Wall Street, qui n’a pratiquement rien cédé lundi soir (-0,15%), se remet apparemment à bénéficier d’arbitrages au détriment de la Zone euro. Les indices de cette dernière ont chuté de 1,5%. Le mois de janvier qui s’achève ce mardi s’avère donc être le plus brillant pour le Dow Jones et le S&P 500 depuis 1997.
Si cette meilleure performance des 15 dernières années se confirme, la logique des marchés américains ne manquera pas de vous apparaître un peu alambiquée. En effet, les Etats-Unis (et Wall Street) seront forcément atteints par l’incapacité de l’Europe à combiner désendettement, discipline budgétaire et soutien à l’activité économique.
▪ Grèce, Portugal, Espagne, Italie : la Zone euro sombre doucement
Il va falloir trouver encore plus d’argent public pour solder l’ardoise grecque… puis voler au secours du Portugal. Concernant ce dernier, tout le monde sait très bien que ce n’est qu’un échantillon de ce qui attend l’Espagne une fois que les marchés cesseront de faire comme si l’endettement des ménages n’était qu’un problème annexe, déconnecté du refinancement de la dette publique.
Compte tenu de la faillite de millions d’emprunteurs ibériques, l’épargne nationale est inexistante. Madrid n’a donc d’autre choix que de se tourner vers des créanciers extérieurs, à la différence du Japon… et on l’oublie trop souvent, de l’Italie.
L’Italie passait un nouveau test lundi matin avec l’émission de deux tranches d’emprunts à cinq ou 10 ans. Cela n’a été qu’un demi-succès — sans aller jusqu’à prétendre que ce fut un demi-échec, ce qui serait inexact.
Le 10 ans est ressorti à 6,08% contre 6,98% en décembre, alors que les opérateurs espéraient un rendement inférieur à 6%. Le cinq ans recule à 5,39% contre 6,47%, mais le taux de couverture a été assez faible — ratio de 1,35 à 1,40 fois le montant proposé pour l’une et l’autre des deux tranches.
Le véritable malaise, la véritable cause de la consolidation de -1,5% des places européennes lundi a une double origine. D’une part l’envol des taux longs portugais au-delà des 17% (ce qui signifie une fermeture totale des marchés financiers aux institutions bancaires et publiques locales ; l’absence de règlement du problème grec d’autre part.
Les marchés considéraient la cause entendue le week-end du 21/22 janvier. Cependant, aucun accord n’est intervenu ; les tergiversations ont duré toute la semaine dernière et tout ce week-end… et toujours aucun compromis avec les créanciers privés.
Il n’y en a pas davantage à l’issue du sommet des dirigeants européens ce lundi à Bruxelles.
▪ Grèce et Allemagne : le ton pourrait monter
Les élites européennes s’écharpent à présent sur la question de la mise sous tutelle partielle ou totale d’Athènes (c’est cette seconde solution que prône l’Allemagne depuis 2010).
Jean-Claude Juncker a fait entendre sa différence en refusant — au nom de l’égalité des pays de l’Eurozone devant les traités de Maastricht et de Lisbonne — que l’un des membres perde sa souveraineté budgétaire même si sa survie dépend du bon vouloir de ses partenaires.
Les Allemands mesurent très mal à quel point la fierté nationale n’est pas un vain mot pour le peuple grec. L’anti-germanisme prolifère de façon galopante depuis que le nouveau gouvernement a adopté toutes les mesures de rigueur dictées par Angela Merkel sans proposer le moindre calendrier de sortie de crise ni la moindre mesure de relance.
La seule préoccupation du moment — elle est effectivement cruciale — c’est de faire rentrer l’impôt… Mais qui voudra payer pour ne financer que le service de la dette, presque éternellement ?
Parce que 30 ans, soit une génération et demie, c’est effectivement une éternité — peu importe que le taux d’intérêt consenti par les créanciers soit de 3,75%, de 3,9% ou de 6%.
▪ Mise sous tutelle : une impression de déjà-vu
Le peuple grec connait également ses manuels d’histoire et sait bien de quelle façon il a été traité par les Européens à la fin du 19ème siècle. Il avait été placé sous la tutelle des signataires du Traité de Constantinople (après une cuisante défaite face à la Turquie), peu de temps après l’organisation des premiers Jeux olympiques de l’ère moderne.
Le pays, étranglé par ses anciennes dettes, auxquelles s’ajouta le versement de dommages de guerre au début du 20ème siècle, sombra dans une interminable récession. Il se révéla incapable d’échapper aux griffes de ses créanciers jusqu’à la Première Guerre mondiale.
▪ La Grèce n’a pas envie de replonger dans le Styx
Un siècle et demi s’est écoulé et l’histoire semble se répéter. Peu après qu’elle eût arraché son indépendance à l’Empire ottoman, en 1822, les puissances européennes dominantes (Angleterre et Allemagne) avaient imposé à la Grèce un monarque bavarois, un dénommé Otton. Dès qu’il s’assit sur le trône hellénique en 1833, il s’empressa de doter le pays d’une administration massive… à l’allemande.
Dans une Grèce qui faisait sa première expérience de la démocratie, le clientélisme régnait en maître. Les élus de l’époque distribuèrent des milliers de postes d’agents de l’Etat — l’équivalent de nos fonctionnaires de l’ère moderne — à leurs principaux soutiens politiques.
Comme il fallait également entretenir une armée capable de tenir en respect l’ennemi ottoman, l’Etat devait faire face à des frais de fonctionnement colossaux, disproportionnés par rapport à ses maigres revenus agricoles, le tout étant entièrement financé par la dette.
En 1893, la Grèce se déclara une première fois en faillite. Ce sont les banquiers londoniens — qui avaient financé une grande partie de son industrialisation — qui en firent les frais… mais ils jurèrent de prendre leur revanche à la première occasion (qui se présenta dès 1898).
La suite des événements ne fut qu’une succession de calamités (évoquées plus haut) au cours des 20 années qui suivirent.
Les Grecs ont parfaitement compris que tous les sacrifices demandés à l’époque avaient en fait été inutiles. La mise sous tutelle de 1898 n’avait fait que rajouter l’humiliation à la faillite, sans régler aucun des problèmes de fond, notamment l’absence de leviers pour stimuler la croissance.
A propos de croissance, le gouvernement français vient de réviser sans surprise ses prévisions 2012 en la divisant par deux. Elle passe donc de +1% à +0,5%. Le manque à gagner fiscal de cinq milliards d’euros serait compensé par la mobilisation de réserves constituées à cet effet.
La Chine peut légitimement s’interroger sur ses perspectives à l’export quand trois pays occidentaux sur quatre prévoient une croissance nulle, voire une récession.
▪ L’année du Dragon commence dans le rouge
A noter que les places asiatiques ont rouvert lundi en net repli après une semaine de congé pour cause de célébration de l’année du Dragon. Cette dernière a commencé par une chute de 2% de Hong Kong et 1,47% de Shanghai — qui ricoche sous l’importante résistance et ex-plancher annuel 2011 des 2 315 points.
Qui de Wall Street ou de Shanghai constitue le meilleur baromètre de la conjoncture mondiale ? Vous avez le droit de répondre « ni l’un ni l’autre »… si vous détenez de l’or !