La Chronique Agora

Apologie du rien qui peut nous rapporter gros

▪ Le rapport Queyranne remis à Arnaud Montebourg en mars 2013 est sans appel : en France, l’impôt sur les sociétés rapporte à l’Etat 36 milliards d’euros tandis que les aides aux entreprises (le rapport en recense 6 000 !) coûtent aux contribuables 110 milliards d’euros.

A la place d’Arnaud Montebourg, j’aurais largement distribué ce rapport dans mon ministère (il paraît que c’est celui des finances et non plus celui du redressement productif), aux ministères voisins, au Trésor, à la Banque publique d’investissement. Puis j’aurais convoqué mon équipe pour lui tenir solennellement le discours suivant :

MADE IN EUROPE !
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« Mes très chers Collaborateurs et Contribuables,

J’avais l’habitude de vous dire ‘Faites l’amour, faites du sport et, le reste du temps, travaillez pour moi !‘. Cette dernière activité était une erreur.

Après avoir lu très attentivement le rapport Queyranne, je constate que 74 milliards d’euros d’économies budgétaires immédiates sont à notre portée, là, tout de suite. Il suffit de ne plus aider les entreprises et, en contrepartie, de ne plus les taxer. 110 – 36 = 74.

Il n’y a qu’une condition : mobiliser nos forces pour dorénavant ne rien faire

Pour que ce miracle se réalise, il n’y a qu’une condition : mobiliser nos forces pour dorénavant ne rien faire ; je compte désormais sur toute votre énergie, votre opiniâtreté dans ces temps difficiles pour résister aux pressions que vous ne manquerez pas de recevoir pour faire quelque chose.

Et pour rester ferme, droit dans vos bottes, songez aux enjeux : 74 milliards d’euros d’économies nous attendent !

Afin de ne pas être détourné de votre nouvelle mission, de ne pas subir d’influence ou de tentation, je vous demande de partir en congé exceptionnel jusqu’à nouvel ordre avec traitement bien sûr, puisque ce dernier aspect ne rentre pas en ligne de compte dans les économies budgétées.

Avant de partir, je vous demande de rédiger une note à l’attention des administrations avec lesquelles vous coopérez, leur disant clairement de suspendre tous les dossiers en cours. Je me suis arrangé auprès de mes collègue Michel Sapin et Pierre Moscovici pour que le Trésor public arrête immédiatement toute procédure de recouvrement de l’impôt sur les sociétés.

Si jamais on vous dit que vous faites un ‘cadeau aux patrons’ en supprimant l’impôt sur les sociétés, objectez que ce gouvernement, au contraire, refuse de coopérer avec les exploitants des travailleurs et vient de leur retirer toute aide. Si jamais on vous reproche de ne plus rien faire pour lutter contre le chômage en refusant d’aider les entreprises, défendez que depuis la fin des Trente glorieuses aucune lutte contre le chômage n’a donné de résultat probant comme en témoignent les statistiques et que par conséquent votre décision de ne plus distribuer d’aides ne peut être franchement nuisible.

Mes très chers Collaborateurs et Contribuables, merci de votre dévouement à cette nouvelle mission pour laquelle je ne doute pas que vous saurez montrer une compétence indiscutable. »

Hélas, je crains que M. Montebourg n’ait un très vilain défaut : il se voit utile. « La situation est intenable, nous avons le devoir de réparer tout ça », a-t-il dit aussi, ne doutant pas qu’avec ses seuls petits bras musclés émergeant de sa marinière, il allait bouleverser le destin national.

▪ Ne rien faire mais… rien de rien ?
Je sais, je vois déjà venir vos objections :

Vous allez me dire que « ne rien faire » n’est pas un bon programme politique. A dire vrai c’est même contraire au gène politique ; les gens qui embrassent cette carrière croient en général savoir ce qui est bon pour leurs électeurs.

Vous allez me dire aussi que des entreprises qui ne paient pas d’impôt sur les sociétés et reçoivent des aides couleront.

Il devient évident que les hommes politiques ne comptent pas en euros comme vous et moi

Je ne vous répondrai rien sur le plan politique, si ce n’est que les gens qui croient savoir mieux que les autres ce qui est bon pour les autres m’ont toujours paru suspects. D’ailleurs, il devient évident que les hommes politiques ne comptent pas en euros comme vous et moi. Ils comptent en voix. Pour conquérir trois millions de voix, ils sont prêts à creuser le déficit de un milliard d’euros et à nuire à la collectivité (voir la dernière annonce de Manuel Valls pour dispenser les ménages modestes d’impôts sur le revenu, mesure qui se traduira par plus de déficit).

Sur le plan économique, il me semble que puisque l’efficacité des aides aux entreprises n’a pas été prouvée — comme en témoignent les statistiques accablantes de chômage et de participation à l’emploi — il ne coûte rien de tenter autre chose.

Les entreprises libérées de l’impôt sur les sociétés investiront peut-être sur fonds propres pour gagner plus d’argent ; en se développant, elles seront peut-être tentées d’embaucher…

Qui mieux qu’une entreprise sait ce qui est bon pour elle ? Et si elle ne sait pas le reconnaître, laissons-la disparaître. Une entreprise n’est-elle pas une association à but lucratif ?

Après quarante années d’interventionnisme, d’aides, de subventions qui n’ont pas endigué la montée du chômage de masse, si nous prenions le risque du « rien » ? Il peut rapporter gros.

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