La Chronique Agora

L’anarchie fonctionnerait-elle en pratique ?

▪ Depuis lundi, nous passons en revue ma rencontre avec le philosophe américain Crispin Sartwell — et notamment la question du modèle politique basé sur l’opposition gauche-droite.

Selon Sartwell :

"Les gens essaient de faire rentrer cela dans des cases. Je connais beaucoup d’anarchistes à qui mon opinion sur l’anarchie ne plaît pas parce que beaucoup de gens qui s’identifient à l’anarchisme aujourd’hui sont anticapitalistes. Ce sont généralement des jeunes, du genre de ceux qui sont entrés dans le mouvement Occupy et anti-mondialisation. Pour eux, l’anarchisme est un anti-capitalisme d’extrême gauche. Ils sont moins concernés par cette question du pouvoir de l’Etat qui, pour beaucoup d’anarchistes traditionnels, est fondamentale".

"Je considère la doctrine libertaire et l’anarchisme de gauche comme des positions potentiellement compatibles. Elles ont des points communs évidents. Toutes deux montrent un très fort scepticisme face au pouvoir de l’Etat ou des autorités en général".

"C’est l’une des raisons pour lesquelles je m’intéresse à ces lignes politiques qui ont précédé le prisme gauche-droite. Des hommes comme Thoreau par exemple. On ne pourrait pas le qualifier de progressiste parce qu’une telle catégorie n’existait pas en 1850. Mais c’était un abolitionniste. Il soutenait certainement le féminisme. Il a soutenu tout ce qui serait considéré comme une réforme progressive mais c’est un individualiste".

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"Thoreau mêle ces éléments qui sont centraux dans la tradition politique américaine mais qui sont aujourd’hui perdus. Il a combiné un individualisme que nous percevons aujourd’hui comme de droite avec diverses positions de libération humaine que nous aurions tendance à marquer à gauche. Pour moi, cette philosophie est parfaitement cohérente. Il ne semble pas y avoir de tension conceptuelle".

J’ai fait remarquer que les anarchistes pourraient coexister avec plusieurs styles politiques et sociaux. Le point essentiel, selon moi, est que personne n’est obligé de faire partie de quoi que ce soit. Toutes sortes d’arrangements sociaux peuvent exister.

"Exactement", opine Sartwell. "C’est, selon moi, un avantage de la théorie politique anarchiste. Nous n’avons pas à concevoir l’avenir. Nous pouvons essayer de trouver comment les gens veulent vivre et à quel point ils y parviennent".

▪ Et concrètement ?
Cela nous amène à la question de l’anarchisme dans la pratique. La principale objection à laquelle se confrontent tous les anarchistes est l’accusation d’être des utopistes doublés de fous. Sartwell affirme que même si l’anarchisme n’existe pas en pratique, cela ne veut pas dire qu’il n’a aucune valeur.

"Le simple scepticisme face au pouvoir, qui se trouve à la base de l’anarchisme, est quelque chose dont nous avons tout le temps besoin", explique-t-il. "Je pense qu’une tendance à contrer l’autorité est toujours une bonne chose dans une discussion".

Mais revenons à la question de l’application pratique.

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"D’une certaine façon, j’ai sous-estimé les possibilités positives de l’anarchisme", reconnaît Sartwell.

En cela, nous partageons tous deux une évolution semblable. Sartwell fait référence aux oeuvres des anthropologistes James Scott et David Graeber, dont le travail, chacun séparément, a montré comment l’anarchisme a fonctionné dans divers contextes.

"[Lorsqu’on lit Graeber et Scott,] on se rend compte des façons anti-autoritaires ou non autoritaires par lesquelles les gens se sont en fait organisés", explique Sartwell, "y compris dans nos vies aujourd’hui".

Ainsi, pour utiliser un exemple du livre de Sartwell, les ligues de bowling américaines sont des organisations anarchistes. Elles sont complètement bénévoles. Personne n’est obligé d’en devenir membre. Donc, quand on y pense, nos vies sont remplies d’organisations anarchistes construites sur des bases bénévoles. Tout d’un coup, l’anarchisme ne semble plus être une idée si radicale. On en vient à comprendre que la base de la société civilisée est essentiellement anarchique.

"Toute cette histoire anti-autoritaire n’a pas encore été écrite", ajoute Sartwell.

Autre point important abordé : jusqu’où une philosophie politique anarchiste devrait-elle aller ? La plupart du temps, les anarchistes semblent critiquer sans interruption les institutions existantes et les structures sociétales. On a tendance à voir les anarchistes comme des gens engagés dans une destruction stupide. Mais Sartwell rétorque :

"L’anarchisme est une destruction réfléchie. C’est précisément son refus de former et d’imposer un futur qui fait la différence entre l’anarchisme et les idéologies".

"Je ne crois pas qu’il devrait y avoir une philosophie politique anarchiste qui dirait à quoi ressemblera le futur une fois qu’on sera libéré du pouvoir de l’Etat", explique Sartwell.

Cela peut être une faiblesse, ai-je fait remarquer, lorsqu’on débat avec les étatistes qui veulent qu’on leur explique à quoi ressemblerait un monde anarchiste.

"Ma mère me rebat les oreilles avec ça depuis mes 12 ans", dit en riant Sartwell. "Je connais la chanson !"

La suite de notre entretien dès vendredi…

 

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