La Chronique Agora

Après l’Italie bling-bling de Silvio, voici l’Italie austère de Mario

▪ Nous sommes toujours stupéfait par l’insondable candeur de certains titres ou de certaines interprétations accompagnant des décisions ayant pour seul but d’éviter une catastrophe. Nous avons été gâtés cette semaine avec la pseudo « coopération renforcée » des banques centrales annoncée mercredi.

En fait, cette action a seulement pour but de masquer la pénurie de dollars dont est victime la BCE. Ce manque provient de l’asphyxie des banques commerciales européennes sur le marché interbancaire américain ; un problème vital que seule la Fed était en mesure de résoudre de toute urgence.

▪ Ce dimanche, voilà que survient un nouveau miracle : Mario Monti aurait mis l’Italie à l’abri des foudres de la spéculation. Pourtant, il vient de dévoiler ce 4 décembre le pire plan d’austérité de l’après-Seconde Guerre mondiale (20 milliards d’euros d’économies supplémentaires à ajouter aux 60 milliards d’euros du package Berlusconi présenté fin octobre). Ce plan risque d’engendrer une onde de choc dépressionnaire sur la consommation et la croissance sans précédent depuis la crise pétrolière des années 80.

C’est exactement le même genre de stratégie qui a précipité la faillite de la Grèce 18 mois auparavant, au prétexte de « rassurer les créanciers ».

Ce sont exactement les mêmes potions amères qu’en Grèce, au Portugal ou en Irlande. Pour la concocter, vous avez besoin d’une réforme des retraites basée sur une brusque augmentation du nombre d’années de cotisation et un mode de calcul des pensions extrêmement défavorable pour les salariés.

Au lieu de retenir les revenus perçus juste avant de faire valoir ses droits à la retraite (pour les fonctionnaires, c’est le scénario idéal compte tenu de la sécurité de l’emploi et de la prime à l’ancienneté), le salarié italien verra sa pension refléter la moyenne des sommes perçues durant l’ensemble de la carrière. Cela comprend aussi les périodes de chômage qui se sont fortement accrues depuis le début des années 80.

Le gouvernement italien propose également une augmentation de la taxation de l’immobilier mais aussi des produits de luxe (yachts, avions). On s’attaque là à de véritables emblèmes du côté « bling-bling » de l’ère Berlusconi, ce qui ne rapportera pratiquement rien en réalité puisqu’il s’agit le plus souvent de biens immatriculés dans les paradis fiscaux — sauf les voitures de sport.

Les riches s’en remettront ; les futurs retraités vont en revanche être spoliés. Si les ménages frappés par le chômage bénéficient aujourd’hui de diverses aides sociales pour boucler leurs fins de mois, il va falloir qu’ils apprennent à s’en passer. En effet, Mario Monti a réduit fortement la dotation des collectivités locales, qui n’auront pratiquement plus d’argent pour financer ces subsides.

Pour continuer de verser quelque chose, elles n’auront d’autre choix que d’alourdir la fiscalité, ce qui appauvrira d’autant les classes moyennes soumises à l’impôt… et les retraités s’ils jouissent de pensions confortables.

Parmi les rares mesures non-coercitives, Mario Monti prévoit une réduction des charges sociales pour les entreprises embauchant des jeunes et des femmes — mesure saluée par la « patronne des patrons » italiens. Il envisage également un soutien budgétaire en faveur de la recherche et des économies d’énergie. Notons que tous les gouvernements agissent de même depuis bientôt 40 ans, que l’économie soit en expansion ou en récession.

Est-ce que la tentative de « rassurer » les créanciers de l’Italie leur fera oublier quel sort peu enviable ont connu les pays qui ont essayé ?

Les taux que les marchés exigent pour les refinancer sont largement supérieurs aujourd’hui à ce qu’ils étaient un an auparavant. L’austérité ayant entraîné une récession, cette stratégie débouche sur une impasse totale !

▪ C’est exactement ce que les Etats Unis refusent de faire depuis l’automne 2008. Ils poussent même la provocation jusqu’à imprimer de l’argent en masse sans réduire leur endettement d’un seul cent. Le Congrès américain est réduit à l’impuissance du fait de la guerre totale que se livrent les deux principales formations politiques.

Pas d’austérité, pas de nouveaux impôts. C’est une équation idéale en apparence mais elle débouche sur la faillite de milliers de collectivités locales, de grandes métropoles (Detroit, Sacramento, Phoenix…) et même de certains états de l’Union… avec son cortège de licenciements de fonctionnaires et d’accroissement de la criminalité.

Ceux qui travaillent à Wall Street habitent dans les beaux quartiers, la dégringolade sociale de l’Amérique ne les affecte pas. Si jamais leur municipalité faisait faillite (plus de pompiers, plus de policier, plus de professeurs dans les écoles), ils s’empresseraient de déménager dans une ville qui bénéficie encore de la confiance des agences de notation et des banquiers.

▪ La seule chose qui parvient vraiment à déprimer Wall Street, c’est le manque temporaire de liquidité. Heureusement, cette malédiction a été écartée dès mercredi dernier par de nouvelles injections de dollars par la Fed dans le système interbancaire au bord de l’asphyxie. L’événement a été salué par une hausse sans précédent des indices américains depuis mars 2009.

Wall Street n’est pas parvenu à égaler les 10% à 11% des places européennes, mais avec des écarts de +7% à +7,5%, les indices américains tutoient des records historiques de hausse hebdomadaire.

A une semaine de la séance des « Quatre sorcières », les spécialistes se demandent si le rally de fin d’année va se résumer à la sorte de hausse ketchup que nous venons de vivre ou si le bouquet final reste à venir la semaine prochaine.

Le S&P et le Nasdaq Composite, qui gagnaient 1,25% en début de séance vendredi, ont fait une incursion dans le vert en termes de performance annuelle (avec +0,3%). Le Dow Jones et le Nasdaq 100 ont affiché pour leur part +5%.

Les conditions macro-économiques mondiales qui se dégradent, la disparition du quantitative easing, le gonflement des déficits sur fond de blocage politique total justifient-ils un score annuel plus flatteur ?

Wall Street a fait semblant pendant une demi-séance de se remettre à croire à une embellie du marché du travail après la publication des statistiques de l’emploi aux Etats-Unis du mois de novembre. Le nombre de nouveaux postes s’élève à 120 000 — chiffre totalement conforme au consensus.

En revanche, la chute spectaculaire du taux de chômage de 9% à 8,6% est carrément inexplicable, sauf toilettage massif des fichiers et rejet dans le néant statistique de plus de 500 000 personnes. Il apparaît évident qu’elles n’ont pas miraculeusement retrouvé d’emploi à la veille de Thanksgiving ni ne sont parties massivement à la retraite.

Ce sont en fait 350 000 personnes qui auraient renoncé à trouver un travail, ce qui constituerait un triste record pour l’année en cours.

Mais une fois encore, il s’est trouvé des investisseurs pour estimer qu’une baisse du chômage est toujours une bonne nouvelle et que l’Amérique est sur la voie du redressement de son économie. Encore une preuve qu’il n’existe aucune limite de perte de contact avec la réalité pour les marchés.

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