La Chronique Agora

A 48 heures de Thanksgiving, les CDO déjà rôtis comme des dindes !

** En début de séance, lundi, nous étions plutôt satisfait de la tournure que prenaient les évènements. Comme nous l’espérions dès vendredi, le marché parisien affichait rapidement un gain de 0,7% (le CAC 40 refranchissant les 5 560 points), l’Euro Stoxx 50 revenant au contact des 5 300 points tandis que les scores des marchés asiatiques se partageaient entre 1,25% à Singapour, -0,75% à Tokyo et -0,9% à Shanghai.

Un scénario positif bien classique se mettait en place à 48 heures de la grand-messe consumériste de Thanksgiving, alors que les investisseurs américains devaient logiquement se préoccuper d’employer quelques excès de liquidités en cette première séance de l’échéance décembre — placée sous le signe favorable du window-dressing.

En ce qui concerne la France, les grèves des transports lui ont permis de pulvériser la barre des 550 kilomètres de bouchons cumulés vers 8h30! Imaginez une file ininterrompue de véhicules partant de Notre-Dame, longeant le Parc EuroDisney avant de traverser la Champagne, puis la Lorraine, puis les Vosges, qui redescend en serpentant à travers le vignoble alsacien jusqu’à Strasbourg. Il y avait de quoi envisager la journée avec bonne humeur…

** Le calendrier des chiffres macro-économiques inscrivait relâche aux Etats-Unis, à l’exception de l’indice NAHB (sentiment des constructeurs de maisons individuelles) publié par la banque Wells Fargo, en fin de journée. La déprime a continué de régner dans le secteur immobilier au mois d’octobre. Mais le tableau n’est pas pire qu’au mois de septembre.

Wall Street n’avait pas attendu que paraisse cette étude pour partir en vrille. Les premières transactions en pré-ouverture — c’est-à-dire en milieu de matinée en Europe — avaient rapidement donné le ton. Le rebond de vendredi (0,5%) n’allait pas connaître de prolongement technique. Quant aux gains accumulés juste avant le week-end à l’issue d’une séance des « Trois sorcières » moins funeste que prévu, ils risquaient de s’évanouir dès les premiers échanges.

Les indices américains avaient effectivement très mal entamé la séance, dans le sillage des valeurs bancaires. La proximité de supports moyen terme pouvait cependant inciter les vendeurs à la prudence. Il n’en a rien été et notre optimisme initial a vite cédé la place à un examen fébrile des supports susceptibles de voler en éclat parmi les vedettes du CAC 40.

Il y eut rapidement urgence sur des titres comme Peugeot, Alstom, Unibail-Rodamco et une longue liste de valeurs déjà très éprouvée la semaine passée comme Rodriguez, Sodexho, Steria, Soitec, CGG Veritas. Il flottait en fin de séance comme un petit air de vent de panique…

Le CAC 40 a plongé de 1,65%, pulvérisant le support court terme des 5 490 points. L’Eurotop 100, lui, chutait en piqué (1,9%) sous les 3 100 points, pour en terminer au plus bas du jour à 3 080 points, un niveau plus jamais approché depuis la mi-août.

Les scores de -1,8% pour le SBF 120 et -2,7% pour les valeurs du SBF 80 témoignaient de la poursuite des dégagements sur les valeurs moyennes qui enfoncent leurs planchers estivaux.

Le coup de tabac sur les indices américains à mi-séance (le Dow Jones cédait 1,5%, le S&P 500 ou le Nasdaq Composite 1,75%) relevait d’un mouvement spontané, en l’absence d’indicateurs macro-économiques. Ce sont des recommandations d’analystes qui ont plombé les marchés… à commencer par des études négatives de Goldman Sachs sur Citigroup (-5%) et le secteur automobile (Peugeot décrochait de -4,25%, Michelin de -4,75% et General Motors de -6,1%).

** Aux Etats-Unis comme en Europe, c’est le secteur financier qui a payé le plus lourd tribut au retournement de tendance survenu dès le milieu de matinée. Les investisseurs redoutent que les banques annoncent une cascade de nouvelles provisions au cours des prochaines semaines — ce qui fut déjà la cause du trou d’air survenu jeudi. Ces craintes sont aggravées par les rumeurs de faillite du spécialiste du crédit hypothécaire Novastar, le numéro un du secteur, Fannie Mae plongeant de 10%.

C’est en effet jeudi dernier qu’entrait en vigueur une nouvelle loi concernant la valorisation comptable des actifs aux Etats-Unis.

Cette nouvelle loi stipule que les banques américaines — et toutes les entreprises cotées en général —  devront indiquer dans leurs bilans, au quatrième trimestre 2007, la valeur réelle de leurs réserves, participations, portefeuilles obligataires, patrimoine immobilier, etc…. au prix marché et non plus la valeur théorique à terme ou le coût d’acquisition. C’était trop facile !

Les engagements hors bilan devront également être réintégrés afin d’offrir plus de transparence. Adieu les aires de stockage temporaire des créances douteuses et les pertes dissimulées par le biais de transactions de gré à gré qui repoussent les échéances !

Autrement dit, il y avait bien le feu, jeudi dernier, dans le compartiment des produits structurés, en particulier les CDO adossés aux cartes de crédit américaines et britanniques. Avant de perdre sa maison, l’emprunteur pris à la gorge préfère lâcher sa télé grand écran, sa cuisine top design et son 4×4 qui lui coûte deux fois plus cher en carburant qu’il y a 18 mois !

** Pourquoi la Fed fournit-elle à qui en fait la demande des liquidités en masse depuis 15 jours ? Tout simplement parce qu’il est devenu impossible de retrouver du cash sur l’interbancaire et que les détenteurs de créances titrisées n’ont plus que le recours à l’emprunt pur et simple pour continuer d’assurer le portage des junk bonds en attendant des jours meilleurs, avec des portefeuilles qui ne valent plus que 15% de leur valeur initiale !

Bref, les banques américaines sont aux abois. Non seulement il n’y a plus de marché dans le secteur des crédits hypothécaires à taux variable depuis le milieu de l’été… mais en plus, le crédit à la consommation se met à son tour à partir en vrille (en termes de notation).

** Les spécialistes des crédits de type « Granit » (hypothécaires à taux révisables) en Angleterre et en Espagne — ce sont les banques britannique qui ont investi massivement sur la Costa del Sol et à Marbella — s’attendent également à un scénario catastrophe si la Bank of England ne généralise pas le principe du sauvetage inconditionnel des intermédiaires ayant opté pour une structure de refinancement comparable à Northern Rock. Cette structure reposait sur la demande de trésoriers et de riches institutionnels étrangers… c’est-à-dire sur l’appétit pour le risque et le postulat qu’il existerait toujours un marché pour des produits à haut rendement, même en cas de sinistre sur certains segments d’émissions subprime.

Les Chinois quant à eux n’ont pour l’instant revendu qu’une fraction infime de leurs positions, et pour cause… il n’y a plus d’acheteurs en face d’eux ! Chaque fois qu’une embellie se produira, nous pouvons compter sur eux pour servir le marché. A moins que l’Amérique ne mette sur pied un gigantesque fond d’intervention, bénéficiant d’un abondement no limit, par le biais de la création de nouvelles dettes fédérales long terme dont l’objet serait de racheter au prix fort 300 milliards de prêts  subprime et autres créances en déshérence. Une somme presque dérisoire en regard des 1 600 milliards de dollars du coût de la guerre contre le terrorisme depuis septembre 2001, selon les estimations prudentes des députés démocrates du Congrès américain…

Philippe Béchade
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile