La Chronique Agora

Les analystes boursiers, maîtres dans l’art de dire tout et son contraire

▪ Aujourd’hui nous nous intéresserons à la manière dont travaillent les analystes qui émettent opinions, recommandations et autres consensus sur les valeurs cotées. Loin de moi l’idée de critiquer leur méthode d’évaluation des entreprises mais plutôt de pointer certaines incohérences dans leurs recommandations.

Je m’explique. Pour ce faire, prenons un exemple très clair : mardi matin, on apprenait que Goldman Sachs (GS) est passé de "acheter" à "neutre" sur Havas… tout en augmentant son objectif de cours de 7 à 7,25 euros. A l’heure où j’écris ces lignes, le titre s’échange autour des 6 euros. A ce stade, permettez-moi de vous poser cette question, cher lecteur : que signifie la dégradation du conseil quand vous augmentez votre objectif de cours ?

Cet exemple n’est pas anecdotique, en voici d’autres. Le 18 octobre, UBS a dégradé sa recommandation sur Total tout en relevant son objectif de cours de 44 à 46 euros. Le 25 octobre, arguant que le potentiel de hausse est trop limité pour bénéficier d’une recommandation d’achat, la Deutsche Bank abaisse sa recommandation sur BNP Paribas à "conserver" mais, en parallèle, relève là aussi son objectif de cours de 53 à 56 euros. Le 25 octobre, l’action BNP Paribas valait 53 euros.

Pour ceux qui sont abonnés à La lettre PEA, trouveriez-vous logique que j’émette des réserves sur un titre tout en augmentant mon objectif de cours de 20% ? Non, bien évidemment. Là c’est pareil et je dois vous avouer que j’ai du mal à comprendre les commentaires des brokers… Très franchement, j’ai tellement d’exemples de ce type que j’en arrive à ne plus regarder les recommandations émises ainsi que les objectifs de cours. Je me contente simplement des notes.

Je ne comprends pas la logique qui pousse les analystes à publier ce genre de contradictions… et pourtant, je connais bien le milieu — j’irai d’ailleurs leur demander. Ce que j’en conclus, c’est que de cette manière, ils ne prennent aucun risque : le titre baisse ? Pas de souci, ils avaient abaissé leur recommandation ; le titre montre ? Pas de souci, ils ont relevé leurs objectifs et ont eu raison… Comment dire tout et son contraire.

Il en va de même pour les grands courtiers qui, tout en étant négatifs sur un dossier, aseptisent leurs discours car… "on ne sait jamais". Il ne faut surtout pas se mettre à dos une blue chip du CAC 40, ne serait-ce que parce qu’il ne faut pas se priver de business futur.

D’ailleurs, vous ne verrez que très rarement un broker abaisser violemment son objectif de cours sur une société du CAC 40 en conseillant de la vendre. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, pour paraphraser le célèbre film de Jean Yanne. Il ne faudrait surtout pas taper trop fort.

Regardez Technip. Fin octobre, le groupe de services pétroliers a été sanctionné après avoir émis un gros avertissement sur ses objectifs 2013 mais UBS n’a dégradé que légèrement sa position à "neutre", tandis que Goldman Sachs est passé de "neutre" à "vendre" avec un objectif de cours passant de 88 à 86 euros. Il y a pire comme recommandation assassine — d’autant que ce jour-là, Technip valait 86 euros !

Bref, comptez sur moi au cours des prochains mois pour continuer à vous faire part de ces aberrations. Je ne saurais que trop vous conseiller d’appréhender les consensus et recommandations des institutionnels avec un large esprit critique.

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