▪ Les animateurs de la tranche 15-18h sur BFM-Business m’avaient demandé hier de réagir à propos de l’effondrement d’Alcatel-Lucent. Cette valeur a inscrit un nouveau plancher historique sous 0,72 euro (à 0,715 euro), soit une capitalisation boursière inférieure à 1,7 milliard d’euros.
Sachant que c’est la seule grosse valeur technologique cotée en France et que son éviction du CAC 40 paraît quasiment inévitable, j’ai accepté d’en parler un peu à l’antenne vers 17h20. Quelques mots qui ne vont pas l’empêcher d’être chassée de l’élite des entreprises françaises — pour cause de capitalisation insuffisante –, malgré un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros réalisé majoritairement à l’international ; ce qui en fait également une des toutes premières exportatrices immatriculée sur le sol français.
Mais que pourrais-je bien dire de pertinent sur Alcatel que vous ne sachiez déjà ?
▪ Goldman Sachs n’est pas à une contradiction près…
Goldman Sachs a dit que ça ne valait pas mieux que 0,6 euro, alors le cours a chuté de 0,8 vers 0,7 euro en 48 heures. Rien que de très normal… sauf qu’une autre étude de GS (datée du 7 septembre 2011) prédisait un objectif de 5,5 euros !
Evidemment, ils en ont publié d’autres depuis cette date, beaucoup moins favorables au titre, puisqu’ ils sont passés d’acheteurs à « neutre » au printemps dernier, puis à fortement vendeurs (officiellement) lundi.
▪ Pourquoi tant de différences entre Alcatel et Ericsson ?
D’après l’étude en question, Alcatel Lucent verrait sa capitalisation chuter sous 1,5 milliard d’euros. L’équipementier se paierait alors moins de 0,1 fois son chiffre d’affaires, tandis qu’Ericsson capitalise 0,9 fois (je viens de vérifier)… avec des pertes trimestrielles plus lourdes que celle d’Alcatel. Si jamais une comparaison des flux de trésorerie pouvait expliquer un tel ostracisme!
Qu’est-ce qui explique un ratio de valorisation de 1 à 10 pour deux entreprises aux métiers et aux marges assez comparables ?
A part la conviction purement arbitraire que l’un des deux fera faillite avant deux ans, nous ne comprenons pas ce qui se passe.
Mais admettons que le risque de faillite soit réel — et non évoqué pour faire paniquer les actionnaires. Dans ce cas, l’actif par titre (brevet, outil industriel, contrats récurrents) est estimé entre 4,5 et 6 euros par certaines banques allemandes.
▪ Le retour des banksters
Comment ne pas être troublé par cette rafale d’études négatives (trois en l’espace d’une semaine) d’UBS, Goldman Sachs puis Crédit Suisse hier matin. Autant de courtiers impliqués dans plusieurs enquêtes pour des « pratiques contestables » sur les marchés… pour évoquer leurs malversations de façon très politiquement correcte.
Mais loin de moi l’idée d’un complot !
Ces trois firmes-là, c’est bien connu, n’influencent jamais les cours, n’ont aucune mainmise sur les carnets d’ordres, ne financent aucunement de très gros vendeurs à découvert (type hedge funds « vautours »), et ne prêtent jamais de titres pour mener des raids contre des titres que leurs propres analystes démolissent à la dynamite.
Personne ne peut croire une absurdité pareille. Ces analystes sont parfaitement objectifs et ne publient que des études d’une bienveillante neutralité, jamais des brûlots à sens unique et 100% à charge, avec pour faire bonne mesure des insinuations de possible faillite — ils ne retiennent que les pires scénarios — et d’augmentations de capital ultra-dilutives.
A propos d’augmentations de capital… combien de boîtes du CAC 40 et du SBF 120 ou du S&P se retrouveraient en difficulté en cas de récession se prolongeant jusqu’en 2015 ?
Je m’égarerais certainement en évoquant la prolifération de rumeurs (dont bien sûr on ne connaît pas les sources) qui se répandent sur les forums, juste au moment où les cours commencent à plonger, ce qui transforme la perplexité initiale en vent de panique.
▪ Encore une enquête qui n’aura jamais lieu
Comme il n’y a strictement rien de louche derrière des chutes de cours de 30% en à peine un mois, alors que l’entreprise ne communique aucun élément alarmant, il n’y a naturellement jamais aucune enquête de la part des autorités de surveillance. Rappelons que le législateur américain ne cesse de réduire les budgets, sous pression de certains lobbys puissants, devinez lesquels !
Mais enquêter sur quoi, pour quel motif ?
Les traders dans l’âme (qui m’écrivent souvent pour dénoncer des pratiques manipulatoires sans aucune autre justification que des gains à ultra-court terme) ne manquent pas de tuer le débat : « c’est le marché », une simple confrontation de l’offre et de la demande.
Ils refusent d’admettre — ou du bout des lèvres — que l’évolution de certains titres, réputés vulnérables, soit intentionnellement biaisée par des « ventes nues » ou influencée par de « grosses mains » qui sont à la fois juges et partie.
Selon eux, tout reste affaire de psychologie. Ce qui est incontestable lorsque l’on sait — via les opérations de « règlement-livraison » — que les particuliers et les gérants d’OPCVM pèsent à peine 5% des ordres exécutés au quotidien (et les robots 95%).
Autre postulat qui me fait sourire jaune comme un épi de maïs sortant d’un bain-marie : les marchés sont plus efficients que vous !
Une preuve éclatante avec Areva, passé de 24 à 8,7 euros en neuf mois puis remonté de 90% à 15,5 euros ces quatre derniers mois et sans un commencement d’explication.
Vous voyez bien : après la baisse, ça remonte !
Et puis la direction d’Alcatel-Lucent ne riposte pas, la cellule « communication de crise » reste désespérément muette.
Le marché approuve le dicton « qui ne dit mot consent »…
Alors non, vraiment, je ne vois pas ce qu’il y a d’intéressant à dire sur Alcatel maintenant que Goldman Sachs, UBS et Crédit Suisse ont prononcé en coeur son oraison funèbre !
Heureusement que le titre a un peu animé la séance car on s’est ennuyé ferme durant plus de six heures.
Paris a somnolé autour de l’équilibre jusqu’à l’ouverture de Wall Street, dans de faibles volume. L’activité s’est un peu réveillée au cours des 90 dernières minutes avec un milliard d’euros échangés en plus, mais 2,6 milliards d’euros, cela ne traduit pas des dégagements très impressionnants.
La tendance s’est alourdie en Europe en fin de journée (l’Euro-Stoxx 50 a chuté de 0,95%) Wall Street créant la surprise en déjouant — sans cause évidente et incontestable — les pronostics plutôt positifs formulés en pré-ouverture.
Après une entame de séance placée sous le signe de la stabilité, la tendance a très vite basculé à la consolidation a mi-séance. Le S&P lâchait 0,7%, le Nasdaq -1,25%, le Dow seulement 0,5%.
Les investisseurs n’étaient de toute façon pas enclins à prendre des risques à quelques heures des résultats d’Alcoa, tandis que le consensus table pour l’ensemble des valeurs du S&P sur un recul global compris entre 2% et 2,5% (2,3% serait le consensus médian).
Les résultats d’Alcoa sont maintenant connus et ils ne vont pas bouleverser les anticipations des investisseurs. Le chiffre d’affaires constitue presque une bonne surprise avec 5,83 milliards d’euros (-9% par rapport au troisième trimestre 2011), puisqu’un recul de 15% était envisagé, compte tenu d’une chute de 17% des prix de l’aluminium.
Mais ça c’est le passé et l’avenir ne s’annonce pas rose : Alcoa envisage de réduire de 12% ses capacités de production aux Etats-Unis et en Europe.
▪ Le ralentissement mondial n’est pas de la science-fiction
Le ralentissement mondial (et surtout européen) anticipé par le FMI dans ses dernières prévisions dévoilées la veille n’est pas qu’une simple hypothèse de statisticien déconnectée de la réalité.
Vu l’assombrissement du tableau conjoncturel, les investisseurs ne s’attendaient pas à voir le cours du baril de pétrole bondir de 3,3% (à 92,3 $ sur le NYMEX) ce mardi.
Pour être clair, même si personne ne comprend vraiment où il veut en venir, le discours menaçant de la part du Premier ministre turc (Recep Erdoğan) affirmant qu’il faut toujours être prêt pour la guerre (mais à qui songe-t-il ?) a fait sensation.
La Turquie n’avait pas réussi, au tournant du 21ème siècle, à séduire les Européens qui ont repoussé sine die son adhésion à l’Union européenne.
Ce refus lui a peut-être été salutaire sur le plan économique (vu l’état de délabrement des pays du sud ayant intégré l’euro) et elle sauvegardé son indépendance diplomatique.
Une indépendance qui inquiète un peu au moment où la Grèce apparaît sur le point de faire faillite — l’Allemagne ne rajoutera pas un euro au profit d’Athènes — et de poursuivre sa route en solo.