Le secteur de l’assurance-vie est sous pression… et cela ne date pas de la crise du coronavirus. Les mesures prises en conséquence sont-elles bien claires et transparentes ?
En novembre 2019, Bernard Delas, vice-président de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), l’organe de supervision français de la banque et de l’assurance, disait ceci :
« Les assureurs n’ont […] pas d’autre choix que de progressivement faire évoluer et diversifier leur offre produit. L’objectif est clair. Mais les initiatives à prendre pour l’atteindre sont soumises à de fortes contraintes. Il faut trouver un équilibre entre l’impératif économique qui oblige à réévaluer la nature et l’ampleur des garanties proposées et la demande de l’épargnant qui a un très fort besoin de sécurité et souhaite des produits ne présentant pas ou peu de risque.
Le nouveau paysage de l’assurance-vie va par conséquent se dessiner progressivement autour de quelques points forts. Le produit euros continuera bien sûr d’occuper une place majeure, mais sa rémunération sera de moins en moins attractive.
Les produits exclusivement investis en UC [unités de compte] resteront quant à eux réservés à un segment de la clientèle prêt à supporter l’intégralité des risques.
Entre les deux, il appartient aux assureurs de faire preuve de créativité en proposant de nouvelles offres répondant à la fois au besoin d’une rentabilité sur moyenne période supérieure à celle du fonds euros et à un certain niveau de sécurité ou de protection.
Le produit Eurocroissance qui vient d’être simplifié afin de faciliter sa distribution fait partie de ces nouvelles offres mais il en faudra d’autres pour répondre à la variété des besoins qui vont s’exprimer dans ce nouvel environnement. »
Ça, c’était le discours officiel, sans doute bien différent de celui tenu en privé aux patrons d’assurance. Mais, en résumé, le message était celui-ci :
« Débrouillez-vous pour assurer vos marges, ne pas faire faillite et offrir un rendement correct en conservant une garantie de façade sans quoi les épargnants vont fermer leurs contrats. »
Si la tutelle le dit, allons-y !
Ainsi, dès septembre 2019, mais surtout en fin d’année, certains assureurs ont littéralement stoppé la possibilité de souscrire au fonds général garanti. D’autres ont minimisé son montant à 20 % ou 30 % des dépôts.
Pas mal de banques et de conseillers financiers ont simplement demandé ou plutôt fait souscrire à leurs prospects et clients des contrats où le fonds euro était remplacé soit par de l’Eurocroissance, soit par un mix entre SCPI et fonds Eurocroissance.
Une question me taraude : juridiquement, est-ce que les conditions générales stipulaient le fait que la compagnie interdisait le fonds garanti ? Les clients ont-ils reçu un avenant stipulant la fermeture à la souscription du fonds garanti ? La compagnie, le conseiller avaient-ils le droit de ne pas proposer ce produit ?
Est-ce que les compagnies d’assurance avaient le droit de stopper les versements sur un fonds garanti dans les contrats de leurs prospects ou clients ? J’aimerais savoir dans quel cadre réglementaire les conseillers ont fait ces reversements ou ces souscriptions.
Est-ce que le conseil a été donné correctement ? Avec des tests d’adéquation à la situation personnelle des souscripteurs correctement réalisés, comme le stipule la réglementation de la distribution des assurances (DDA) ?
Pour ma part, connaissant parfaitement le métier, j’ai de gros doutes. Je ne sais que trop bien, que trop souvent les courtiers d’assurances ne sont pas préparés et pas outillés dans leurs cabinets pour faire cela.
Retournement de veste de l’ACPR
La chose qui m’intrigue le plus, c’est justement le communiqué de presse de l’ACPR le 10 mars 2020, en mode retournement de veste. Le titre en dit déjà long : « L’assurance-vie est un produit long terme dont les caractéristiques doivent être clairement expliquées aux clients par les professionnels. »
L’ACPR y rappelle aux clients potentiels de ces fonds qu’ils doivent être attentifs aux clauses… qu’il est difficile de concilier sécurité et rendement et liste quelques clauses clairement en défaveur du client :
– Un relèvement, pour certains contrats euros, des droits d’entrée et des frais perçus lors des versements. Compte tenu de la baisse du rendement annuel des fonds euros, les frais ainsi prélevés peuvent parfois représenter l’équivalent du rendement de plusieurs années.
– Une modification de certains contrats afin de permettre l’imputation des frais de gestion sur le capital garanti ce qui peut conduire à ce que le montant garanti par le contrat soit in fine inférieur au montant versé à l’origine ou pendant la durée du contrat.
– Une incitation à la souscription de contrats comportant une part significative de supports en unités de compte en proposant dans certains cas des avantages financiers (bonification du taux de rémunération, réduction temporaire ou gratuité de frais) conditionnés à un niveau d’investissement minimal sur des supports en unités de compte.
Il adresse également un message on ne peut plus clair aux professionnels :
« [Ils] sont tenus de fournir à leurs clients une information claire, y compris sur les risques inhérents aux contrats en unités de compte, et doivent les accompagner dans la définition de leurs besoins afin d’adapter et de personnaliser leurs propositions commerciales, celles-ci-ci ne pouvant pas être identiques pour tous les profils. »
Au travers de ce communiqué de presse, l’ACPR tente de se dédouaner. En revanche, les assureurs qui ont foncé tête baissée dans le piège vont devoir expliquer à leurs troupes et à leurs réseaux de distribution ce qu’il faut dire aux clients après la chute massive des cours.
Conclusion : la transparence est essentielle
Au regard de la situation économique des assureurs et des taux bas, il est évident qu’il fallait réagir d’une manière ou d’une autre. Mais celle-ci n’est pas transparente du tout et je ne suis pas sûr qu’elle ait respecté les règles contractuelles, ni l’éthique de la profession.
Je vous rappelle que les élus et économistes mainstream racontaient il y a encore peu à qui voulait l’entendre que 2008 était loin, que nos entreprises se portaient bien et que les stress tests bancaires dans la zone EEE donnaient de bons résultats.
Encore une fois, le changement des règles comptables en urgence à Noël 2019 prouve qu’il y avait bien urgence (avant le confinement généralisé) à sauver les fonds propres des assureurs. Les taux bas sont un poison violent pour la gestion d’un fonds euros composé aux deux tiers d’obligations étatiques.
En plus, les fonds garantis sont moins transparents que les fonds risqués. Nous ne savons pas précisément de quoi ils sont composés. Etrangement, ils sont moins transparents que les fonds risqués comme un OPCVM. Bizarre pour un fond garanti… On dit souvent « quand tu n’es pas transparent, c’est que tu as un truc à cacher. »
Tout le monde croit que les obligations d’Etat ne sont pas risquées. Je n’en suis pas si sûr.
Cette transparence, si les particuliers l’avaient, ils demanderaient à leurs conseillers financiers un arbitrage rapide ou des explications complémentaires. Depuis des années, l’ACPR a beau demander une transparence sur ces fameux produits garantis, elle n’arrive jamais.