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Assurance-vie : ça passe ou ça casse

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Les hausses des taux pourraient paradoxalement pousser les épargnants français à retirer massivement leurs fonds de l’assurance-vie, au profit d’un autre type d’épargne…

Les périodes de transition ne sont jamais de tout repos pour les entreprises. Parfois, le passage d’une situation tendue à une situation pourtant plus favorable peut même s’avérer risqué pour la survie d’un modèle d’affaires.

Le monde de l’assurance-vie est en train de traverser ce type de paradoxe.

Sur le papier, la remontée des taux d’intérêt et, par effet de contagion, du rendement des emprunts d’Etats, est du pain béni. Elle signe la fin de la période des « taux zéro », qui avait fait des assurances-vie en euros un bourbier pour les assureurs.

Pourtant, la violence de la remontée des taux ne fait pas les affaires des gérants.

Qui dit hausse des rendements dit baisse de la valeur faciale des obligations d’Etat avant leur terme. La période de marasme économique que nous traversons incite les particuliers à la réduction de leur épargne, ce qui vient tarir les flux de souscription. Or, sans argent frais, les assureurs ne peuvent acheter les obligations d’Etat désormais décotées, et sont donc bien en peine de matérialiser, à court terme, la hausse des taux de rémunération de l’épargne.

Comme si la situation n’était pas assez difficile, voilà que le livret A vient une nouvelle fois de voir son taux revu à la hausse. Cet éternel concurrent de l’assurance-vie en euros, qui bénéficie de la même réputation de placement « de bon père de famille » et de la même image de sécurité, est désormais rémunéré à hauteur de 3% par an.

Pour les assureurs, il s’agit d’une tempête parfaite. Elle risque de provoquer un scénario du pire qui verrait les épargnants retirer massivement leurs fonds. Baisse des encours, réalisations de pertes, emballement à la baisse sur les obligations d’Etat : avec plus de 1 800 Mds€ d’actifs sous gestion (plus de 72% du PIB français), l’assurance-vie tricolore représente un risque systémique.

Le comportement adopté par les assureurs ces dernières semaines montre qu’ils sont bien conscients du risque. Reste à voir si leur prudence suffira à éviter le pire.

Le livret A peut emporter les marchés financiers

Pour les particuliers, le taux de rémunération du livret A représente le taux plancher de l’épargne par excellence.

Parce que le livret A est accessible à tous les contribuables sans conditions de revenus ; parce qu’il est réputé sûr (sans risque de contrepartie) ; parce que sa rémunération est défiscalisée ; parce que les fonds ne sont pas bloqués ; et parce qu’il est proposé par tous les établissements bancaires, il s’agit d’un produit ubiquitaire.

Le nombre de livrets A s’élevait, au 31 décembre 2021, à 55,7 millions : autant dire que la quasi-totalité des Français en possède un.

Le livret A n’est pas qu’une manière de toucher une petite rémunération pour ses liquidités, c’est aussi un concurrent direct de l’assurance-vie en euros.

Son taux d’intérêt sert de base de comparaison pour les épargnants. En effet il est, en tous points, supérieur à l’assurance-vie… la seule variable étant sa rémunération.

Or, celle-ci a augmenté de 500% depuis le 1er janvier 2022, passant de 0,5% à 3%. Elle retrouve un niveau inédit depuis 2008.

Pas étonnant, dans ce contexte, que les encours aient explosé. Selon la Caisse des dépôts (CDC), l’encours des livrets A et des livrets de développement durable et solidaire (LDDS) a gagné 40 Mds€ en 2022 pour s’établir, au 31 décembre, à 509,7 Mds€.

La somme représente déjà près du tiers du montant total des assurances-vie. Et avec un encours moyen inférieur à 6 000 € pour un plafond fixé à 22 950 €, les livrets A ouverts pourraient absorber plus de 1 900 Mds€. Ce qui représente plus que la totalité des liquidités aujourd’hui placées dans des assurances-vie en euros.

Les gérants feront tout pour éviter un tel transfert, qui serait catastrophique.

Quand les assureurs font mentir les taux

Pour présenter aux épargnants une base de comparaison favorable, les assureurs ont mobilisé ces derniers mois leur provision pour participation aux bénéfices (PPB). Véritable trésor de guerre, cette réserve constituée au fil des ans représente près de 90 Mds€.

En 2022, les assureurs auraient ainsi débloqué une partie de la PPB pour augmenter artificiellement les rendements servis de l’ordre de 0,2 à 0,3 point de base, tout en cessant d’abonder cette réserve (0,4 point de base supplémentaires économisés en moyenne).

Ainsi, les gestionnaires peuvent aborder 2023 en affichant des rendements en forte hausse. Le plancher de Société Générale Assurances est ainsi passé de 0,75% à 1,60% (soit une hausse de 113% du rendement), tandis que celui offert par le Crédit Agricole s’est envolé de 0,65% à 1,90% (+192%).

Il s’agit d’un effort inédit, la PPB étant historiquement abondée même durant les moments les plus difficiles. La Société Générale, par exemple, avait encore mis en réserve 0,8 point de base l’année passée, alors que le rendement moyen des assurances-vie en euros n’avait été que de 1,3%.

Toutefois, même en puisant dans les réserves, il n’est pas dit que les assureurs parviennent à conserver les faveurs des épargnants.

Depuis le 1er janvier 2018, les intérêts générés sur les fonds en euros sont soumis annuellement aux cotisations sociales au taux global de 17,2% dès leur inscription en compte. Même en négligeant l’imposition sur le revenu à hauteur de 7,5% en cas de retrait matérialisant des gains supérieurs à 4 600 €, cela signifie que les 1,3% bruts versés sur les contrats l’an passé n’étaient que de 1,07% après prélèvements sociaux.

En 2022, avec un taux de rémunération moyen autour des 2%, les épargnants ne verront leurs encours n’augmenter que de 1,65% – soit environ la moitié du taux offert par le livret A. D’autant que le taux de ce dernier pourrait à nouveau être revu à la hausse le 1er août, à 3,3%, voire 3,5%.

Les épargnants aux abonnés absents

Selon les premières estimations relayées par La Tribune, l’assurance-vie aurait connu une collecte nette de moins de 15 Mds€ en 2022, en baisse de 37% par rapport à 2021.

Les gestionnaires surveillent comme le lait sur le feu l’état des flux financiers. En 2020, la collecte nette de l’assurance-vie avait été négative pour la deuxième fois depuis le début du siècle. Mais la première année de la pandémie était exceptionnelle à bien des égards et le comportement des épargnants ne suivait aucun modèle pré-établi.

Aujourd’hui, les assureurs devraient servir un rendement brut de 3,6% pour ne serait-ce qu’égaler la rémunération du livret A. Même en puisant dans la PPB, ils sont bien loin de pouvoir le faire.

Pour éviter une fuite massive des capitaux qui les obligerait à matérialiser leurs moins-values latentes sur les obligations d’Etat, il leur faudra donc compter sur l’inertie des épargnants. Après tout, ceux qui ont conservé leurs fonds en assurances-vie durant les années de taux zéro étaient prêts à voir la valeur réelle de leur épargne fondre année après année. Peut-être le feront-ils encore quelques années de plus.

Si tel n’était pas le cas, les assureurs savent qu’ils disposent d’une arme absolue : la loi Sapin 2, qui prévoit la possibilité d’imposer une diminution des taux de l’assurance vie et de bloquer purement et simplement les rachats.

Des grandes banques à l’Etat, personne n’a intérêt à ce que les Français retirent massivement leurs fonds des assurances-vie en euros. Cela n’arrivera donc probablement pas pour la masse des épargnants. Reste à savoir si les 1 800 Mds€ resteront sagement investis en obligations d’Etat de gré, ou de force.

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