▪ No stress… Voilà l’expression qui résumait le mieux le sentiment général sur les marchés en fin de semaine dernière. Durant cette séance des "Quatre sorcières", tous les débouclages d’opérations à terme se sont déroulés sans anicroche, dans une ambiance parfaitement sereine. Les cours de Bourse se sont montrés d’une singulière sagesse : la volatilité était inférieure à 1%, ce qui permet à l’indice VIX d’inscrire de nouveaux planchers annuels.
Le CAC 40 a terminé en léger repli de 0,2% mais a établi vendredi vers 15h30 un nouveau plus haut annuel à 3 853 points ; cela conforte l’hypothèse dune continuation de la hausse.
Le bilan du troisième trimestre et des six derniers mois écoulés est d’une parfaite limpidité : +20% en trois mois et +50% depuis le plancher du 9 mars… huit semaines de gains sur une série de 10… +8% depuis le 8 septembre sans aucun repli intermédiaire… et +2,5% sur l’ensemble de la semaine.
C’est un sans-faute, et le mouvement de reprise est d’une perfection quasi mathématique. Cela tranche singulièrement avec l’état de l’économie réelle et les interrogations au sujet de la poursuite du redressement de l’activité. Rappelons que les états occidentaux n’ont plus les moyen ni la volonté de mettre en place de nouveaux plans de soutien.
Tous les oscillateurs techniques finissant au bout de quelques jours ou quelques semaines par prendre une orientation uniformément positive, le diagnostic devient tout aussi invariablement haussier.
Existe-t-il encore une psychologie sous-jacente à analyser dans un système de prédictions auto-réalisatrices ? Comment un retournement de tendance pourrait-il se dessiner assez furtivement pour qu’il ne déclenche pas aussitôt un raz-de-marée de ventes, tous les opérateurs constatant la même rupture au même moment ?
Il en a été de même à la hausse avec le déclenchement en cascade de "stops-achat" depuis début août. Tous les programmes de trading, paramétrés de façon identique, déclenchent les mêmes opérations au même moment, pour les mêmes motifs "techniques".
Cette affirmation n’est pas gratuite. Elle constitue un résumé de l’avis des participants au Salon du trading de Paris. Le constat d’une uniformité des pronostics est tout aussi troublant mais il illustre parfaitement le mot d’ordre général : "suivez la tendance".
▪ Les plus grandes banques d’affaires faisant travailler l’argent pour compte propre appliquent la même stratégie. De leur côté, les gérants value n’ont d’autre choix que d’accroître leur exposition sur les actions pour éviter que leurs placements défensifs ne plombent leur performance globale. Etant donné ces deux facteurs, la spirale haussière se perpétue de la même façon qu’un réacteur fonctionnant grâce à l’auto-allumage ne s’éteint qu’une fois qu’il est à court de carburant.
Si le pilote de l’avion a de la chance et qu’il bénéficie d’une bonne visibilité, il peut espérer planer encore un peu et se poser sans casse. S’il vole de nuit par temps de brouillard, au milieu des montagnes de problèmes budgétaires et économiques… le vol risque de s’interrompre brutalement. Mais pour les marchés, la logique consiste à considérer que tant que l’accident n’est pas survenu, la meilleure occurrence est qu’il ne se produise pas, la minute précédente garantissant mathématiquement le bon déroulement de la suivante.
▪ La Chine participe elle aussi à cette logique de dupes. Chaque bon du Trésor qu’elle achète auprès de la Fed garantit qu’elle se préoccupe de préserver la valeur des dollars qu’elle détient. Ce qui était vrai du couple sino-américain hier le sera encore demain… à moins qu’elle ne change d’avis, mais tous les calculs probabilistes indiquent que ce ne sera pas le cas.
Pékin adresse depuis quelques jours des coups de semonce aux Etats-Unis ; elle arbitre également le dollar (1,472/euro) contre d’autres devises (euro, dollar australien, real brésilien) et d’autres actifs (or, pétrole).
En faisant glisser le dollar de façon ordonnée, elle accroît simultanément la compétitivité du yuan, très étroitement arrimé au billet vert. Cela se fait au détriment de l’Eurozone et d’autres pays possédant des monnaies mieux rémunérées.
La faiblesse du billet vert n’a pourtant guère troublé les investisseurs. Ils ont continué de payer toutes les bonnes nouvelles, toutes les rumeurs et toutes les révisions de recommandations d’analystes à la hausse. A noter que ces dernières sont incroyablement nombreuses depuis la rentrée.
Aucune statistique n’a été publiée aux Etats-Unis vendredi. Cet environnement neutre s’est ressenti à Wall Street puisque les principaux indices américains stagnaient à mi-séance après le pic éphémère des premières minutes de cotations.
▪ Ce week-end s’est également déroulé le sommet du G20 à Pittsburgh. Il paraît pratiquement acquis que les rodomontades adressées aux banques et les menaces de limitation des bonus ne sont que des effets de manche. Les plus cyniques affirment qu’il s’agit carrément d’un écran de fumée destiné à masquer un fait essentiel : les participants sont incapables de s’entendre sur les réformes indispensables du système économique nécessaires pour que l’argent institutionnel ne continue d’être irrésistiblement aspiré par les trous noirs de la finance que sont les paradis fiscaux.
La chasse aux fraudeurs (et les fameuses listes de 3 000 noms) procède du même état d’esprit. Il s’agit de faire trembler les lampistes afin que les entités multinationales continuent impunément de se soustraire au fisc de leur pays d’origine. D’un côté, les enjeux se chiffrent au mieux en millions d’euros, de l’autre en centaines de milliards. Les gouvernements peuvent se permettre de se fâcher avec les premiers (c’est une opération gagnante vis-à-vis de l’opinion publique)… mais il est beaucoup plus délicat de mécontenter les autres, qui ont les moyens de faire et défaire les carrières politiques.