La Chronique Agora

Avec Wells Fargo, ce n'est jamais trop beau !

** N’importe quel investisseur normalement constitué aimerait qu’une séance telle que ce glorieux 9 avril puisse être repassée en boucle et à l’envie comme le Boléro de Ravel par le London Philharmonic, le "but brésilien de l’année", une nuit de noce avec vue sur le Bosphore, la descente de la Vallée Blanche par une matinée de printemps cristalline, une aurore boréale au-dessus d’un Fjord norvégien…

Vécu depuis New York, il n’y avait rien à jeter : ce n’était que du bonheur avec la spectaculaire chute de 28% du déficit commercial américain, le rebond de 1,6% des exportations américains, le recul du chômage hebdomadaire…

Nous avons assisté à une véritable résurrection de l’espoir et de la confiance dans un avenir boursier radieux. Cela tombe à point nommé puisque Pâques, c’est dans deux jours !

Les Européens ont du attendre 14h (très précise) pour voir les indices boursiers décoller comme des fusées un soir de 14 juillet. Après les hésitations de la matinée et la morosité de l’heure du déjeuner, les marchés ont connu un réveil en sursaut… comme si un pétard avait explosé sous le siège des traders assoupis.

Tous les opérateurs ont pressé presque en même temps le bouton "achat" et ils ont continué de presser dessus sans faiblir jusqu’à la clôture. Le restant de la séance n’a constitué qu’un énorme bouquet final de trois heures et demi dont les vendeurs à découvert sont ressortis lessivés, hagards… et abasourdis de voir l’indice sectoriel des valeurs bancaires américaines gagner 20% au bout d’une demi-heure de cotations, c’est-à-dire deux heures après la publication des trimestriels de Wells Fargo.

** La banque californienne ne détaillera pas ses comptes trimestriels avant le 22 avril prochain, mais elle estime avoir dégagé un bénéfice net historique de trois milliards de dollars au cours du premier trimestre 2008, soit l’équivalent de 55 cents par action — le double de la prévision moyenne des analystes qui tournait autour de 26 cents.

Cette banque figure de longue date parmi nos favorites. En effet, elle n’a pas feint de ne rien comprendre aux subprime, comme l’un de ses principaux actionnaires historiques, un investisseur que vous connaissez tous : Warren Buffett. Comment a-t-elle réussi un tel exploit alors que le rachat de Wachovia a été jugé potentiellement catastrophique — comprenez, destructeur de valeur — ?

De mi-novembre 2008 à fin février 2009, nous avons eu du mal à trouver un seul commentaire d’analyste positif sur la valeur : la banque faisait l’unanimité contre elle.

Wells Fargo a été victime d’un concert de mises en garde, d’une symphonie de notes alarmistes, d’un malstrom de ventes à découvert qui ont détruit le cours du titre jusque sous le seuil des 10 $. La profitabilité record de la banque laisse les analystes bouche bée — c’est bien le moins lorsqu’un titre reprend un tiers de sa valeur en quelques minutes de cotations et maintient cet avantage jusqu’au bout.

Comment ont-ils pu tous se tromper à ce point ? Pourquoi les agences de notation ont-elles suivi le mouvement — les yeux fermés comme à leur habitude — et dégradé à plusieurs reprises la note de la banque la plus profitable des Etats-Unis ?

Nous devons avouer que l’explication classique consistant à invoquer le manque de jugeote et un comportement moutonnier des analystes ne nous satisfait qu’à moitié. Nous redoutons un certain hédonisme dans le traitement comptable des actifs toxiques récupérés avec le rachat de Wachovia.

Mais il faudra patienter 15 jours pour le découvrir. Peut-être sommes nous trop sceptique pour aller jusqu’à douter de la "sincérité" de Wells Fargo.

Il est vrai que l’Etat américain va assumer une part non négligeable du risque de dépréciation du stock de dérivés de crédit de Wachovia. Cependant, il n’y a pas de miracle, l’économie des Etats-Unis est plombée par l’excès de dette et plus de la moitié des acheteurs de maisons payent cash.

Ceci signifie que les prêts accordés aux particuliers sont moins nombreux tandis que le taux de défaut sur les cartes de crédit se rapproche dangereusement de 10%. Mais le crédit à la consommation rapporte du 20% et plus, regardez les sollicitations qui pleuvent dans vos boîtes à lettres ou dans vos messageries électroniques et intéressez-vous au TEG (taux effectif global).

** Les conditions proposées aux malheureux emprunteurs qui n’ont plus que cet expédient pour régler les factures en fin de mois sont carrément usuraires. Surtout avec de l’argent à 0,25% aux Etats-Unis ou au Japon et probablement 1% en Europe d’ici fin avril. Même en justifiant une telle prime par le net accroissement du nombre de sinistres, les prêts à 20% laissent encore un peu de marge aux banques.

Wall Street en a pris subitement conscience, et cela s’est traduit par des envolées de 35% sur Bank of America, 30% sur Suntrust, 28% sur Capital One, 20% sur American Express, 19% sur JP Morgan, etc.

De tels écarts, multipliés par des dizaines d’exemples — et y compris dans la distribution — aboutissent à une envolée des indices américains de l’ordre de 3,85% pour le S&P 500 ou de 3,15% sur le Dow Jones. L’indice phare grimpait à 8 080 points, au plus haut depuis le 10 février dernier. Le Nasdaq a quant à lui grimpé de 3,9%.

** Notre très grande crainte — reliée à la Très Grande Crise –, c’est que les pertes engendrées par la chute de l’immobilier ne continuent d’entraîner la multiplication des défauts de remboursement pour cause de negative equity. Cela transformerait toujours plus de banques en morts vivants financiers — 30 d’entre elles ont déjà succombé depuis le 1er janvier.

Le principal danger réside dans le risque inconnu, c’est-à-dire les pertes latentes parquées dans des structures off shore mais qui devront être réintégrées dans les comptes au fil du temps — et probablement jusqu’en 2012.

Le G20 s’est bruyamment réjoui le 1er avril, à l’issue du sommet de Londres, de l’accord — à l’unanimité des pays présents — concernant la moralisation et la régulation des marchés.

L’illusion de la mise en oeuvre d’une profonde réforme du système financier mondial est entretenue par une série de communiqués qui sont autant d’effets d’annonce, notamment en ce qui concerne les paradis fiscaux.

Il serait naïf de croire que l’OCDE, chargée de ce dossier, se verra dotée du statut d’autorité de régulation ainsi que des moyens pour faire respecter la transparence des transactions financières.

Comment se propose-t-elle de débusquer les fraudeurs — entreprises comme particulier — allergiques à l’impôt ? Et tout cela alors que la City de Londres est précisément le premier paradis fiscal de la planète, comme l’a fort judicieusement rappelé la juge Eva Joly.

** En d’autres termes, nous ne sommes pas prêts de voir l’argent occulte, soit une manne de 15 000 à 20 000 milliards de dollars (selon une estimation prudente), réintégrer les pays d’origine et insuffler une nouvelle vie à nos économies.

Les sociétés d’investissement de type hedge funds ou les compagnies d’assurances (comme AIG) géraient en 2007 un encours de capitaux de 5 000 milliards de dollars depuis les seules îles Caïman. Ces îles obtiennent ainsi une très honorable cinquième place dans le classement des principaux centres financiers de la planète, loin devant la Chine, ses gigantesques réserves de change et son milliard et demi d’habitants.

Pour parodier une fable de La Fontaine, c’est le caïman tout juste sorti de son oeuf qui veut se faire aussi gros que le cachalot.

A la fin, et comme pour n’importe quelle bulle de dette qui ne crée aucune richesse, il explose. Toute la question — comme l’a rappelé jeudi Bill Bonner — est de savoir quand.

Le pourquoi, vous le connaissez ; le comment également… il n’y a plus qu’à patienter!

Avec les fêtes de Pâques, vous allez voir, le temps va passer vite !

Philippe Béchade,
Paris

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