▪ Notre retour aux Etats-Unis s’est déroulé sans anicroches. A Dublin, on peut faire un "pré-enregistrement" auprès de l’Immigration et des Douanes US, ce qui a permis d’accélérer un peu notre entrée sur le sol américain.
La sécurité dans les aéroports est la sorte d’irréalité subjective dont nous parlions la semaine dernière. Elle existe, mais uniquement parce que les gens croient certaines choses.
Ils se croient plus en sécurité en prétendant que n’importe quel passager pourrait vouloir semer le chaos et qu’une fouille intensive élimine cette menace.
Est-ce bien le cas ?
Probablement pas. D’abord parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui veulent se suicider dans un vol commercial. Ensuite parce que le processus de filtrage n’arrêterait probablement pas un terroriste déterminé.
Mais nous en avons assez de la controverse. Nous sommes décidé à ne pas écrire quoi que ce soit, aujourd’hui, qui pourrait offenser ou perturber nos lecteurs.
On ne peut pas parler honnêtement de politique sans vexer au moins la moitié de la population |
Nous allons parler de l’élection présidentielle en Argentine, ceci dit. Or on ne peut pas parler honnêtement de politique sans vexer au moins la moitié de la population, alors voici un avertissement :
Si vous pensez que la démocratie dans sa version 2015 est le meilleur régime politique dont l’humanité ait jamais bénéficié… que c’est le nec plus ultra de la civilisation, impossible à améliorer ou perfectionner… mieux vaudrait arrêter de lire dès maintenant.
Parce que ce n’est pas nécessairement le cas…
▪ Compères contre zombies
Les élections sont "une vente aux enchères anticipées sur des biens volés", écrivait H.L. Mencken. Notre chronique du jour parle des acheteurs.
Au risque d’une simplification excessive, la ligne de faille des élections présidentielles argentines, dimanche dernier, séparait deux groupes : à gauche se trouvaient en majeure partie des zombies. A droite, des compères.
La différence entre les zombies et les compères n’est pas la quantité de biens volés qu’ils convoitent (les deux groupes veulent tout), mais le prix à l’unité.
Les compères préfèrent les marchandises conséquentes — les contrats gouvernementaux, les subventions agricoles et la protection des marchés. Les zombies — peut-être parce qu’ils sont plus nombreux — tendent à préférer les allocations en tous genres et les versements aux employés syndiqués.
Mauricio Macri, candidat compère, a gagné les élections en Argentine, battant le représentant des zombies, Daniel Scioli, successeur désigné de la présidente en activité, Cristina Kirchner.
Macri fait partie d’une des familles les plus riches du pays. Il a fait des études à la Columbia Business School et à la Wharton School, à l’Université de Pennsylvanie.
Etre riche a ses avantages — mais ça a aussi un prix. En 1991, la police fédérale argentine a kidnappé Macri et l’a retenu pendant 12 jours dans une cellule au sous-sol, jusqu’à ce que son père verse une rançon.
Cette anecdote nous rappelle Jules César. Des pirates l’avaient capturé et demandaient une rançon. La réponse de César : "vous feriez mieux d’espérer qu’ils ne verseront rien. Parce que s’ils le font, je reviendrai et je tuerai chacun d’entre vous" (ou à peu près).
La famille de César paya la rançon. Et César se lança à la poursuite des pirates. Il les attrapa et les mit à mort (bien que, par pitié, il permit qu’on les étrangle avant de les crucifier).
Pour autant que nous en sachions, Macri n’a jamais capturé ses ravisseurs. Et il ne les a pas fait crucifier. Ce qui montre à quel point la vie publique part en quenouille depuis l’empire romain.
▪ Un héritage désastreux
On ne s’attendrait pas à ce que quelqu’un comme Macri ait beaucoup de chances dans la pampa. Depuis la gigantesque vague d’immigration italienne à Buenos Aires au début du 20ème siècle, les zombies abondent.
Non que les Italiens soient particulièrement zombifiés. Mais c’était l’époque de la "syndicalisation", inspirée par les communistes, les socialistes et les anarchistes radicaux. Les Italiens rejoignirent les syndicats urbains et encouragèrent le versement de subventions à — devinez qui ? — eux-mêmes.
Contrairement à Macri, le plus célèbre politicien d’Argentine, Juan Perón, a fait carrière dans l’armée. En 1939, il a été envoyé dans les Alpes italiennes pour étudier les techniques militaires en terrain montagneux… et a appris comment fonctionnait le fascisme mussolinien.
Il a aussi découvert le secret pour gagner des élections : promettez aux zombies l’argent des autres, en quantité croissante |
Il a aussi découvert le secret pour gagner des élections : promettez aux zombies l’argent des autres, en quantité croissante.
En 1946, Perón, candidat pour le parti conservateur, battit le candidat centriste José Tamborini, et devint président. La population électorale du prolétariat de Buenos Aires était devenue si vaste qu’elle pouvait contrôler la nation entière.
Depuis, le parti péroniste — expert en manipulation de zombies — a gagné neuf élections sur les 11 auxquelles il a été autorisé à participer. Les fois où il n’a pas gagné, il a réussi à chasser le président en poste avant la fin de son mandat.
Mais le problème avec le socialisme, observait Margaret Thatcher, c’est qu’on finit par se retrouver à court d’argent des autres. C’est le problème qui a rattrapé le gouvernement péroniste le plus récent, celui de Cristina Kirchner.
Le gouvernement avait promis les biens volés, comme toujours. Mais il était devenu de plus en plus difficile de trouver quelque chose à voler. Selon l’analyste Iván Carrino, dans notre bureau de Buenos Aires, l’héritage de Kirchner comprend :
– Une inflation parmi les plus élevées au monde (des estimations privées la mettent à environ 25% par an).
– Un déficit budgétaire qui atteindra 7% du PIB d’ici la fin de l’année.
– Un taux d’imposition à des niveaux record en termes historiques.
– Quatre millions de fonctionnaires.
– Une banque centrale en faillite, avec une valeur nette négative de 8 600 milliards de dollars.
– Un marché des changes qui détruit le commerce international et viole les libertés élémentaires.
– Une dette publique impayée de 10 milliards de dollars environ.
Il fallait faire quelque chose. Dimanche, donc, les électeurs argentins ont mis les zombies dehors et élu le candidat compère. Son travail consistera à reconstruire l’économie sur des principes plus conformes au libre-échange — distribuant au passage de généreux avantages à ses amis et soutiens en Terre Compère, bien entendu. De la sorte, lorsque les zombies reprendront le dessus, ils auront plus d’argent des autres avec lequel travailler.