▪ Le train Acela est parti à l’heure de la Penn Station à New York. Il est entré dans le tunnel pour traverser l’Hudson vers le New Jersey. Mais une fois ressorti, il n’y avait rien à voir… un épais brouillard nappait le paysage. Comme des fantômes… nous avons passé des usines abandonnées, des hangars en ruine et ce qui semblait être des champs entiers de reliques industrielles… avec des montagnes d’acier rouillé et tordu… des Everest de béton en morceaux… et des tonnes et des tonnes de rebuts.
Nous regardions par la fenêtre… curieux de ce qui se passe dans cette partie du monde. Parmi les spectres, est-ce que de vrais gens vivent encore ici ? Font-ils encore du vrai travail ?
Sans doute. Bon nombre des bâtiments avaient des fenêtres cassées… mais d’autres semblaient repeints de frais, avec des rangées de camions attendant de transporter quelque chose quelque part.
Il y avait aussi des zones de maisons ouvrières très modestes… non pas abandonnées, mais encore occupées. Ou bien quelqu’un se donnait beaucoup de mal pour nous duper : il y avait des automobiles modernes devant les maisons. Et des parkings pleins à côté des anciens hangars.
Nous avons poussé un soupir de soulagement. Il reste encore des gens qui travaillent aux Etats-Unis !
Mais attendez… est-ce qu’il est toujours là ?
Le train est entré dans Trenton… Les autorités de la ville avaient-elles finalement abandonné le panneau publicitaire qui accueille les visiteurs depuis la Grande Dépression ? Ou bien était-il toujours là, annonçant un monde mort il y a un demi-siècle ?
Nous retenions notre souffle… Puis nous avons réalisé… que nous l’avions manqué. Ou qu’il avait été enlevé. Nous ne l’avons pas vu.
La devise de la ville proclame-t-elle toujours fièrement — et trompeusement — que « Trenton fabrique, le monde prend » ? Nous avons vérifié sur Google. Apparemment, le pont de Warren Street, construit en 1935, porte toujours la fameuse inscription. Trenton n’est pas au courant de la nouvelle.
Il y a 50 ans, Trenton était une ville manufacturière de la classe moyenne. A présent, c’est une ville de zombies. Bon nombre des habitants de Trenton — comme de tant de villes américaines — sont passés de la classe moyenne à la pauvreté et à la dépendance aux allocations gouvernementales.
▪ Que s’est-il passé ?
Les autorités ont sapé l’économie de classe moyenne des Etats-Unis avec de l’argent facile. Dans les faits, elles ont distribué du crédit et de l’argent gratuit. Les consommateurs l’ont utilisé — comme les Romains durant la fin de l’empire, entre le IIe et le Ve siècle… et comme les Espagnols durant le XVIe et le XVIIe siècle — pour acheter des choses. Quand on peut acheter sans rien produire, pourquoi se donner de la peine ?
Les Romains ont pris l’argent des gens qu’ils ont conquis. Lorsque les conquêtes ont été épuisées, durant le Ier siècle ap. J.-C., ils se sont mis à gonfler leur devise. Les Espagnols, quant à eux, ont obtenu leur argent des Aztèques et des Incas. Au lieu de produire des choses, ils ont utilisé cet argent bon marché pour acheter des choses aux étrangers. Les industries étrangères prospérèrent. L’industrie espagnole se flétrit et s’ankylosa.
Trenton a arrêté de fabriquer des choses dans les années 80 et 90. Les habitants du New Jersey se sont mis à acheter ce dont ils avaient besoin en Chine. Et en Arabie Saoudite. A crédit.
Et maintenant — ô surprise — la classe moyenne de Trenton lutte. Il est difficile de trouver un bon emploi. Les prix de l’immobilier sont au plus bas. Et en termes réels, un investissement boursier de 1 000 $ il y a 10 ans vaut aujourd’hui 884 $.
Mais les choses ne vont-elles pas en s’améliorant ? Peut-être. Sauf qu’au dernier trimestre 2012, le PIB américain a en fait chuté de 0,1%. Pourquoi ? Parce que le Pentagone a réduit ses dépenses de 40 milliards de dollars. Le New York Times nous en dit plus :
« L’économie américaine a connu un recul surprise au dernier trimestre 2012, se contractant de 0,1%, selon ce qu’a annoncé mercredi le département du Commerce US — c’est sa pire performance depuis les suites de la crise financière en 2009 ».
« […] La baisse de 22,2% des dépenses militaires — la plus importante baisse trimestrielle depuis plus de quatre décennies — ainsi que la chute des stocks et des exportations ont étouffé des indicateurs plus positifs dans le secteur privé ».
Le renouveau industriel des Etats-Unis n’est pas dû au fait que l’on fabrique de vraies choses pour de vrais acheteurs. 40% de l’industrie américaine va à la défense. Enlevez cela, et l’économie est dans le pétrin.