La Chronique Agora

Après les "Quatre sorcières", la chasse aux 60 millions de sorcières

** La troisième semaine du mois de juin était placée sous le signe de statistiques favorables aux Etats-Unis : embellie sur le front de l’emploi, mais aussi sur les mises en chantier de logements, les attentes des industriels, l’activité sur la côte est… Elle s’achève pourtant par une franche consolidation des indices boursiers de part et d’autre de l’Atlantique.  

Le vendredi 19 juin baptisé "journée des quatre sorcières" (expiration des positions à terme mensuelles, trimestrielles et semestrielles), a juste permis de limiter l’ampleur du recul hebdomadaire des places européennes grâce à une vague d’achats techniques destinée à optimiser des positions constituées fin mars, alors que les bancaires et les valeurs cycliques se négociaient en moyenne 50% en deçà des niveaux de la mi-juin.

Le Dow Jones a clôturé en repli de 0,2% ; il affiche ainsi un recul de 2,7% sur la semaine et de 2,5% depuis le 1er janvier. Le S&P a grappillé 0,3% et termine le premier semestre 2009 sur un gain de 2% — le second trimestre faire apparaître une hausse record de 17,5%. Comme en apesanteur, le Nasdaq a grimpé de 1,1% vendredi. Il engrange 15,9% depuis le 1er janvier mais nous ne détectons pas de réelle euphorie car les biotech et les pharmas, ainsi que quelques technologiques aussi défensives que Microsoft, Broadcom ou Apple, ont porté le rebond des valeurs de croissance depuis six semaines.

L’occasion était belle de terminer le premier semestre en fanfare… Cependant, les gérants n’ont pas véritablement sorti le grand jeu à Wall Street jeudi et vendredi dernier malgré l’optimisme affiché par les chroniqueurs appelés à faire le bilan des six premiers mois de l’année.

L’avis unanime reste que si l’économie américaine s’avérait ne pas avoir touché son point bas, les marchés financiers eux, ne reverront pas les planchers de la mi-mars car les risques systémiques envisagés à l’époque ne se matérialiseront jamais.

Cela n’a pas empêché General Motors et Chrysler d’être placés sous la protection du Chapitre 11, ni à une vingtaine de banques régionales de faire faillite dans l’intervalle… Le plus grand parc d’attractions du monde ("Six Flags"), basé en Californie, a également déposé le bilan, victime de sa démesure et d’un endettement qui vient de faire faire le grand huit à son modèle économique.

Les banquiers sont redescendus les jambes flageolantes et l’estomac tout retourné du dernier audit du champion du monde des montagnes russes : les visages étaient aussi verts que les comptes de "Six Flags" étaient dans le rouge.
 
** La transition est facile entre parc d’attractions et parc immobilier. Les principaux établissements de crédit américains continuent de liquider leurs stocks de logements saisis à un rythme inconnu depuis la période noire de 1930 à 1933. Ils se montrent très discrets sur le montant des dépréciations qu’ils devront passer dans leurs comptes au titre du second trimestre 2009. Le stress test a peut être rassuré le marché sur la solvabilité des banques à un instant T, mais il n’a pas éteint le principal foyer de pertes potentielles.

Le moment de la publication des résultats de l’enquête du Trésor US a non seulement été judicieusement choisi (début de l’année fiscale japonaise, début d’une campagne massive d’émissions de T-Bonds américains) mais le montant des compléments de fonds propres requis a été négocié entre Tim Geithner et les 10 banques dont la santé financière était la plus précaire.

Nous attendons que la Maison Blanche — s’inspirant des mêmes procédures — déclenche un audit de la solidité financière des 19 plus grands états de l’Union… Le montant des levées de fonds serait certainement supérieur aux 75 milliards exigés des 19 principaux établissements bancaires du pays.

** L’Europe et la France apparaissent toutefois mal placées pour exiger, à l’image de la dernière réunion du G8 en Italie, que les Etats-Unis forcent l’allure pour réduire leurs déficits : la France accusera entre 7% et 7,5% de déficit du produit intérieur brut (PIB) en 2009 et ne sera pas mieux lotie en 2010.

Compte tenu de la chute des recettes assises sur la masse salariale, le "trou de la Sécu" devrait atteindre 30 milliards d’euros l’an prochain — c’est le ministre du Budget Eric Woerth qui l’affirmait ce dimanche 21 juin lors du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro… Lui qui défendait deux mois auparavant l’hypothèse d’un déficit de 5,6% du PIB en 2009 et qui commencerait à se réduire en 2010 avec une amélioration des recettes fiscales engendrées par la reprise… mais de laquelle parle-t-il ?

M. Woerth se déclare "à titre personnel" favorable au report de l’âge de la retraite au-delà de 60 ans. Il pourrait évoquer l’obligation de travailler jusqu’à 70 ou 75 ans sans que cela change quoi que ce soit à la dérive des comptes de la nation.

Avec l’aggravation de la crise actuelle et la montée en flèche du chômage des seniors (trop chers, pas assez flexibles et certains sont même syndiqués depuis les années 70 !), le taux d’emploi des plus de 55 ans devrait continuer de chuter bien en deçà de 50% d’ici 2011/2012.

** Mais nous faisons clairement la distinction entre l’utopique, le risible et ce qui dérive vers le révoltant. En effet, Eric Woerth ne propose qu’une seule piste sérieuse pour réduire immédiatement le déficit de la Sécu : son action consisterait à s’attaquer "de façon très très forte" aux arrêts maladie abusifs.

Il nous arrive de brocarder les discours mensongers, de dénoncer sans ménagement les escrocs et les menteurs, d’égratigner quelques patrons de banques centrales et ministres… mais nous devons avouer notre consternation devant une nouvelle initiative visant à criminaliser les salariés — alors que les déficits sont principalement causés par les exonérations de charges accordées par l’Etat aux entreprises… y compris celles dans lesquelles il reste majoritaire.

Une récente étude complètement biaisée circule de Bercy aux salles de rédaction de la presse nationale : il en ressortirait que 10% à 12% des arrêts de travail seraient abusifs.

C’est une imposture qu’il convient de dénoncer sans retenue (sur salaire). En effet, ce résultat ne concerne que certaines enquêtes : celles diligentées par des entreprises ayant émis de sérieux doutes concernant des salariés dont le taux d’absentéisme alimente légitimement quelques soupçons.

Ces enquêtes portent sur à peine 10% des arrêts de travail déclarés par les entreprises auprès de la Sécu. Les résultats ne sont donc pas extrapolables à l’ensemble puisque les 90% restants ne semblent pas soulever d’objections.

Autrement dit, le taux de fraude et d’abus serait en réalité au maximum de 2% à 3%, en comptant large, et coûterait tout au plus 250 millions d’euros par an. Ce sont certes 250 millions d’indemnités de trop à la charge des contribuables — mais cela représente le coût de deux avions Rafale (à son prix de revient réel, pas son prix catalogue qui est de 70 millions d’euros dans sa version le plus polyvalente).

Mais les Français sont avertis : pour une "dérive" qui représentera moins de 1% du déficit de la Sécu en 2010, la répression va s’intensifier sur les 97% de salariés de bonne foi.
 
** Vous qui nous lisez — coupable ou non d’abuser du système — préparez votre carnet de chèques : il va bien falloir passer à la caisse (de cotisation) pour renflouer ce que l’Etat lui-même, par ses cadeaux fiscaux et ses arbitrages budgétaires quasiment occultes (sauf aux yeux de la Cour des Comptes), est le premier à fossoyer avec une hypocrisie qui nous laisse pantois.

Hypocrisie ? Non, le terme n’est pas assez fort… Cynisme est plus pertinent car cela fait déjà plusieurs années que l’Etat fait porter le chapeau aux salariés et se livre à une intense campagne de culpabilisation et de spoliation des contribuables français (via la Cadès, la CSG, la CRDS… et les pertes continuent malgré tout de se creuser).

Allez, encore un petit effort, et ce sont les emprunteurs "imprudents" et les ménages surendettés qui seront désignés comme coupables de la crise économique actuelle. Il apparaîtrait alors logique d’appeler les épargnants titulaires d’un ou plusieurs comptes à renflouer les pertes des banques sur les dérivés de crédit.
 
Depuis le 21 juin 2009, jour de passage à la saison estivale, la chasse aux "60 millions de sorcières" semble officiellement ouverte !

Philippe Béchade,
Paris

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