La Chronique Agora

Apple : le morceau qui risque de rester coincé dans l’économie américaine

▪ La prudence à la veille d’un week-end placé sous le signe de la réunion des ministres des Finances du G20 l’a emporté en fin de parcours vendredi.

Les places européennes ont reperdu plus de la moitié de leurs gains au cours de la dernière heure de cotation. Les opérateurs ont saisi le prétexte d’une chute de deux points de l’indice de confiance des ménages aux Etats-Unis pour prendre des bénéfices (parfois stratosphériques) sur certaines valeurs financières comme AXA, Société Générale ou BNP Paribas.

Le CAC 40, qui a re-testé les 3 250 points pour la seconde fois en 48 heures, affichait vers 16h un gain hebdomadaire de 5%. Il se contente au final d’une progression de 0,97% à 3 218 points.

Paris engrange 3,8% sur la semaine. Il s’agit de la troisième hausse hebdomadaire ; l’ampleur du rebond égale ce que les valeurs françaises nous ont offert de plus spectaculaire en 20 ans sur un laps de temps aussi court.

Après les valeurs financières la semaine précédente, les valeurs industrielles (Alstom, Arcelor-Mittal, Vallourec, CGG Veritas) ont pris le relais. La désintégration de Dexia marque le coup d’envoi d’un cycle de recapitalisation des valeurs bancaires à travers l’Europe.

Pour ceux qui en doutaient encore, Valérie Pécresse (la ministre du Budget) a mis les choses au clair ce dimanche sur France Inter : « Les banques françaises devraient augmenter leurs fonds propres avec des capitaux privés […] et même si nous n’avons pas de doutes sur leur solidité, on est dans une zone de grande nervosité et donc, il faut donner des gages de sécurité ».

Elle précise qu’un « recours à une aide publique de l’Etat ne serait envisageable qu’en dernière extrémité et pour une durée très limitée ».

▪ Nous profitons de ces déclarations pour ouvrir une petite parenthèse. Il va être encore beaucoup question des banques dans nos commentaires cette semaine. Il s’agit non seulement pour dresser un état des lieux, mais également de vous mettre en garde contre les dégâts que va continuer de causer la guerre orchestrée par Wall Street et la City contre le système bancaire européen.

Une guerre psychologique qui s’appuie sur une propagande bien rodée : tout est de la faute de la Grèce… et du manque de gouvernance au sein de l’Eurozone. Ce scénario a pour principal objectif d’affaiblir la monnaie unique alors que le principal risque de désintégration systémique demeure bel et bien situé aux Etats-Unis.

ll n’y a plus aucune gouvernance concernant la réduction des déficits outre-Atlantique tant le Congrès US est devenu l’otage de postures électorales à courte vue. L’Amérique n’a plus aucune marge de manoeuvre en matière de relance budgétaire.

La grogne sociale monte en puissance, comme le démontre le succès du mouvement des indignés qui se range derrière la bannière Occupy Wall Street… Les banques américaines qui exaspèrent M. et Mme Tout-le-Monde vont justement publier leurs résultats cette semaine.

Elles pourraient s’avérer bien plus vulnérables que leurs homologues du Vieux Continent à la déprime des marchés… aux mauvaises créances immobilières qui continuent de se décomposer dans leurs bilans… et aux procès en cascade pour de mauvaises pratiques en matière de prêts hypothécaires et de procédures de saisie abusives.

Bank of America pourrait par ailleurs se voir réclamer 50 milliards de dollars pour tromperie sur l’ampleur de ses pertes après le rachat de Countrywide — la quintessence de ce qu’un système bancaire dévoyé a produit de pire, notamment dans la folie des subprime. N’oublions pas non plus le rachat de Merrill Lynch,banque qui possède le record de procédures judiciaires à son encontre au sein du secteur bancaire, juste devant Goldman Sachs qui s’est fait une spécialité des règlements à l’amiable.

▪ Nous ne sommes pas dupe des motivations de Wall Street ces derniers jours. La stratégie consiste à tirer les cours le plus haut et le plus vite possible afin d’éloigner les indices de la zone dangereuse testée le lundi 3 octobre. Tout ça dans le but de disposer d’un matelas de sécurité d’une dizaine de pourcents au cas où les trimestriels laisseraient transparaître que les entreprises du S&P et du Nasdaq ont fini de manger leur pain blanc.

Une nouvelle illustration de ce procédé nous a été fournie avec un scénario de séance qui frôlait le merveilleux !

Alors que l’actualité économique contenait autant d’éléments positifs que négatifs, c’est un optimisme sans partage qui s’est imposé au cours du dernier quart d’heure de cotation.

Le Dow Jones s’est envolé de 1,45% à 11 644 points. Le S&P a pris 1,75% (il déborde in extremis les 1 220) et le Nasdaq augmente de 1,82% à 2 668 points.

Wall Street connaît sa plus spectaculaire envolée en deux semaines depuis 27 mois. Le bilan hebdomadaire est vertigineux pour le Nasdaq qui explose littéralement de 7,6%, sa plus forte hausse depuis mi-juillet 2009 !

La volonté de propulser les indices vers les plus hauts du jour, de la semaine et du mois d’octobre est manifeste. Le débordement de résistances très surveillées par les chartistes a été obtenu au cours du dernier quart d’heure — c’est à chaque fois pareil depuis 10 jours — et même plus précisément à l’issue des trois dernières minutes.

Ce sont surtout les parapétrolières qui se sont envolées. On en dénombre pas moins de 15 parmi les 20 plus fortes hausses du S&P 500. Les titres du secteur progressent massivement de 5% en moyenne !

▪ Ces hausses opportunistes (ou chutes abruptes) qui déclenchent des signaux techniques à la dernière minute sont éminemment suspectes et trahissent le plus souvent des stratégies manipulatoires.

Les vendeurs à découvert s’étaient fait déchirer le mardi 4 octobre alors que les supports moyen terme avaient été enfoncés au cours des cinq dernières minutes la veille. Les signaux baissiers ont été confirmés dès la reprise des cotations le lendemain puis tout au long de la matinée… avant que le Dow Jones ne reprenne 4% au cours de la dernière heure.

Outre le fait que les oscillateurs techniques ont rejoint en une poigné de séances des niveaux de surachat qui sonnent le vertige, il est évident que le rush final de vendredi — qui emporte in extremis toutes les résistances — n’est relié à aucune actualité le justifiant. Nous n’avons même pas eu une petite rumeur concernant la Grèce pour servir d’alibi comme le 3 octobre dernier.

La rechute de l’indice du stress VIX sous les 30 puis vers 21h55 sous 29 semble également avoir été savamment orchestrée. Voilà de quoi décourager les détenteurs d’instruments de couverture qui pourraient déboucler leurs positions pour des raisons essentiellement techniques, sans argument concret en faveur de la hausse.

Difficile en effet d’affirmer que les chiffres de vendredi écartent de quelque façon que ce soit le scénario d’une croissance anémique au quatrième trimestre aux Etats-Unis.

▪ Wall Street avait nettement accusé le coup à 16h30 lorsque l’Université du Michigan a dévoilé une chute de 1,8 point de l’indice de confiance des ménages aux Etats-Unis début octobre — vers 55,7, ce qui était deux fois plus fort qu’attendu.

Les indices américains avaient en revanche été dopés à l’ouverture par le chiffre des ventes de détail aux Etats-Unis publiés une heure auparavant. La progression s’élève à 1,1% en septembre alors que le consensus tablait sur +0,7%. Dans le détail, les ventes grimpent également de 0,6% hors automobile, ce qui était deux fois mieux que prévu.

A première vue, les deux principales statistiques de vendredi semblaient se contrebalancer et un troisième chiffre — l’inflation importée qui ressort à +0,3% contre une anticipation de stabilité — aurait pu faire pencher la balance du côté de la consolidation.

Mais les opérateurs affirmaient que ce n’était pas le sujet du jour et que les bons résultats de Google et les ventes record d’Apple font oublier une toile de fond économique morose.

C’est un peu comme si Wall Street se résumait au destin boursier de ces deux ovnis que sont Google (+6% à plus de 300 $) et Apple (+3,3% à 422 $), ce qui conforte sa situation de première capitalisation du continent nord-américain.

Notons qu’Apple pèse désormais 10% de la capitalisation du Nasdaq 100 et vaut l’équivalent d’un milliard d’iPad (en prix hors taxe).

▪ Apple, c’est la pomme qui cache un verger dévasté, un système financier en déshérence. Elle oppose un autisme militant à la paupérisation galopante des classes moyennes dans les pays développés.

Apple symbolise mieux que n’importe quelle entreprise l’absurdité du capitalisme à l’américaine. La gamme Apple est le premier vecteur de déficit commercial des Etats-Unis dans la catégorie produits de grande consommation.

Conçus en Californie, produits en Chine, vendus par le biais de filiales implantées dans des paradis fiscaux (via l’Irlande pour l’Europe, via Singapour pour l’Asie), ses produits sont achetés majoritairement par les ménages américains qui creusent ainsi la tombe de leur propre économie… en pensant qu’ils consomment de façon patriotique.

Pour résumer, Apple ne crée pas d’emplois aux Etats-Unis et n’a jamais distribué le moindre dividende — ce qui ne rapporte donc pas 1 $ de recettes fiscales au Trésor américain !

Tout le monde célèbre unanimement la réussite d’Apple, de New York à San Francisco. Mais c’est un peu comme si la France se sentait fière et riche parce que Tony Parker joue à San Antonio ou parce que Zinédine Zidane jouait au Real de Madrid. Le prestige, cela ne rapporte en fait pas un sou au pays d’origine !

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