La Chronique Agora

Banques centrales, un don pour le vice

Fed

La Fed fait de la psychologie des foules… et sa manière de traiter l’inflation en fait partie. Entre manipulation financière et emballement des marchés, l’investisseur particulier doit rester vigilant.

Cette semaine, deux dirigeants de la Fed ont évoqué la possibilité de mettre en place le fameux taper – la politique visant à réduire l’assouplissement quantitatif et la création monétaire qui va avec. Ils émettent ainsi des avis qui, tout en restant dans le cadre de la politique de Jerome Powell, nuancent ses propos.

Ceci me donne l’occasion de pousser un peu l’analyse des outils de la Fed.

Les déclarations de la Fed doivent se comprendre dans le cadre du pilotage. Le pilotage fait partie des outils – théorisés par Ben Bernanke – de la banque centrale américaine. Il n’y a pas de dissension au sein de la Fed, ou même de nuances. Il n’y a qu’une répartition des tâches.

Je dis souvent que la Fed est une sorte de comité central du soviet, et que les rôles sont parfaitement attribués. Les uns se positionnent comme colombes, les autres comme faucons, et l’on joue sur la gamme selon les besoins.

Ici, le besoin se fait sentir de modérer les ardeurs spéculatives, car elles ont débordé. Elles sont sorties de l’épure. L’affaire Archegos/Hwang/ARK a secoué les régulateurs.

Un degré supplémentaire de connaissance

Les excès spéculatifs sont devenus de notoriété publique, c’est-à-dire common knowledge. Ce terme, pour rappel, signifie que c’est une chose que non seulement tout le monde sait… mais tout le monde sait que tout le monde sait.

C’est un degré supplémentaire de connaissance. Et ce degré est une connaissance de groupe dont il faut tenir compte : c’est ce que fait la Fed.

Il faut assimiler le fait que la Fed fait de la psychologie des foules ; cela n’a rien de complotiste que de le décrire. Bernanke, en son temps, a fait faire des études d’impact de l’information. Il a fait étudier la durée d’impact, l’efficacité des différentes formes, etc. Alan Greenspan lui aussi s’orientait vers ce type de réflexion.

La Fed et ses économistes-relais grand public créent une réalité. Ils vous disent une chose simple : l’inflation est produite par… les anticipations d’inflation.

L’inflation est une croyance qui se réalise d’être crue. Laissez tomber le fameux « ancrage » ; il ne veut rien dire d’autre que ce que je dis, à savoir : « l’inflation est causée par la croyance qu’elle va arriver ».

La Fed a abandonné la théorie monétariste de Friedman ; elle s’est également rendu compte que la loi de Phillips aussi était devenue inefficace. Tout naturellement, car cela l’arrangeait, elle a donc évolué vers des théories subjectives de l’inflation. L’inflation est un phénomène psychologique et social.

Si ce n’est plus la monnaie et le travail qui sont les déterminants de l’inflation, alors c’est le discours, la parole, les romans, l’imaginaire, la manipulation de ce que pensent les gens.

On est dans la modernité. Le réel a peu d’importance ; ce qui compte, ce sont les perceptions, les affects, les émotions… et tout cela se fabrique. On passe, on glisse de la monnaie à la parole, de la fausse monnaie au mensonge, l’homologie est parfaite.

Les autorités vous influencent

Si c’est un phénomène dont la cause est subjective, alors il faut étudier la formation de ces jugements subjectifs qui produisent un biais inflationniste, il faut étudier les big data, les titres des journaux, les rapports, les conférences, etc.

Surtout – et c’est là le plus important –, il faut intervenir pour fabriquer, modifier ou infléchir ces opinions sur l’inflation et les anticipations qui en découlent.

La parole des autorités monétaires ne prétend plus être une parole de vérité ou une parole d’information, c’est une parole d’influence. Cette parole a glissé avers le statut de parole des relations publiques (de PR, public relations).

La mission des relations publiques définie par les professionnels est de vous « dire » ce que vous devez penser. La parole de la Fed, comme celle de Powell, est une parole de PR, qui joue sur l’ignorance de certaines couches de la population.

Les PR jouent sur le développement inégal. Certains ignorent que c’est une parole de PR mais d’autres le savent car ils participent à cette même entreprise de relations publiques.

C’est parce que j’ai été de ce côté de la barrière, partie prenante d’opérations de PR pour le compte des pouvoirs publics et privés qui fabriquaient les opinions, que je les décode d’ailleurs assez facilement.

En clair, le pilotage – qui fait partie intégrante de la boîte à outils – implique que la Fed se batte sur le champ de bataille de l’opinion sur l’inflation.

Temporaire, vraiment ?

Vous comprenez l’importance maintenant de l’affirmation selon laquelle l’inflation constatée depuis 11 mois est « temporaire ». Ce n’est pas une prévision, c’est une parole d’autorité, c’est un outil de construction de l’opinion et donc un outil de fabrication des anticipations.

Tout se tient, tout est cohérent.

Il est toutefois évident qu’il faut jouer au plus fin, raffiner et être capable de s’adapter à la fois au marché, aux opinions et aux événements. Il faut coller ; il faut surfer sur les vagues d’opinion et même sur les vaguelettes.

Dans le cas présent, les événements sont constitués par un débordement spéculatif nuisible aussi bien sur les cryptos que sur les SPAC et certains secteurs chauds comme les véhicules électriques. Il faut donc intervenir, ne pas se laisser submerger.

Ceci implique de faire donner la garde, c’est-à-dire mettre un peu en avant les soi-disant faucons.

Cette situation me donne l’occasion de nuancer mon jugement sur la Fed. Vous savez que je suis très sévère : je considère qu’ils sont nuls et malhonnêtes.

En revanche, je reconnais qu’en tant que manipulateurs, en tant que connaisseurs de l’âme humaine et de celle des marchés, ils sont très forts – bien plus forts que les gens de toutes les autres institutions.

Ils ont un don pour le vice !

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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