La Chronique Agora

Après le "no future" de janvier 2009, voici le "quel futur" de janvier 2010

 

▪ Les publications de trimestriels vont s’accélérer cette semaine. Nous serions très surpris que les profits excédant les prévisions ne soient pas aussi nombreux qu’au mois d’octobre dernier — sans oublier que la base de comparaison s’annonce très favorable.

Comment ne pas faire beaucoup mieux qu’au quatrième trimestre 2008, le pire observé depuis 1990 ? Le scénario devrait être identique à celui qui avait prévalu au début de l’automne : les indices boursiers plafonneraient alors très rapidement après la première vague de résultats, avec des taux de progression des bénéfices supersoniques, allant de +50% à +600%.

Des scores qui peuvent impressionner le non-initié qui zappe sur les chaînes généralistes à une heure de grande écoute… mais qui ne trompent guère la communauté financière. Les chiffres d’affaires ne suivent pas. Les gains de productivité progressent pourtant plus vite que prévu — bien plus qu’en 2003/2004 par exemple… et à des années lumières de 95/96.

Et cela n’est pas dû qu’à une amélioration spectaculaire des méthodes de gestion, comme cela a souvent été écrit depuis juillet 2009, pour conforter le sentiment que les entreprises sont plus efficaces que par le passé. Non, la principale explication réside dans l’effroi causé par l’explosion du système financier et la soudaine disparition du crédit — des facteurs qui ont fait surgir l’anticipation d’une crise profonde et durable.

En novembre 2002, alors que le mythe de la nouvelle économie achevait de mordre la poussière, les cadavres de dot.com se comptaient par centaines ; les valeurs du Dow Jones et du S&P 100, en revanche, pouvaient se contenter de faire le gros dos. Le crédit demeurait abondant ; les banques d’affaires avaient engrangé d’énormes surplus de cash avec une fièvre des OPA d’ampleur historique.

Avec l’invasion de l’Irak et la « Guerre contre la Terreur », pas besoin de plan de relance pour générer un gros surplus de PIB aux Etats-Unis : on comptait 400 milliards de dollars de dépenses au titre des « opérations extérieures », et une somme équivalente pour la sécurité intérieure.

Les commandes du Pentagone et l’amorce de la hausse de l’or noir à partir de 2004 ont entretenu la bonne carburation de l’outil industriel et un afflux de pétrodollars vers Wall Street. Les entreprises cycliques américaines ne s’étaient jamais senties contraintes de sabrer leurs effectifs ni de réduire leurs coûts de façon aussi brutale qu’en 2008 puis tout au long du premier semestre 2009.

▪ Aujourd’hui, ce n’est plus le « no future » de l’après-Lehman qui prévaut… mais le « quel futur ? »

Une question bien compliquée… Elle nécessite de démontrer que le doublement de la dette américaine (ainsi que sa monétisation par la Fed) et des taux anormalement bas peuvent continuer de cohabiter harmonieusement durant « une période de temps très étendue ».

Wall Street ne propose aucune réponse probante à cette équation, mais son exubérance haussière signifie qu’elle existe certainement. Il n’y a qu’à continuer comme ça en attendant que l’énigme soit résolue… Même si nous attendons toujours de connaître la solution à la précédente : « comment continuer de prêter à des ménages qui ne peuvent pas rembourser et faire passer indéfiniment leurs créances pourries pour du AAA ? »

Et comment faire passer les multiples statistiques médiocres ou alarmantes pour de la reprise économique ? C’est tout simple ! Il suffit d’affirmer que cela ne remet pas en cause l’embellie estivale — obtenue à coup de subventions et d’incitations fiscales… il n’y a plus qu’à attendre les suivantes !

▪ Avant d’entamer vendredi la dernière séance du terme de janvier (sur les contrats à terme et options sur indices), les actions américaines avaient engrangé en l’espace de quatre semaines une progression de 4% à 5% par rapport à la précédente « journée des Quatre sorcières » du 18 décembre dernier.

La hausse s’était accélérée en fin d’année dans des marchés de plus en plus creux. Les opérateurs se déclaraient de plus en plus optimistes devant les micros — et de plus en plus perplexes sur la stratégie de la Fed une fois rentrés au bureau.

Wall Street a été victime vendredi de l’émergence d’un courant vendeur qui ne s’est pas vraiment relâché. Le Dow Jones a reculé de 0,95% à 10 610 points. Le S&P a lâché 1,1%, tandis que le Nasdaq Composite perdait 1,25% (contre -1,6% à l’heure du déjeuner), à 2 288 points. Le recul des actions s’est accompagné de celui des cours du pétrole : l’or noir est passé sous les 78 $ (-1,8%)… Il en est allé de même pour l’or (-1,1%), qui recule sous 1 130 $.

Le repli de Wall Street s’était amplifié après la publication de l’indice de confiance des consommateurs américains de l’université du Michigan. Le baromètre de la mi-janvier s’établit à 72,8 contre 72,5 en décembre… C’est bien une nouvelle hausse mais elle s’avère inférieure au consensus de 73 points.

Les autres chiffres macroéconomiques du jour étaient de meilleure facture. Il y a eu la modération des prix à la consommation (ils ont augmenté de 0,1% en décembre aux Etats-Unis au lieu de 0,2%), et un beau rebond de l’indice manufacturier de la Fed de New York : l’Empire State est ressorti à 15,92 contre 4,5% le mois précédent (au lieu des 12 points anticipés).

Cela n’a pas suffi à éclipser le repli d’Intel (-3%). Il illustre l’ampleur du décalage entre les attentes officielles et les chiffres officieux — beaucoup plus proches de la réalité — qui circulent dans les salles de marché avant la publication des trimestriels.

Même observation en ce qui concerne JP Morgan/Chase (-2,2%). Le groupe chute lourdement après avoir publié un bénéfice de 3,3 milliards de dollars, qui a doublé par rapport à l’exercice 2008 (soit 11,728 milliards de dollars et 2,26 $ par action sur l’ensemble de l’année).

Le profit par titre s’établit à 74 cents, contre 60 cents anticipé. Cependant, l’ampleur des provisions pour créances douteuse et les commentaires prudents de la direction de provoquent une consolidation du titre qui a entraîné dans son sillage les autres géants du secteur comme Bank of America (-3,3%), Wells Fargo (-3,15%) ou encore Morgan Stanley (-2,6%).

L’indice KBW des bancaires a lâché 2,15%. Le tableau n’était pas plus réjouissant du côté des technologiques : l’indice sectoriel des semi-conducteurs (SOX) a cédé 3,35%.

Ce sont là des corrections sérieuses… mais Wall Street pourrait en digérer encore trois ou quatre de cette intensité sans remettre ses anticipations haussières en cause. Tant que personne n’en doute — ni de cela ni du reste –, il faut s’attendre à voir sortir du bois tous ces acheteurs gavés de cash et qui brûlent paraît-il d’impatience.

Les vendeurs les attendent de pied ferme, tronçonneuse à la main.

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