▪ Tout ce que nous pouvions écrire lundi soir avait de grandes chances d’être balayé au milieu de la nuit, au bout du bout du suspense des tractations entre les deux principales formations politiques du Congrès US.
Cette pièce — que nous ne saurions qualifier de dramatique tant les relents de mauvaise cuisine parlementaire transpirent de la plupart des débats — nous est rejouée tous les ans, avec plus ou moins de conviction par les mêmes protagonistes, arborant les mêmes cravates bleues ou rouges, professant les mêmes dogmes obsolètes, se raidissant dans les mêmes postures partisanes.
Des députés et sénateurs qui se réjouissent certainement de constater que les médias leurs reconnaissent encore le pouvoir de nuire à leur pays à défaut de l’aider à se redresser ou à réduire les inégalités qui dynamitent le mythe de l' »American way of life« .
Il faut souligner que la part de la richesse nationale captée par les 1% les plus riches –auxquels la majorité des politiciens appartiennent — est la plus démesurée jamais observée depuis… voyons… mais oui, c’est bien ça : 1929.
Pas moins de 90% de la richesse additionnelle mesurée depuis fin 2008 a été littéralement confisquée par les 1% du sommet de la pyramide… tandis que les 50% les moins fortunés se partageaient 2% de la manne déversée par la Fed.
Ce sont bien les milliers de milliards sortant de ses rotatives qui ont été habilement converties en plus-values boursières… latentes pour les futurs retraités — mais sonnantes et trébuchantes pour ceux qui ramassent la mise au fil de l’eau.
▪ Un calcul gagnant… pour certains
C’est là que la bataille pour — ou contre — Obamacare prend tout son sens. Il s’agit de distraire le public des vrais sujets d’inquiétude sociétaux comme le creusement abyssal des inégalités ou la mainmise des banques sur les grandes orientations fiscales et budgétaires.
Car une Amérique qui soustrait les plus riches à l’impôt s’enfonce dans le piège de la dette. C’est une Amérique encore plus dépendante de ceux qui la financent… et le même raisonnement vaut pour la classe moyenne qui ne parvient plus depuis longtemps à boucler ses fins de mois ou à financer des études pour la génération montante.
Le calcul est gagnant dans tous les cas de figure. Si un nouveau Lehman survenait, ce sont des dizaines de millions de citoyens vivant à crédit qui feraient pression pour que l’on « sauve le système ». Cela en plus des millions de fonctionnaires que l’Etat ne pourrait plus payer — et pas seulement pour quelques jours par mois comme ce deuxième shutdown depuis 1996.
Les républicains — toujours vent debout contre la couverture sociale pour tous — peuvent même faire valoir que les inégalités, celle que la Maison Blanche prétend réduire avec des mesures en faveur des plus pauvres, se sont creusées en seulement cinq ans de présidence de Barack Obama de façon bien plus flagrante qu’à l’issue des deux mandats de George W Bush.
Ils s’abstiennent simplement de préciser que ce sont eux qui ont mis en place la machine à creuser les inégalités sous l’administration Bush. Ce sont eux aussi qui ont torpillé toutes les tentatives visant à la réformer depuis que les démocrates sont au pouvoir. Et ils parviennent à leurs fins grâce à… Obamacare.
Eh oui : au lieu d’envoyer par le fond une bonne fois pour toute — et de façon assumée — ce projet coûteux mais populaire, ils le laissent se mettre en place pas à pas… en contrepartie de l’abandon de tout alourdissement de la fiscalité sur le capital qui constitue 90% ou plus des sources de revenus des « 1% » (auquel le candidat Mitt Romney battu aux présidentielles de novembre 2012 appartenait de longue date).
▪ Les intérêts de Wall Street
Wall Street avait tout intérêt à ce qu’aucun blocage ne survienne ce lundi, et encore moins d’ici le 17 octobre prochain. Si Obamacare était passé à la trappe ou n’avait survécu qu’au prix d’amendements qui le privent de sa substance, les adversaires d’Obama n’auraient plus eu de monnaie d’échange. La Maison Blanche aurait pu alors s’attaquer aux véritables racines du mal, c’est-à-dire le déclin des classes moyennes et la confiscation de l’argent de la Fed par une minorité de brasseurs d’argent qui jonglent avec les paradis fiscaux.
Wall Street a fait le pari qu’une telle horreur ne verra jamais le jour mais s’est abstenu par prudence de pousser les indices vers de nouveaux sommets, ce qui aurait pu être ressenti comme une véritable provocation… ou pire, un soutien implicite à Obamacare.
C’est ainsi que Wall Street a inscrit lundi soir une septième séance de baisse sur une série de huit : du jamais vu depuis au moins un an.
Tout comme vendredi, les indices américains ont entamé une lente et patiente remontée qui effaçait à mi-séance plus de la moitié des pertes initiales. Le Dow Jones s’est alourdi au cours des deux dernières heures de cotation pour lâcher au final 0,84%. De son côté, le S&P 500 a reculé de 0,58% et le Nasdaq de 0,28% seulement.
Globalement, le cycle baissier entamé il y a 10 jours a ramené la performance mensuelle de +6% à +3%. C’est une division par deux des gains qui doit être largement relativisée du fait des 21% engrangés depuis le 1er janvier, avant que ne débute la correction.
Les 18% qui restent inscrits au compteur seraient faciles à justifier si les bénéfices des entreprises cotées avaient grimpé parallèlement de 15% ou 20%… mais les profits se sont en réalité contractés de 3% à 5% au cours des six premiers mois — à l’image de ceux d’Apple. Nous faisons d’ailleurs le pari que la tendance ne s’est guère améliorée du 1er juillet au 30 septembre.
Réponse d’ici huit jours avec le coup d’envoi des résultats du troisième trimestre… S’ils s’avèrent médiocres et que le taux de chômage (dévoilé en principe ce vendredi… mais de sérieux problèmes techniques restent à surmonter) peine à se rapprocher des 7%, Wall Street gagnera son pari de voir le QE3 de la Fed prolongé ad vitam !