La Chronique Agora

Ab ova ad petroleum

** Aujourd’hui, nous commençons ab ova, comme disent les Romains — avec l’oeuf.

* Le prix des oeufs a grimpé de 30% au cours des 12 derniers mois. Pourquoi une telle augmentation ? Parce que les choses nécessaires pour produire un oeuf ont grimpé en flèche — nourriture pour les poules, chaleur, lumière, transport.

* Il en va pour la poule comme pour l’oeuf… et pour toute la chaîne des produits de consommation constituant le coût de la vie. Tout grimpe.

* Si l’on cherchait un coupable, on pourrait se tourner vers le pétrole. Il n’était qu’à 80 $ rien que l’été dernier. Hier matin, il s’échangeait à 127 $ le baril — près d’un record historique, même si on tient compte de l’inflation.

* Les économies modernes fonctionnent avec des produits pétroliers. Alors que l’or noir grimpe… il en va de même pour tout ce qui lui est lié. Mais lorsque le prix du pétrole augmente, cela met en branle tout un mécanisme d’actions et de réactions. Lorsque le prix d’un litre d’essence grimpe d’un centime, il fait basculer une petite tasse dans laquelle se trouve une bille de métal. La bille roule sur des rails, fait basculer un certain nombre de leviers et d’interrupteurs, et percute une autre bille attachée à une ficelle, qui bascule à gauche et fait tomber un verre d’eau, qui arrose un plateau de graines de lierre à germination rapide, qui envoient des pousses et des lianes venant étouffer l’appareil entier.

* Enfin… vous voyez l’idée : une chose en entraîne une autre…

* Et une chose qu’entraînent les prix élevés du pétrole, ce sont des prix élevés pour tout le reste. Cette hausse des prix entraîne à son tour une baisse de pouvoir d’achat pour le consommateur moyen, ce qui entraîne moins de ventes, ce qui entraîne moins de production, ce qui entraîne une baisse des revenus et un ralentissement de la croissance, etc.

* Cela a mis le secteur aérien dans une situation "désespérée", rapporte le New York Times. Le carburant est la principale dépense des compagnies aériennes. Quand son prix monte, les marges des compagnies baissent.

* Les derniers chiffres du secteur manufacturier montrent que les commandes d’usines déclinent depuis quatre mois consécutifs. Et USA Today rapporte que bon nombre de gens constatent une baisse de leurs revenus — de manières qui n’apparaissent pas dans les chiffres de l’emploi. Alors que les statistiques du chômage américain montrent peu de contraction, les commissions, les pourboires et même les bonus financiers baissent rapidement. Le nombre de saisies augmente encore dans tout les Etats-Unis, annonce le Wall Street Journal.

** Forbes a un mot pour tout cela : la stagflation. Bien entendu, ce n’est pas un mot très original, mais Forbes n’est pas un magazine très original [contrairement à celui que nous sommes en train de mettre sur pied… mais ça, vous le découvrirez par vous-mêmes dans quelques jours !]. Ce n’est pas non plus une situation nouvelle. La stagflation, c’est l’enfant démoniaque né de l’union contre nature entre l’inflation des prix à la consommation et la stagnation de l’économie. C’est également ce que les Etats-Unis ont enduré tout au long des années 70… la dernière fois où les prix du pétrole étaient si élevés. Le carburant a grimpé à la fin des années 70… et a atteint le prix record, ajusté aux dollars actuels, de plus de 3 $ le gallon au début des années 80. Même si l’on râle beaucoup, aujourd’hui, le carburant n’est pas beaucoup plus cher qu’à l’époque. Mais en 1981, le prix du carburant avait repris le chemin de la baisse. Durant les quatre années qui suivirent, il fut divisé par deux… et resta modéré jusqu’à ce que George W. Bush envahisse l’Irak.

* Profitons-nous d’une rediffusion du spectacle des années 70 ? Est-il temps de ressortir les boules à facettes et les chemises à col pelle-à-tarte ? Faut-il repeindre la maison en orange et beige seventies ? Est-ce que tout cela ne va pas simplement se dissiper — comme dans les années 70 ?

* George Soros affirme que la bulle des prix des matières premières va éclater. Nous le croyons. Peut-on cesser de s’inquiéter de la hausse des prix du pétrole et de l’inflation ?

* Pas si vite, répond Paul Krugman. On n’est pas dans les années 70 parce qu’on n’a pas la même sorte d’inflation, souligne-t-il. A la fin des années 70, tout le monde était certain que les prix continueraient à grimper. En mai 1981, le syndicat United Mineworkers Union réussit à négocier une augmentation de salaire de 33%, répartie sur trois ans. Les mineurs pensaient avoir besoin de cette augmentation pour compenser la hausse du coût de la vie. Et les propriétaires des mines pensaient pouvoir se le permettre — parce que le prix du charbon grimpait depuis de très nombreuses années. Ils avaient tous tort.

* Mais c’était une inflation poussant les salaires, maintient Krugman, très différente de ce qu’on a aujourd’hui.

* Oui, il a raison. C’est une sorte d’inflation différente… une sorte de stagflation différente… et nous prédisons que toute cette histoire aura une sorte de fin différente.

* Comment se terminera-t-elle ?

* Eh bien, nous nous répétons : ce qui a fini par retourner la situation à la fin des années 70, c’est un changement de régime à la Fed… la pire récession depuis les années 30… et un coup de balai financier qui mit à bas tant le marché obligataire que le marché actions, effaçant plus de la moitié de la valeur de chacun.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile