Plutôt que de tester si elles pourraient résister à de brèves périodes de récessions, quand leurs profits se réduisent, mieux vaudrait tester si elles résisteraient à de vraies crises…
Nous avons commencé la semaine dernière à parler des stress tests, sensés évaluer la capacité des banques à résister à des crises. Nous avons pu voir à quel point ces tests sont faillibles, ce qui leur manque pour être efficaces, et plus généralement les problèmes qui affectent les banques mais ne sont pas pris en compte.
Pouvons-nous pour autant affirmer qu’ils ne servent à rien ?
Oui et non. D’un côté, ils ne servent en effet pas à grand-chose, s’il s’agit de stresser l’absorption par les fonds propres de pertes classiques dans un contexte de récession et de chocs dans le secteur immobilier, puisque l’on peut considérer qu’une banque normalement constituée sera capable d’absorber de tels chocs.
Mais ils peuvent au contraire être utiles s’il s’agit de prendre en compte la dimension systémique des crises et d’y associer des réponses politiques et institutionnelles fortes qui permettront d’éviter tout phénomène de prophéties auto-réalisatrices.
Le test de la crise générale de liquidité
On stresse souvent la liquidité en prix, c’est-à-dire en intégrant des hypothèses de hausse du coût de refinancement. J’ai presque envie de dire que cela ne sert à rien et que ce qui importe est plutôt de stresser la liquidité en volume.
En effet, c’est la seule façon que nous ayons de tester la résistance d’une banque dans des scénarios extrêmes de fermeture de l’accès au marché ou d’évolution défavorable de la structure de leur bilan.
Les limites en gap stressé que mettent en place les établissements bancaires vont dans ce sens, car elles doivent permettre à tout moment de mesurer la capacité de ces banques à résister à un violent choc de liquidité moyennant un certain nombre d’hypothèses fortes :
- nécessité de poursuivre une activité de crédit a minima sur son fonds de commerce traditionnel ;
- fuite d’une partie des dépôts à vue pourtant considérés comme de la ressource stable et pérenne ;
- capacité à mobiliser en tant que de besoin sa réserve de titres liquides, sécurisés et bien notés, et appréciation du degré de négociabilité de ces titres dans des situations de marché perturbées (étant entendu que la notion de titre liquide est empreinte d’une grande subjectivité) ;
- capacité de refinancement de l’établissement sur les marchés (tirage immédiat et inconditionnel de lignes de trésorerie par exemple) ou auprès de la banque centrale, ce qui suppose de pouvoir évaluer la richesse du collatéral mobilisable (titres et créances privées éligibles aux appels d’offres BCE ; créances hypothécaires et créances aux collectivités pouvant être adossées à l’émission d’obligations sécurisées etc…).
Pour appréhender de manière aussi objective que possible la situation de liquidité, nous ne sommes pas totalement démunis, puisque nous avons le liquidity coverage ratio (LCR), qui mesure la capacité d’un établissement à survivre à une période de stress d’une durée d’un mois.
Il se calcule comme le rapport entre les disponibilités à 30 jours (constituées d’actifs dits liquides) et les exigibilités à 30 jours, en prenant en compte des hypothèses de fuite de liquidité selon les produits d’épargne de la clientèle et la spécificité des engagements de hors bilan.
La réserve de liquidité des banques au numérateur du ratio LCR correspond à une réalité financière, puisqu’elle est valorisée en mark-to-market (au marché) et traduit donc ce que les établissements peuvent transformer quasi-instantanément en cash.
Mais un exercice complet de stress de liquidité doit permettre aussi de définir une batterie d’indicateurs simples et pertinents :
- le niveau des réserves de liquidité des banques à la banque centrale ;
- l’importance de la position de transformation des banques (c’est-à-dire la part de l’argent emprunté à court terme pour financer des emplois à long terme) ;
- le risque de liquidité des actifs des banques détenus dans une intention de long terme. Il s’agit du risque que des actifs de long terme portés dans les bilans des banques deviennent peu liquides : créances hypothécaires ; parts de fonds de capital- risque et de fonds immobiliers.
On peut stresser de façon simple, pragmatique et intelligente ces indicateurs.
Le test de défaut d’un grand pays de la zone euro
La décorrélation nécessaire – envisagée après la crise des dettes souveraines de la zone euro – entre le risque bancaire et le risque souverain, pour diminuer autant que faire se peut le risque systémique, n’a jamais vraiment eu lieu.
Ironie de l’histoire, ceci s’explique par les évolutions de la réglementation bancaire, dont certaines sont liées à cette crise des dettes souveraines. Ainsi, la mise en place en 2013 du ratio de liquidité LCR – aussi pertinent soit-il comme nous l’évoquions plus haut – a maintenu une surpondération structurelle en titres d’Etat notés entre AAA et AA- dans les portefeuilles des banques, puisque ceux-ci jouissent d’un traitement privilégié dans la constitution d’une réserve d’actifs dits liquides.
De même, le durcissement des règles concernant le ratio de solvabilité a conduit les établissements à maintenir une forte allocation en titres souverains bien notés par les agences de notation, puisque ceux-ci ne consomment pas de fonds propres au sens de la réglementation et donc améliorent mécaniquement les ratios de solvabilité des banques par la baisse du dénominateur.
On a tendance à oublier sur les marchés financiers que les possibilités accrues de restructuration de la dette publique française, par exemple, sont prévues par la loi. Le projet de loi de finances pour 2013 est très explicite sur ce sujet dans son article 43 :
« Les titres d’Etat, d’une maturité supérieure à un an, ainsi que les titres issus de leur démembrement, comportent des clauses d’action collective autorisant l’Etat, s’il dispose de l’accord de la majorité des détenteurs de titres, à modifier les termes du contrat d’émission.
[…]
Le présent projet d’article vise à insérer dans les futurs contrats d’émission de titres d’Etat des clauses dites d’action collective qui autorisent l’Etat à en modifier les termes, à condition de disposer de l’accord d’une majorité de créanciers, sans que leur unanimité ne soit requise.
L’insertion de ce type de clauses dans les contrats d’émission de titres d’Etat d’une maturité supérieure à un an est imposée par l’article 12 du traité instituant le mécanisme européen de stabilité, signé le 2 février 2012 par les dix-sept Etats de la zone euro et dont la loi n° 2012-324 du 7 mars 2012 a autorisé la ratification le 20 mars 2012. »
Peu d’investisseurs en titres d’Etat savent aujourd’hui qu’ils sont implicitement des investisseurs en titres subordonnés. En fait, un vrai stress souverain est difficilement envisageable, car il aurait comme conséquences principales de remettre en cause les réglementations prudentielles.
Le stress souverain doit aussi mettre en œuvre un traitement spécifique de la dette indexée sur l’inflation car, dans une configuration d’endettement de plus en plus insoutenable couplée à une forte inflation, c’est sur cette dette que l’Etat français ferait défaut en premier lieu.
Le paradoxe, c’est que nous considérons qu’il faut absolument se couvrir contre l’inflation future, mais qu’il faut se méfier des obligations indexées sur l’inflation émises par des entités budgétairement fragiles. Ces obligations seraient logiquement les premières répudiées en cas de forte inflation et donc de charges d’intérêt insupportables pour l’émetteur (l’investisseur est donc protégé sur ce type d’obligation du point de vue de la valeur de marché, mais, paradoxalement, s’expose plus facilement à un défaut de l’émetteur de titres indexés).
Voilà donc aujourd’hui ce qui nous semble constituer les deux types de stress tests véritablement utiles pour les investisseurs au sens large (institutionnels et privés) :
- stresser la liquidité des banques ;
- stresser la solvabilité des banques par des scénarios de restructuration de dettes souveraines à encours élevés.