La Chronique Agora

Assurance et réassurance : fumer de la TNT et boire de la dynamite

▪ L’Hydre du mythe grec est un serpent cruel à plusieurs têtes. Il possède une capacité particulière qui le rend très difficile à tuer : lorsqu’on coupe l’une de ses têtes, deux repoussent à la place.

Pour l’auteur Nassim Nicholas Taleb, l’Hydre est la métaphore parfaite de « l’antifragilité ». Ce néologisme déconcertant est le titre de son dernier livre, sous-titré Les bienfaits du désordre (à paraître en France en août aux éditions Les Belles Lettres, ndlr.).

Si le concept est relativement simple, ses applications sont multiples.

En tant qu’investisseur, l’antifragilité traduit une idée qui selon moi aura de plus en plus d’importance dans notre époque traversée par les crises. En résumé, il vous faut détenir quelques hydres dans votre portefeuille.

Commençons par un aspect de cette idée : vous ne pouvez prédire quand ou ce que sera le prochain choc (à moins, comme le souligne Taleb, que cela vous plaise de vous tromper). En revanche, vous pouvez « énoncer avec beaucoup plus de certitude qu’un objet ou qu’une structure est plus fragile qu’une autre si un événement donné a lieu ».

Par exemple, vous pouvez prédire avec certitude qu’un vase en porcelaine est plus fragile qu’un pot en acier si on le jette par terre. Vous pouvez observer un immeuble et en déduire qu’il résistera à un séisme mieux qu’un autre immeuble. Et vous pouvez comparer des actions et dire laquelle aura le plus de chance de survivre à une crise.

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Votre patrimoine n’est pas à la hauteur de vos espérances…
Votre revenu suffit tout juste à couvrir vos dépenses — et ces dépenses grimpent…
On est en pleine crise ; les économistes prédisent que les choses vont empirer…

QUE POUVEZ-VOUS FAIRE ?

La réponse est étonnamment simple… et étonnamment efficace : tout est là…

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▪ Quelles entreprises sont antifragiles ?
En lisant le livre, je n’ai cessé de penser à des entreprises que j’apprécie et qui montrent des signes d’antifragilité. Par exemple des banques qui n’ont pas souffert lors de la crise financière mais qui ont profité de cette opportunité pour acheter à bon marché des banques en faillite. Ou des sociétés immobilières qui ont déniché de bonnes affaires dans des actifs dépréciés. Autre bon exemple d’entreprises antifragiles pensai-je, les entreprises de réassurance.

Puis, à la page 73 du livre de Taleb, je tombe sur ces lignes : « certaines entreprises adorent leurs propres erreurs. Les entreprises de réassurance, dont l’objectif est d’assurer les risques de catastrophe (et sont utilisées par les compagnies d’assurance pour ‘réassurer’ de tels risques non diversifiables), arrivent à bien s’en sortir même après une catastrophe, voire à faire un coup à partir de l’événement lui-même. Si elles sont encore sur le marché et ‘conservent toutes leurs munitions’ (peu arrivent à avoir des plans pour de tels imprévus), elles compensent en augmentant les primes de façon disproportionnée »…

Si tout ce que doit faire le réassureur c’est contenir les erreurs et maintenir une bonne protection, alors un tel réassureur a des propriétés antifragiles géniales.

J’avais abordé un tel sujet dans le numéro de juin 1993 de Schiff’s Insurance Observer, dans un article intitulé « Fumer de la TNT et boire de la dynamite : de l’activité courante dans le secteur de l’assurance ».

L’assurance est l’un de ces secteurs décalés pour lesquels de mauvaises nouvelles sont de bonnes nouvelles, fait que nous ne devrions pas oublier lorsque les assureurs en voient de toutes les couleurs après le passage de l’ouragan Sandy. Comme l’écrit Schiff, « les séismes, les averses de grêle, les explosions, les blizzards, les tornades et les tempêtes tropicales sont considérés comme des présages de meilleurs temps à venir ».

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La théorie est qu‘à mesure que les assureurs traversent les épreuves, il y a moins de capital d’assurance disponible. Moins de capital signifie des prix plus élevés pour s’assurer. De cette façon, les assureurs compensent les pertes, voire font plus qu’ajuster. Naturellement, cela ne fonctionne pas toujours de cette façon mais cela semble l’être le plus souvent.

Ce qu’il faut noter ici, c’est que la réassurance semble être un secteur rare qui bénéficie du désordre. C’est une hydre. Toutefois, les hydres ne se trouvent pas uniquement dans quelques industries. On en retrouve certaines caractéristiques dans plusieurs secteurs. Je ne peux pas citer ici toutes les idées du livre de Taleb mais je voudrais en souligner une.

▪ Quels sont les dirigeants « antifragiles » ?
Un chapitre du livre s’intitule « Prendre part au risque ». Pour le résumer simplement, pour qu’une entreprise soit antifragile, son exécutif doit être pécuniairement impliqué. Pas d’avantages sans inconvénients. Pas de PDG bénéficiant d’un parachute doré en cas d’échec. Il n’est donc guère étonnant « qu’il semble y avoir davantage de survie dans les petites et moyennes entreprises familiales ou gérées par leur propriétaire… Il y a une différence entre un directeur qui dirige une entreprise qui n’est pas la sienne et une entreprise gérée par son propriétaire ». Cette dernière a un avantage.

Clairement, la plus grande partie du marché ne fonctionne pas sur ce principe. A lieu de cela, la plupart des dirigeants d’entreprise ont des « incitations » mais une propriété minimale. Ils ont la bride sur le cou, aux frais des actionnaires.

Taleb prend l’exemple de Robert Rubin, qui a gagné 120 millions de dollars en 10 ans chez Citibank. Citibank s’est effondré mais Rubin a gardé son argent. Les actionnaires ont perdu (et les contribuables aussi, malheureusement). Cet aspect des marchés modernes m’énerve au plus haut point. Plus je vieillis, plus cela m’exaspère. Je sais, je risque de devenir un vieux grincheux.

Heureusement, aussi fragiles que puissent être la plus grande partie du marché et ses entreprises, il y a toujours des exceptions. Je veux posséder ces exceptions. Certaines gagnent, même dans ce monde de désordre. Ce qui me rappelle une autre métaphore à propos de l’antifragilité : le personnage de détective privé, Philip Marlowe. Dans l’une des nouvelles écrites par Raymond Chandler, Marlowe déclare : « les problèmes, c’est mon affaire. Comment gagnerais-je ma vie autrement ? »

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