite les dérives de notre système et les crises et scandales qui couvent ici ou là. En effet, nombre de banques ne sont pas forcément incitées à prendre les bons risques qui permettent de financer l’économie au moindre coût, mais plutôt des risques importants (sans doute mauvais) pour maintenir la rentabilité de leurs fonds propres à un niveau élevé.

Mais bon, imagine-t-on un dirigeant venir dire à juste titre qu’il faut réduire les ROE ? Il serait qualifié de défaitiste et manquant d’ambition, et le cours de l’action de son entreprise serait massacré. Il aurait malheureusement raison tout seul. En tout cas, ce n’est pas de l’ambition que de se fixer des objectifs de forte rentabilité en sachant qu’il y aura de toute façon des prêteurs en dernier ressort si les choses tournaient mal.

Nous verrons dans un prochain article si, cela étant dit, les stress tests peuvent tout de même être nécessaires voire utiles dans certains cas.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile