La Chronique Agora

Baisse du pétrole : les effets pervers des politiques de la Fed

▪ NewYork est rempli de touristes et de personnes en train de faire leurs courses de Noël. Ce week-end, nous sommes allé voir une comédie musicale. L’intrigue n’était pas particulièrement complexe ou subtile, mais la musique, signée Frankie Valli & the Four Seasons, était vive et agréable. Cela nous a rappelé les années 50 et 60.

C’était la belle époque ! Croyez-le ou non, mais en ce temps-là, les gens avaient du travail… les prix étaient relativement stables… et la progression du PIB atteignait deux ou trois fois le taux actuel (il en allait de même pour les revenus personnels). Comment était-ce possible ? Le marché fixait les taux d’intérêt, à l’époque, non la Fed. Le marché déterminait aussi les prix des actions ; la Fed n’aurait pas même rêvé… sans parler d’oser… essayer de truquer les prix. L’assouplissement quantitatif ? C’était probablement illégal… et ça aurait probablement été considéré comme immoral ou insensé.

Mais il y a des modes en matière de musique… et en matière de banque centrale. L’industrie musicale nous a donné le twerking. Pour la banque centrale, nous avons des programmes d’achats d’actifs et de gestion des prix à plusieurs milliers de milliards de dollars. Les deux sont obscènes. Mais les deux sont populaires. Et quasiment personne ne veut les voir prendre fin.

En fin de compte, M. le Marché… la nature… les dieux… prévaudront. Leur volonté sera faite. C’est toujours le cas.

Ce qui va se passer ensuite ne dépend pas de nous. Cela dépend des dieux, qui représentent les forces de "ce qui sera"… non de "ce que nous voulons que les choses soient".

Tout ce que nous savons, c’est que l’issue ne peut être contrôlée par la Fed. Ou par les investisseurs. Ou par les ménages. Ou par Janet Yellen. Ou par Paul Krugman. Ou par le président des Etats-Unis. Ni Warren Buffett ni le Comité olympique ne peuvent dicter les termes de cette histoire. On peut truquer la nature… on peut tordre et plier les marchés… on peut retarder et outrager les dieux… mais on ne peut jamais les contrôler.

▪ Les dieux ont une patience limitée
Si des gens intelligents… bien informés… armés de théories modernes et d’"outils politiques"… pouvaient vraiment contrôler une économie ou un marché, pourquoi diable y aurait-il des effondrements, de krachs et des retournements ? Pourquoi la devise du Zimbabwe perdrait-elle toute valeur ? Pourquoi le Venezuela devrait-il en baver ? Pourquoi le PIB du Japon serait-il le même qu’il y a 25 ans — malgré un quart de siècle de mesures de "relance" ?

En fin de compte, nous n’obtenons pas ce que nous voulons. Nous obtenons ce que nous méritons

Non, cher lecteur, même les politiciens les plus puissants et les théoriciens les plus intelligents ne peuvent défier les dieux. En fin de compte, nous n’obtenons pas ce que nous voulons. Nous obtenons ce que nous méritons.

A présent, grâce à nos économistes éclairés et leur gestion prudente, nous dit-on, les Etats-Unis et l’économie américaine se portent plutôt pas mal. C’est du moins ce que choisit de croire le New York Times :

"Vendredi, le département du Travail a annoncé que la main-d’oeuvre US avait grimpé de 321 000 emplois en novembre et que le salaire horaire avait augmenté, dépassant de loin les attentes des économistes".

Les dépenses de santé sont en baisse. Le nombre d’Américains sans assurance est en baisse. Les déficits fédéraux sont en baisse. Le prix du carburant est en baisse.

Lorsque nous examinons ces "faits", nous trouvons quelques divergences. Tout d’abord, selon le Bureau américain des statistiques de l’emploi, le nombre d’emplois à plein temps a en fait chuté de 150 000 en novembre ; seuls les emplois à temps partiel montraient un gain. Deuxièmement, quasiment tous les nouveaux emplois américains — 93% — depuis 2009 ont été créés dans le secteur de l’énergie.

▪ Une petite mise au point
Selon la Fed, la chute des prix est une mauvaise chose. La banque centrale américaine dépense des milliers de milliards pour maintenir la hausse des prix des actions et des obligations. Elle insiste également pour que les prix à la consommation grimpent — de 2% par an.

Plus besoin de QE : il y a du pétrole bon marché, maintenant

On dit pourtant que la chute des prix du pétrole est une bonne chose. Est-ce que nous avons bien tout compris ? Parfois, nous avons du mal à nous souvenir de tout. Voyons… les Américains dépensent désormais moins en carburant, de sorte qu’ils peuvent dépenser plus pour d’autres choses. Plus besoin de QE : il y a du pétrole bon marché, maintenant !

Attendez. Depuis la crise de 2008-2009, environ un tiers des investissements du S&P est allé à l’énergie. Jusqu’à 20% du marché obligataire à haut rendement (c’est-à-dire les junk bonds) dépendent désormais du secteur de l’énergie. Le boom tout entier était bâti sur des taux bas et un prix élevé du pétrole. Sans argent bon marché, le pétrole bon marché ne serait pas possible. Et lorsque le prix du carburant baisse trop, l’argent bon marché devient tout à coup très cher.

Près de 1 000 milliards de dollars sont dépensés de par le monde pour produire de l’énergie nouvelle. Avec des prix du pétrole ayant diminué de près de 40%… bon nombre des 9,3 millions d’emplois créés aux Etats-Unis ces cinq dernières années… et toute cette dette énergétique subprime… sont en danger. Si les prix du pétrole ne regrimpent pas bien vite, l’enfer pourrait se déchaîner.

▪ Et ça pompe, ça pompe…
Les Saoudiens semblent déterminés à continuer de pomper. Ils n’ont pas le choix, s’ils veulent protéger leur part de marché : il leur faut rester des producteurs à bas coût. Les frackers américaine vont probablement eux aussi continuer leur fracking. Ils ont parié des milliards sur le fait d’extraire du brut de rocs récalcitrants. Ils n’abandonneront pas comme ça. Ils emprunteront plutôt, encore plus, afin de rester en activité. Mais plus ils extraient… plus les prix du pétrole resteront au plancher.

Payer 60 $ pour extraire un baril de pétrole à 50 $ n’est pas une bonne affaire — peu importe que les taux d’intérêt soient bas

Payer 60 $ pour extraire un baril de pétrole à 50 $ n’est pas une bonne affaire — peu importe que les taux d’intérêt soient bas. Les dieux ont déjà écrasé les sociétés pétrolières, les foreurs, les transporteurs et quasiment toute autre activité empestant le pétrole. Bientôt, ils s’attaqueront aussi à leur dette subprime.

Vont-ils mettre à bas les autres actions ? Les obligations ? L’économie ? Seul un idiot prétendrait le savoir.

En ce qui concerne le twerking, votre correspondant n’a pas encore décidé. Mais en ce qui concerne la Fed et ses interventions sur les marchés, nous sommes certain : moins, c’est mieux.

Tenter de gérer une économie revient à tenter de gérer la vie amoureuse d’une adolescente : ça ne fait qu’empirer les choses.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile