▪ Nous avons beau forcer le trait, recourir à des métaphores aussi subtiles qu’un marteau-pilon, nous finissons toujours par être débordé par la réalité.
La réalité de la sphère financière finit systématiquement par surpasser les caricatures que nous en faisons. C’est le cas plus particulièrement pour l’une d’entre elles : le marché, tel un junkie accro aux injections des banques centrales ne peut se satisfaire bien longtemps de sa dose quotidienne. Il lui en faut toujours plus, même lorsque son sang finit par contenir davantage de drogue monétaire que de plasma.
Or les banques centrales qui recourent à des seringues de format « magnum » ne parviennent plus à provoquer un flash durable. Après les assouplissements quantitatifs massifs de la Fed et de la Bank of England, voilà que les investisseurs se montrent ouvertement déçus de voir la banque centrale japonaise s’en tenir à son programme d’assouplissement monétaire initial.
Puisque le « toujours plus » espéré n’était pas au rendez-vous mardi matin, les marchés se sont remis à douter de la pérennité du QE3 de la Réserve fédérale américaine : la question n’est pas de savoir si elle va lever le pied mais quand elle va s’y résoudre.
▪ Wall Street part en guerre…
Cependant, d’une manière ou d’une autre, les marchés ne peuvent plus tabler sur un retour des taux longs sur les planchers de juillet 2012 ou de début mai 2013. Wall Street jette donc ses dernières forces dans la bataille qui l’oppose à la remontée des rendements obligataires.
Après un mauvais départ mardi dans le sillage d’indices européens qui dévissaient de 2% vers 15h30, le Dow Jones a mis moins de deux heures pour repasser de -1% à +0,1%.
Il est toutefois plus facile de tracter un indice composé de 30 valeurs en territoire positif qu’un S&P composé de 500 entreprises. Le rebond n’aura fait illusion que durant quelques minutes… Mais c’étaient celles qu’il fallait pour annihiler un signal baissier qui excitait l’imagination de pessimistes un peu naïfs : ils ont oublié que les marchés, c’est devenu du poker et que le temps du bridge bien policé est révolu.
Les vainqueurs sont ceux qui savent manier leurs piles de jetons et bluffer au bon moment. C’est un jeu de domination « ici et maintenant », pas de prospective et de pari sur l’avenir.
La remontée des indices américains entre 17h15 et 17h30 ne semble avoir eu comme objet que de permettre aux places européennes de limiter la casse en fin de parcours. Cela alors que d’importants supports étaient menacés aussi bien sur le CAC 40 (3 790 points) que l’Euro-Stoxx 50 (cassure des 2 675 points)… et Paris est parvenu à préserver les 3 800 points.
Les acheteurs ont donc tenté un dernier coup de poker pour conjurer le risque de voir les marchés obligataires déstabiliser Wall Street. Les taux ont connu une nouvelle poussée de fièvre : alors que Standard & Poor’s vient de décerner une médaille de bonne conduite aux Etats-Unis, rien n’indique un revirement imminent de la politique monétaire de la Fed.
▪ … en pure perte
Comme tout semble fonctionner à l’envers, la détente des taux survenue en fin d’après-midi et confirmée en soirée outre-Atlantique n’a nullement soutenu les indices américains qui rebasculaient dans le rouge (-0,5% en moyenne) dès la mi-séance.
Et les pertes n’ont fait que se creuser jusqu’au coup de cloche final.
Le Dow Jones a perdu 0,8% à 15 122. Le S&P 500 a lâché 1,02% à 1 626 points ; le Nasdaq a clôturé à -1,06% à 3 437, le Russell 2000 à -1,13%.
Rien de très spectaculaire en réalité, si ce n’est que le VIX a fait un bond de 10,5%, à 17,1. Cela traduit bien plus de nervosité que ne le suggère la consolidation survenue ce mardi (le second mardi qui s’achève en territoire négatif après une série historique de 20 hausses consécutives).
Le basculement psychologique est incontestable : alors qu’aucune déconvenue bien concrète relative à la conjoncture américaine ou mondiale n’affectait jamais Wall Street depuis septembre dernier, voilà que les opérateurs se mettent à gamberger… à avoir peur de leur ombre.
▪ Karlsruhe, marché des changes et émergents
Un des prétextes le plus couramment cités mardi avait trait aux délibérations (secrètes) de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Elle devra se prononcer (d’ici début octobre, on a tout le temps de « voir venir ») sur un recours déposé contre les mécanismes de sauvetage adoptés par la Zone euro — en particulier contre le recours illimité aux OMT prôné par Mario Draghi, et dont le contribuable allemand deviendrait, en cas de difficulté, le garant en dernier ressort.
En attendant, le dollar rechute sous les 1,33/euro : la force relative de l’euro ne signifie rien de positif cette fois-ci car le yen progresse dans le même temps au-delà des 96/dollar.
Si la volatilité qui affecte le marché des changes constitue un sérieux motif de prudence sur les actions, le phénomène majeur des trois ou quatre dernières semaines, c’est le repli de 10% de l’indice MSCI des pays émergents.
Nous évoquions hier la décollecte record qui vient d’affecter les fonds obligataires parce qu’elle nous concerne plus directement : la tension des taux rabote la prime de risque dont bénéficiaient les actions… mais la chute des bourses émergentes a souvent préfiguré un mouvement de correction majeur sur les places occidentales.
Le canard sans tête évadé de Wall Street continue toutefois de courir en battant des ailes. Et les permabulls, fidèles à leur conviction qu’il y a toujours du positif à mettre en avant, se disent que ce qui importe c’est qu’il continue de foncer droit devant lui… et il fait beaucoup moins de bruit comme ça !