La Chronique Agora

Aventures au pays des gauchos

▪ "N’entrez pas… le taureau est dangereux".

Nous sommes en train de nous endurcir. Physiquement. Financièrement. Sentimentalement. Nous avons déjà dû resserrer notre ceinture d’un cran pour empêcher notre pantalon de tomber. Nous avons également dû resserrer nos finances… pour éviter de perdre trop d’argent.

Certains achètent des bateaux. D’autres se mettent au golf. D’autres encore achètent des ranchs en Amérique du Sud.

Quasiment tous apprennent quelque chose au passage. Nombre d’entre eux survivent. Quelques-uns en sortent plus forts et plus riches. Nous avons pour objectif d’appartenir aux groupes 1 et 2. Nous avons abandonné tout espoir d’entrer un jour dans le groupe 3.

Nous sommes sorti hier matin pour réunir le bétail. Cela a pris environ cinq heures — à chevaucher dans le maquis pour chercher les animaux… puis les forcer à prendre la bonne direction. C’était amusant et intéressant. Le cheval faisait la majeure partie du travail… et dans la mesure où il était extrêmement compétent, son cavalier n’a eu qu’à rester assis et le laisser faire.

Nous avons été plus étonné de voir les chiens se joindre à la fête. De tous les animaux impliqués — à deux ou à quatre pattes –, ce sont les chiens qui semblaient prendre le plus de plaisir. Après quelques heures, ils avaient la langue pendante… mais ils connaissaient leur travail et en appréciaient la moindre minute. Ils mordillaient les jarrets du troupeau pour que les bêtes continuent d’avancer. Et lorsque l’une des vaches s’est échappée, les chiens lui ont couru après, la harcelant pour qu’elle rejoigne le groupe.

Mais les chiens étaient trop enthousiastes ; ils se sont réunis contre les petits veaux et les ont presque tués. Les vaches, tentant de protéger leurs petits, étaient à moitié folles. Les chiens aboyaient sans cesse… mordant… jappant… jusqu’à ce que les vaches se retournent et tentent d’en encorner un ou deux. Les chiens ont mordu la poussière plus d’une fois, mais ils s’amusaient comme des fous. Ils provoquaient une attaque… puis s’éparpillaient rapidement… fiers de leur travail.

La poussière était si épaisse que parfois, nous en étions aveuglé. Il y a eu un bref répit lorsque nous avons atteint la rivière. Les chiens ont forcé le bétail à entrer dans l’eau et la boue… puis dans les marais. De notre côté, nous chevauchions derrière et sur les côtés, pour maintenir l’ordre.

L’un des taureaux avait du mal. Il était si gros qu’il n’arrivait pas tout à fait à tenir le rythme.

"Qu’il reste ici", a crié Jorge.

Nous l’avons donc laissé et avons continué avec le reste du troupeau… jusqu’à l’enclos de pierre, divisé en deux par une clôture de fil de fer. Les animaux piétinaient. Les veaux cherchaient leur mère. Les taureaux se battaient, tête contre tête. La poussière s’élevait en gigantesques nuages.

▪ Les choses sérieuses commencent…
Les cavaliers, de leur côté, se préparaient à faire entrer le bétail dans un étroit passage, pour les enfermer et leur administrer trois vaccins différents. A l’occasion, ils découvraient également un mâle qui devait être castré… ou une génisse à laquelle il fallait mettre un mocheta dans le nez, pour la sevrer de sa mère.

Mais d’abord, nous devions faire en sorte que le bétail entre dans le couloir — ce qui impliquait de rentrer dans le corral pour aiguillonner, pousser et effrayer les animaux afin qu’ils avancent.

"N’entrez pas, les taureaux sont dangereux", avertit Jorge.

Mais au ranch, le machisme règne. Nous ne pourrions pas garder la tête haute ou obtenir le respect de nos gauchos en évitant le travail ou le danger. De plus, Nolberto et Justo étaient déjà dans l’enclos, tentant de forcer le bétail à entrer dans le couloir.

"Hi… ya!", criaient-ils, agitant des bâtons. Puis "hoa…", d’une voix grave.

Ignorant le conseil de notre capataz, nous avons raisonné que si l’endroit était assez sûr pour les gauchos, il serait assez sûr pour nous. Nous avons escaladé la porte pour les aider.

Nous étions dans l’enclos depuis cinq minutes environ quand el gran toro a chargé Justo, à notre droite. Nous voulions voir s’il allait bien, mais nous n’en avons pas eu le temps. Car le taureau a baissé la tête — et les cornes — et s’est rué sur nous un instant plus tard. Nous étions en train de réfléchir distraitement au fait que la banque centrale prétend que le crédit est de la véritable épargne et, de la sorte, fausse l’économie. Mais le fait d’être chargé par un taureau éclaircit radicalement vos pensées. Nous avions une seconde environ pour sortir de là, sans quoi nous étions mort.

Nous nous sommes retourné, avons couru vers la barrière et mis un pied sur le câble du bas. Il n’y avait pas le temps de grimper… nous devions voler. Nous avons poussé et décollé — juste au moment où le taureau atteignait le grillage.

Ce mouvement était remarquablement léger et agile pour un économiste littéraire âgé de 65 ans. Mais le final correspondait plus à ses capacités athlétiques naturelles. Votre correspondant était en route pour le sol, depuis une hauteur de deux mètres environ… la tête la première. Il réussit à amortir sa chute avec son bras droit, mais heurta le sol de plein fouet avec son épaule.

Nolberto a notre âge environ, mais il a passé sa vie au ranch. Lui aussi était dans l’enclos… mais il est plus intelligent. Il avait grimpé le mur en un éclair lorsqu’il avait vu le taureau devenir agressif.

 "Tout va bien, patron ?" a-t-il demandé.

"Si…no problema", avons-nous menti.

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