** Le bon docteur Alan Greenspan se félicite de l’initiative de son successeur — à défaut d’être son fils spirituel — Ben Bernanke d’abaisser les principaux taux directeurs de 50 points. En lisant entre les lignes de ses dernières interventions, nous comprenons que la Fed a peut-être un peu tardé à réagir… qu’elle a manqué de sens de l’anticipation.
Cela fait plusieurs mois que M. Bulles fait campagne sur la résurgence du risque de récession aux Etats-Unis. Il en découle que la probabilité qu’elle se produise reste supérieure à 30%, même après un abaissement à 4,75% (voire bientôt à 4,50%) du loyer de l’argent.
A très court terme, les marchés vont retrouver un semblant de liquidité ; le curseur de l’échelle de la peur — comprendre le spread, c’est-à-dire l’écart de rendement entre emprunts d’Etat et émissions du secteur privé — devrait retomber dans une zone de relatif confort.
Mais le Maestro ajoute : « il faut se souvenir que nous avons encore un gros problème de stock de logements neufs invendus ». A l’appui de ses dires, l’Association américaine des constructeurs de maisons individuelles fait état de prévisions très pessimistes pour la fin de l’année, et s’attend à une poursuite de l’allongement des délais de commercialisation sur fond de marges laminées.
** Ben Bernanke (qui vient de poser son hélicoptère, débarrassé de sa cargaison de belles liasses de billets de 100 $ tout neufs, près du Capitole) déclarait jeudi devant le Congrès que les particuliers allaient se trouver confrontés à des difficultés de remboursement de leurs prêts à taux variable, compte tenu de la difficulté de trouver des refinancements à des coûts supportables dès que le profil de l’emprunteur est jugé « à risque ».
S’il s’avère facile de rendre les liquidités abondantes et peu chères à court terme afin de soulager les spéculateurs en difficulté sur les dérivés de crédit… il est en revanche beaucoup plus difficile de rendre un chômeur solvable lorsque le marché du travail se dégrade comme ce fut le cas au mois d’août.
En ce qui concerne le rebond des prix de l’immobilier, l’exemple peut difficilement venir d’en haut. Les méga-bonus que se partageaient les golden boys de Wall Street depuis quatre ans vont fondre — parfois dans des proportions drastiques — au second semestre 2007… sauf peut-être chez Goldman Sachs : la société apparaît miraculeusement épargnée par la crise du subprime et voit son bénéfice bondir de 80% au troisième trimestre.
Les plus belles adresses donnant sur Central Park ou situées dans les quartiers branchés de Soho ou Tribeca pourraient devenir plus abordables en fin d’année, faute de traders surpayés pour entretenir la surenchère.
** Certains d’entre eux — ils sont au minimum au nombre de six — seraient même en recherche d’emploi après avoir « planté » le Crédit Agricole (et sa filiale Calyon de New York) de 250 millions d’euros au cours de l’été. Tout cela ne serait pas arrivé sans procédures de contrôle plus efficaces, nous explique la direction du groupe — qui se jure d’y remédier au plus vite.
Mais ces « procédures de contrôle efficaces » sont précisément les grains de sable qui ruinent toute initiative juteuse en matière de trading sur les marchés dérivés. En effet, l’inventivité, la réactivité, la prise de risques calculés (parfois de façon très approximative !) y sont les conditions cardinales d’une gestion pour compte propre performante.
Si les plus hautes instances dirigeantes bancaires avaient à ce point le souci du détail, de la transparence, de la maîtrise du risque… pourquoi encourageraient-elles à ce point la création de centaines de structures offshore où la liberté d’action est pratiquement totale, l’opacité des opérations la règle et le fisc ou la SEC les ennemis jurés du business ?
Nous ne connaissons pas le montant exact des engagements « hors bilan » des plus grandes banques de la place (ni nous ni personne, au demeurant, et surtout pas la BCE ou la Réserve fédérale). Cependant, nous estimons très prudemment à 50% la masse des 6 000 milliards de dollars de transactions quotidiennes sur les dérivés de crédit qui transitent via des paradis fiscaux.
Une majorité de ces échanges de devises, de dettes et d’assurances contre les risques de défaut de paiement est constituée d’opérations de gré à gré, c’est-à-dire « hors marché », sur la base de valeurs et d’échéances connues des seuls contractants. Dans ces conditions, allez savoir si les pertes encourues sont quantifiables lorsque certains « conduits » deviennent illiquides, comme c’est encore le cas sur de nombreux ABS, CDS et autres CDO !
Il n’est plus un ténor de la finance ou du monde politique qui ne réclame plus de transparence, plus de vigilance, plus de règles prudentielles… Mais ce ne sont là que déballage de voeux pieux et rodomontades destinées à amuser la galerie : les avocats et autres « correspondants locaux » basés aux îles Caïman rient à belles dents, ceux qui ont choisi les Bermudes se tapent sur les cuisses !
** Et allez nous faire croire que la remontée de 5% des indices boursiers de la zone en moins de 48 heures résulte de la pure confrontation entre l’offre et la demande : il s’agissait d’une véritable opération commando à grande échelle déclenchée contre les vendeurs à découvert (qui ont les fondamentaux avec eux… tandis que Ben Bernanke ne dispose que de la planche à billets).
Mais un peu à l’image d’un uppercut asséné en traître après le coup de gong final, cela peut en faire voir trente-six chandelles au boxeur qui le reçoit. Cependant, l’issue du combat reste inéluctable si le comptage des arbitres lui donnait une avance de 10 points à l’issue du 15ème round.
Il lui en coûtera peut être une dent, ou une arcade sourcilière fendue… il aura simplement un peu moins fière allure lorsqu’il lèvera le poing de la victoire.
Et attendant, Ben Bernanke — et ses relais à Wall Street — peuvent danser sur le ring en montrant leur adversaire qui se tient le visage en grimaçant. Même si le public, qui les soutient, exulte, la défaite qui s’est construite au fil des rounds (pour cause de fanfaronnade et de garde trop basse face aux incessants coups de boutoir de la bulle du crédit) n’en sera que plus amère.
Le public veut continuer de croire qu’un coup de -50 points sur les taux directeurs, administré six mois après la faillite des premiers prêteurs subprime en Californie, va ranimer la spirale haussière et relancer le grand cirque de l’argent fou. C’est aussi vain que d’espérer échapper à la gueule de bois après avoir descendu deux magnums de mauvais champagne… d’échapper à une scène de ménage (voire à des embarras de santé peu avouables) après des semaines de débauche… ou d’échapper à ses créanciers en changeant simplement son nom sur sa boîte aux lettres.
** En parlant de « gueule de bois », le marché parisien a digéré sans paraître atteint de nausées l’orgie de hausse des précédentes 48 heures. Le CAC 40 n’a cédé que 0,73% sur les 6% engrangés depuis le plancher des 5 417 points testé mardi matin.
Une tentative de débordement des 5 700 points (après de longues heures d’étroites oscillations entre 5 675 et 5 685 points) a même échoué en milieu d’après-midi. La chute de 0,6% des indicateurs avancés aux Etats-Unis a douché l’enthousiasme des acheteurs.
Mais cette journée restera surtout marquée par le nouveau plancher à 1,4100/euro « tout rond » inscrit par le dollar vers 18h. Cette débâcle du billet vert n’a guère affecté les places européennes dans leur ensemble — mais à 24 heures de la « journée des Quatre Sorcières » qui marquera la fin du troisième trimestre boursier pour de nombreux gérants, nous ne sommes guère surpris de ce scénario improbable.
Nous ajouterons même qui si nous étions basés outre-Atlantique et que nous anticipions un euro à 1,50 $, acheter des valeurs de l’Euro-Stoxx 50 nous apparaîtrait un intéressant calcul !
Philippe Béchade,
Paris