La Chronique Agora

Au bout de 9 mois, Bernanke accouche d’un scenario baptise "stagflation"

** A l’heure où nous entamons la rédaction de cette Chronique, le Nasdaq dévisse de 3% (tout comme mercredi soir) et le Dow Jones (qui affichait un bon -200 points) semble bien parti pour rejoindre les 13 000 points avant que ne débute le week-end. C’est ce que suggère le plongeon de l’assureur AIG ou de Citigroup (-6%), IBM (-5%) ou encore Intel (-4%) et Home Depot (3%).

Ben Bernanke a confirmé ce jeudi, devant la Commission économique mixte du Congrès, que la croissance américaine va ralentir au cours des deux prochains trimestres… sur fond de poussée inflationniste. Voici brossé en creux, mais de la manière la plus éloquente qui soit, un scénario de stagflation tel qu’il vous fut exposé dans nos Chroniques, et sous la plume de l’ensemble de nos correspondants neuf mois auparavant.

Ils n’avaient d’ailleurs pas attendu l’éclatement officiel de la crise du subprime et de la bulle du crédit, symbolisée par la faillite de New Century Financial.

Ce ne fut que la première d’une longue série parmi les spécialistes des créances à haut rendement. On trouve nombre de hedge funds, les SIV ou conduits — des filiales le plus souvent off shore permettant aux banques classiques de prendre des risques insensés sous le couvert d’ opérations hors bilan. Le tout agrémenté d’un tas d’officines para-financières offrant des prêts assortis de taux usuraires destinés à des emprunteurs dépourvus du moindre commencement de garantie (tels que salaire décent, pension, ou encore héritage.).

Il aura donc fallu neuf mois pour que les autorités monétaires américaines accouchent d’un diagnostic que n’importe quel économiste doté d’un peu de bon sens aurait pu poser d’emblée en tenant compte d’une série de symptômes si alarmants. Ce qui n’a pas empêché Wall Street — et la presse bien pensante — de s’acharner à en nier la pertinence, voire même l’existence !

** Le patron de la Fed se déclare à présent inquiet — tout comme les marchés depuis 48 heures — de la dégradation des fondamentaux du marché du crédit aux Etats-Unis, de la flambée du pétrole qui risque d’affecter les prix d’autant plus fortement que le dollar chute contre toutes les autres devises (il ne vaut plus que 112,45yen). Et il tente de rassurer le Congrès en expliquant que lui et ses collègues ne se sont pas livrés (comme un certain Alan G.) à un calcul probabiliste du risque de récession au cours des prochains mois.

Lorsque nous évoquons l’inquiétude des marchés, nous faisons soft car l’évolution des indices américains commençait à faire souffler un petit vent de panique. Ce dernier se traduit par une débâcle symétrique du dollar face au yen — sous les 112,4, ce qui en dit long sur le sort réservé à ceux qui ne se sont pas ménagé une porte de sortie sur leurs opérations de carry-trade

** Les places européennes ont particulièrement bien résisté, jeudi après-midi, au séisme survenu mercredi soir au sud de Manhattan. Francfort s’est même offert le luxe d’afficher un gain de 0,3% dans le sillage de Siemens (8,5%) ou Postbank (18%). Madrid a carrément ignoré le plongeon du dollar et des indices américains : l’IBEX s’est adjugé 0,65% de gains grâce à BSCH (+3,9%) et Acciona (+6%), avec pratiquement deux titres sur trois dans le vert.

Malgré tout, l’Eurotop 100 chute de 1%. Le marché parisien, de son côté, s’est replié de 0,9% (jusque sur 5 630 points) mais n’a pas laissé de gap béant sous les 5 645points, ce qui aurait pu trahir un renoncement des acheteurs.

Il s’est par ailleurs échangé pas moins de 9,15 milliards d’euros sur les seules valeurs du CAC 40, ce qui prouve qu’avant même d’aborder la zone des 5 560 points, la chasse aux bonnes affaires est déjà ouverte. A moins qu’il ne s’agisse des premiers signes tangibles d’un arbitrage des actifs libellés en dollar par des gérants d’origine asiatique ou du Proche-Orient.

** Il faut bien faire quelque chose de l’argent… et la Banque Centrale Européenne (qui réunissait son conseil de politique monétaire ce jeudi) se montre plus optimiste que la Fed sur la conjoncture pour le Vieux Continent, dans le sillage du boom économique asiatique. Comme si la croissance chinoise — qui dépend étroitement de l’orgie de dépenses à crédit des consommateurs américains — ne risquait pas à son tour de connaître un coup d’arrêt brutal en cas de stagflation (ou pire) aux Etats-Unis.

Car c’est en majeure partie le commerce extérieur allemand qui tire le convoi européen (en ce qui concerne les ventes de détail en interne, le bilan est consternant) et la locomotive germanique puise son énergie dans la grosse batterie symbolisées par l’acronyme « BRIC ».

Prudent lors de sa conférence de presse, J.C. Trichet s’est appliqué à ne rien dire qui puisse entretenir de faux espoirs ou au contraire décevoir les marchés financiers.

Les dernières mesures de l’inflation ne laissaient guère d’autre choix à la BCE que de maintenir un statu quo à 4% sur le loyer de l’argent.

L’institution francfortoise continue de surveiller de près l’évolution des prix, mais ne fait pas référence à une « vigilance » censée préfigurer un nouveau tour de vis monétaire.

Pas de hausses de taux en vue en Europe. Wall Street, lui, met la pression sur la Fed en mettant en péril la tendance haussière des trois derniers mois… c’est du pain béni pour l’once d’or qui clôturait jeudi à un nouveau record de 837,5 $ l’once.

** Mais le métal précieux n’est qu’une matière première parmi d’autres et l’appétit des trusts miniers australo-britanniques ne semble plus avoir de limite : BPH Billiton a dévoilé jeudi une tentative d’OPA/OPE de 60 milliards de livres sterling sur son principal rival Rio Tinto (21% en clôture) qui vient à peine de mettre la main sur Alcan (pour 40 milliards de dollars).

Nous ne saurions trop vous conseiller de garder précieusement vos mines d’or, dans l’hypothèse où les protagonistes de cette méga-fusion envisageraient de se diversifier dans un actif qui ne part pas en fumée comme le charbon ou qui ne se retrouve pas enfermé comme l’acier dans le béton.

Philippe Béchade
Paris

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