La Chronique Agora

Assouplissement quantitatif : la BCE peut-elle se mettre à l’unisson de la Fed ?

banques centrales

▪ La séance de mardi nous a permis de mesurer à quel point les permabulls ne se laissent démonter par aucun contretemps baissier. C’est de leur point de vue purement technique… et imputable à une erreur de communication de Carl Icahn évoquant le « mirage » des supers profits sur fond de taux anormalement bas.

Il est vrai que Carl Icahn s’est quelque peu ravisé, délivrant au passage une leçon de bourse que nous ne sommes pas près d’oublier : « l’évolution des marchés est ‘imprédictible’, la crainte d’une correction ne peut tenir lieu de pronostic certain ».

Nous ne sommes pas convaincu à 100%, nous souvenant que les banques centrales orchestrent une hausse aussi régulière qu’irréversible depuis un an. C’est naturellement l’argument sur lequel comptent les permabulls pour enterrer toute anticipation baissière des contrariens.

Cela revient à reconnaître au passage que les cours sont gonflés à l’hélium et que ni les profits ni la conjoncture ne justifient les niveaux actuels… Mais Janet Yellen leur a promis qu’elle laisserait la valve de la bonbonne de gaz ouverte au débit maximum.

▪ L’ascenseur très spécial de la Fed
Nous leur proposons une autre interprétation : les indices se comportent comme de véritables ascenseurs. Quand ils s’arrêtent à un étage et que la cabine se remplit, tous ceux qui attendent leur tour dans les étages supérieurs ont beau presser fébrilement sur le bouton, rien ne se passe.

La Fed a bien sûr déconnecté dès le départ les circuits du moteur qui gèrent le mode « descente ». Elle neutralise symétriquement les systèmes de freinage lorsque la nacelle franchit un niveau où d’autres usagers attendaient également de pouvoir l’emprunter.

Autrement dit, l’ascenseur n’a plus de freins ni de programme permettant de gérer une redescente en douceur, en marquant les arrêts à chaque étage. Si le moteur — celui du QE3 — vient à lâcher parce que la cabine est bondée, ce sera le grand plongeon du 33ème jusque vers le 5ème sous-sol.

Lorsque l’ascenseur redescend parfois d’un étage, ils mettent cela sur le compte de l’élasticité naturelle du câble et n’imaginent pas un instant que le moteur commence à patiner.

Ils n’ont voulu quitter la cabine à aucun moment avant d’avoir atteint le dernier niveau menant à la terrasse panoramique. Ils ont une confiance absolue dans la solidité du câble tressé par la Fed… et ne se posent aucune question sur l’état de la machinerie, puisqu’elle continue — même laborieusement — de les tracter vers les sommets.

La question que nous nous posons est la suivante : et si l’ascenseur était en fait déjà parvenu un peu au-delà du 33ème ? Et si les portes restaient bloquées du fait du débordement du repère marquant le dernier étage (alors que le moteur surchauffe vu qu’il n’y a plus un centimètre de câble à avaler) ?

Et si le Dow Jones, en franchissant durant quelques heures les 16 000 points, et le CAC 40 les 4 300, étaient entrés dans la zone rouge ?

Et si les attaches de la cabine commençaient à lâcher ?

▪ Un QE à l’européenne ?
Pour couvrir le bruit des craquements sinistres, Victor Constancio (un membre de la BCE) affirmait hier qu’un « QE à l’européenne » est possible mais que les modalités pratiques restent à déterminer. Autrement dit, on en discute entre nous, mais c’est juste histoire de causer, il n’y a rien de fait, il reste à déterminer si c’est faisable etc.

Beaucoup d’économistes penchent en faveur d’achats directs de dettes d’entreprises plutôt que d’un QE. En effet, le rachat de dettes d’Etat est une stratégie que l’Allemagne a toujours combattue, même au plus fort de la crise grecque en 2010 puis des pays périphériques (Portugal, Espagne, Italie) en 2012.

Pour en revenir aux déclarations de M. Constancio, loin de déclencher un sursaut euphorique des places européennes, ce fut un vrai flop. Les places européennes (-1% en moyenne) ont clôturé presque au plus bas du jour ; l’euro a poursuivi son raffermissement face aux autres devises — cela aurait dû être l’inverse — à 1,3530 contre le dollar.

Le vrai scoop des dernières 48 heures, nous le tenons de la bouche de Jean-Claude Trichet. Si nous étions vraiment en phase de sortie de la crise, la BCE aurait cessé ses injections quotidiennes illimitées au profit des banques italiennes et espagnoles.

En ce qui concerne la problématique si complexe de la parité de l’euro (on le supporterait au-delà des 1,50 $ dans les pays du nord, on le rêve entre 1,10 et 1,20 $ au sud des Alpes et des Pyrénées), M. Trichet propose également une solution particulièrement originale et séduisante : l’instauration d’un système de parités fixes entre les principales devises de référence, en commençant par l’euro-dollar.

N’importe quel économiste ayant digéré et intégré le corpus théorique de « l’école autrichienne » estimera que l’ex-président de la BCE — privé de sa dose quotidienne de langue de bois et de discussions serrées avec les conseillers d’Angela Merkel — ramollit du bulbe.

Ou alors il essaye de nous dire quelque chose !

Car les probabilités de voir Mario Draghi et Janet Yellen discuter de l’instauration d’une parité fixe semblent aussi improbables qu’une qualification de l’équipe de France face à l’Ukraine.

Mais nous venons d’avoir la preuve mardi soir que lorsque tout semble perdu et qu’une issue favorable relève du pur fantasme, il peut survenir des miracles.

Dans la sphère financière, en revanche, n’espérez pas qu’un sursaut d’orgueil, qu’une volonté d’agir pour le bien (et sous la pression) du public aboutisse à une forme de révolte contre la fatalité.

Les banques centrales et les gouvernements aux ordres des brasseurs d’argent comptent au contraire sur la fatalité pour infliger un 3-0 au grand public.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile