La Chronique Agora

Aperçu d'une interview à décorner un bull

** Les places boursières et asiatiques ont aligné une troisième séance de repli consécutive, dans des volumes qui s’étoffent nettement. C’est un phénomène classique pour une semaine de rentrée ; il serait prématuré d’en conclure que le mouvement haussier est stoppé par les ventes massives de ceux qui l’ont initié… cela demeure tout au plus une hypothèse.

Bon nombre de commentateurs s’accordent pour juger la correction des indices saine et bienvenue après une hausse "peut-être" trop rapide. En revanche, ils sont divisés sur l’ampleur prévisible de cette consolidation.

Les uns estiment qu’elle n’ira pas loin car trop d’investisseurs sont impatients de rentrer dans le marché après avoir manqué l’envolée estivale. Les autres pensent que le repli sera proportionnel à la hausse qui l’avait précédée car les signaux de reprises ont été surestimés et le niveau de valorisation des actions apparaît bien trop élevé.

Vous connaissez notre opinion à ce sujet. Nous tenons cependant à respecter l’équité dans le débat contradictoire qui se dessine depuis le 1er septembre — avant cette date, il n’y avait plus de controverse : les sceptiques était au mieux invités à faire silence, au pire… ils étaient couverts d’opprobre.

** Nous vous livrons donc le résumé d’une interview sur CNBC qui nous paraît contenir la quintessence du discours optimiste qui prévaut depuis avril dernier. Les arguments du gérant américain qui se prêtait à l’exercice avec un journaliste de la chaîne — qui pour l’occasion n’a fait preuve d’aucune complaisance — valent leur pesant de pop-corn au miel !

L’interviewé, que nous représenterons par l’acronyme G.O. — comme "gérant optimiste"–, s’est d’emblé revendiqué comme bullish (haussier). Il a entamé sa démonstration en débitant un catéchisme haussier que vous connaissez par coeur : "le pire est passé, la reprise se manifeste de toute part, le marché a retrouvé sa confiance, Ben Bernanke reste à son poste pour mener à bien sa politique de taux zéro, au moins jusqu’à mi-2010, je reste viscéralement acheteur, le rally n’est pas terminé, etc."

Son interlocuteur lui demande alors si 50% à 60% de rebond en quelques mois, ce n’est pas un peu excessif. La réponse a fusé : "c’est un mouvement proportionnel à la baisse qui avait précédé… un retour à l’équilibre se matérialise et les marchés sont encore loin d’avoir effacé la moitié du terrain perdu".

CNBC : "soit, mais les perspectives de croissance espérées justifient-elles les niveaux de valorisation actuels ?".

Sans hésiter, l’interviewé enchaîne : "les actions ne sont pas chères ; le marché avait anticipé le pire, il parie désormais sur de meilleures perspectives et se projette dans un scénario économique plus favorable à partir de 2010".

CNBC : "à partir de 2010 ? Mais l’embellie actuelle n’est-elle pas déjà sur de bons rails ?"

Réponse : "les plans de relance commencent à produire leurs effets. On voit que l’argent irrigue le système, le gouvernement et la Fed vont poursuivre dans cette voie".

CNBC : "vous considérez donc qu’il va falloir plus d’argent ?"

G.O : "en effet, l’opération de soutien au secteur automobile vient de cesser, les indemnités versées aux chômeurs de longue durée commencent à expirer — l’économie réelle a besoin de nouveaux stimuli budgétaires".

CNBC : "le gouvernement va donc devoir creuser encore d’avantage le déficit budgétaire, faute de quoi le soufflé risque de retomber ?"

G.O : "ce n’est pas un problème : les dernières émissions du Trésor américain ont rencontré un vif succès. Les investisseurs étrangers comptent sur les Etats-Unis pour maintenir le cap de la croissance".

CNBC : "mais cela peut créer à terme une résurgence de l’inflation ?"

G.O : "c’est une perspective encore lointaine. La Fed se prépare à gérer le problème en douceur".

CNBC : "certains intervenants semblent jouer la prudence malgré des discours résolument optimistes. Les ventes des insiders (les chefs d’entreprises agissant comme des initiés) ont atteint des records cet été et surtout ces toutes dernières semaines".

G.O : "cela ne représente que des montants de capitaux marginaux en regard des volumes quotidiens. Le marché ne s’en préoccupe pas… et je recommande d’en faire de même".

CNBC : "le brusque retournement de la Bourse de Shanghai ne vous inquiète-t-il pas ?"

G.O : "c’est une correction normale. Le gouvernement chinois essaie de calmer le jeu — la hausse va reprendre sur des bases beaucoup plus saines. Il y a d’énormes réserves de croissance interne ; les détenteurs d’actions sont les premiers à matérialiser leurs plus-values pour consommer, ce qui soutient la demande. Tout le monde veut profiter de la libéralisation du système, parfois de façon un peu excessive… mais le pli est pris et les Chinois ne reviendront pas en arrière".

CNBC : "mais Pékin ne s’inquiète-t-il pas de la formation d’une bulle de crédit ?"

G.O : "les niveaux d’endettement moyens en Chine sont encore très inférieurs à ceux que nous connaissons en Occident. Je reste haussier sur ce pays ainsi que sur d’autres émergents de l’Asie du Sud-Est… et je me renforcerai également à Wall Street en cas de baisse".

Fin de l’interview, page de pub… et gros plan sur le Dow Jones qui perd 2%.

Une rapide synthèse met en évidence que la reprise est loin d’être assurée — puisque l’interviewé reconnaît implicitement qu’il faut d’autres plans de relance et toujours plus de dettes… que les actions sont surévaluées (sauf miracle au niveau de la croissance mondiale d’ici 2012)… que les insiders sont bel et bien vendeurs — il ne le nie pas mais balaye la question du revers de la main. Il reconnaît également que la demande interne chinoise dépend en bonne partie de marchés financiers en plein délire spéculatif : les opérateurs jouent à crédit et avec de forts effets de levier, ce qui augmente le risque de trou d’air conjoncturel en cas d’éclatement de la bulle.

Et il ne lui a pas été demandé d’expliquer comment les Chinois parviennent à afficher un PIB à +7% ou à +7,5% alors que leurs principaux clients occidentaux réduisent leur consommation pour se désendetter.

** Revenons-en à l’actualité financière de mercredi : après avoir privilégié le verre à moitié vide lors de la publication d’une série de statistiques américaines à 14h30… les investisseurs semblent avoir opté pour le verre à moitié plein une heure plus tard.

La mauvaise nouvelle du jour, c’est que le secteur privé américain a détruit 298 000 emplois en août, selon le cabinet ADP, alors que les économistes ne tablaient en moyenne que sur 250 000 destructions. Le rythme des suppressions d’emplois tend néanmoins à ralentir par rapport aux 360 000 destructions en juillet (chiffre révisé d’une estimation précédente de 371 000).

Sous l’effet d’une compression de 7,6% du nombre d’heures travaillées, la productivité hors secteur agricole au deuxième trimestre a effectué un bond historique de +6,6% (c’est ça la "bonne nouvelle") — alors que les analystes attendaient au plus une confirmation de l’estimation initiale, qui était de 6,4%.

Ce splendide résultat est à relier à une chute tout aussi historique des coûts de production (-5,9%). Elle résulte de très sévères mesures d’économie… notamment au détriment des effectifs (licenciements) et des salaires, souvent renégociés à la baisse dans une fourchette moyenne de -10% à -20%. Vous imaginez sans peine l’effet de ciseau pour les employés qui ont contracté des prêts à taux variable.

Quant aux commandes à l’industrie aux Etats-Unis, elles ont progressé de 1,3% en juillet, un chiffre globalement conforme aux attentes.

Dans la Zone euro, les derniers chiffres du PIB du deuxième trimestre font ressortir une légère contraction de l’activité en rythme séquentiel (-0,1%) — mais la récession demeure sévère en glissement annuel (-4,7%). Autre signe de persistance des pressions déflationnistes, l’indice des prix à la production industrielle a diminué de 0,8% dans la Zone euro et de 1,0% dans l’UE en juillet 2009 par rapport à juin 2009 d’après Eurostat.

D’une certaine façon, l’actualité du jour a été perçue comme globalement neutre. Wall Street a conclu une séance de valse-hésitation dans une fourchette de cours hyper étroite par un effritement symbolique de -0,1% pour le Nasdaq et de -0,3% pour le Dow Jones.

Symbolique, c’est bien le mot juste. Après tout, il apparaissait si facile pour les "taureaux" (bulls), tout-puissants depuis la mi-juillet, de soutenir les indices américains afin d’éviter l’inscription d’une quatrième séance de baisse consécutive : y aurait-il dans ce renoncement une forme de message à méditer ?

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile