La Chronique Agora

2012, Odyssée de la crise… Première partie

** Nous évoquions le 28 mai 2009 un article de synthèse économique concernant le Japon rédigé au printemps 1992. Nous ne pouvions donc vous priver de la lecture d’un article paru dans un quotidien japonais le 31 mai 2012 : il revient sur les événements décisifs qui se sont déroulés durant l’été 2009 et qui ont conduit à la situation que nous connaissons, à trois mois des élections américaines qui s’annoncent très indécises.

Wall Street n’a guère été surpris par la confirmation du désistement de Barack Obama (il avait prévenu qu’un échec économique le ferait renoncer à briguer un second mandat) en faveur de la juge suprême Sonia Sotomayor, d’origine latino. Elle avait été nommée trois ans auparavant pour rééquilibrer, en faveur des femmes et dans un esprit moins "conservateur", le collège des plus hautes instances judiciaires du pays.

Un choix judicieux : cette Portoricaine d’origine va pouvoir rassembler le maximum de voix dans la communauté hispanique dont le poids démographique s’est considérablement accru aux Etats-Unis ces deux dernières décennies.

Elle séduira également, par ses facultés d’empathie, un électorat traumatisé par la Grande crise et devenu encore plus "centriste" après la faillite complète de l’ultralibéralisme et le scandale des junk bonds (sur lequel nous reviendrons ultérieurement).

** L’acte de décès du système financier dérégulé fut scellé avec la nationalisation de Morgan Stanley, de Citigroup et de Bank of America en janvier 2010. Goldman Sachs s’était tiré d’affaire en concluant une joint-venture avec la plus ambitieuse des banques d’un ex-pays communiste, la star chinoise Shanghai Imperial Trust — celle-là même qui avait dévoré, à l’issue d’une bataille juridique homérique, le groupe HSBC menacé de démantèlement six mois auparavant.

Il nous faut bien entendu revenir sur le scénario assez sensationnel qui s’est déroulé durant la période s’étendant d’octobre 2008 (faillite de Lehman) au début du mois d’avril 2010. Après la lourde correction boursière de l’été 2009 (-25%), sitôt bouclé le programme de recapitalisation des neuf banques ayant échoué au stress test, ce fut au tour des marchés obligataires de s’effondrer. La cause en fut le second échec d’une émission de T-Bonds à 30 ans programmée fin septembre et destinée à refinancer les géants des prêts hypothécaires Freddie Mac et Fannie Mae.

Avec nos trois ans de recul, il nous facile d’affirmer aujourd’hui que le Trésor américain aurait dû y renoncer après la chaude alerte du mois de juin. A cette époque, la Fed, qui écoulait sans trop de difficulté des émissions de maturité courte (entre deux ans et sept ans), s’était heurtée à une grosse vague d’abstention lors de l’enchère concernant 36 milliards de dollars de T-Bonds à 10 ans, malgré un taux de rendement implicite flirtant avec les 4% (contre 2,5% trois mois auparavant).

Le placement dès le lendemain de 54 milliards de dollars de T-Bonds de maturité 2039 s’annonçait mal (les taux évoluant largement au-dessus des 5%) ; la Fed a très vite réalisé qu’il lui faudrait largement entamer le reliquat de 100 milliards de son fonds d’intervention (de 300 milliards de dollars à l’origine) pour éviter que la presse financière ne fasse ses gros titres avec un fiasco que de nombreux spécialistes du marché obligataire américain pressentaient depuis le mois de mai.

Le creusement des écarts de rendement entre les bons du Trésor et les émissions privées (de dette titrisée) les avait alertés sur le risque de défiance des investisseurs non résidents en prévision d’un second choc majeur dans le secteur des prêts immobiliers.

La multiplication des défauts de remboursement sur les emprunts de type Alt-A (dont l’encours représentait plus de deux fois celui des subprime de sinistre mémoire) augurait d’une nouvelle vague de dépréciations massive de dérivés de crédit adossés à des créances douteuses.

La poursuite de la chute du prix des maisons (-15% à -20% selon les régions) dont la valeur médiane avait chuté d’un bon tiers en l’espace de 18 mois, ainsi que des invendus représentant plus de 10 mois de stock, rendaient une telle issue pratiquement inéluctable.

** Les belles promesses de Bank of America, de Citigroup ou de Morgan Stanley de rembourser avant fin 2009 les sommes empruntées au TARP (c’est-à-dire aux contribuables américains) ont volé en éclats. Comment auraient-elles pu tenir face à la dégradation météorique des bilans et l’impossibilité de revendre sur le marché les actifs décotés qui avaient été jugés négociables lors du stress test orchestré par Tim Geithner au lendemain de sa prise de fonction comme éphémère secrétaire au Trésor US.

Il sera "démissionné" moins de neuf mois après sa nomination, accusé d’avoir cédé à la pression de conseillers travaillant pour le compte d’une grande banque d’affaire — toujours très influente à la Maison Blanche et auprès de la Fed. Ils lui imposaient de mettre en place le même type de procédure que celui adopté pour le sauvetage de General Motors au mois de juin 2009.

Scission de neuf des plus grandes banques avec d’un côté les activités de réseau, d’animation du marché primaire (des émissions obligataires), de gestion d’actif (épargne individuelle ou d’entreprises, retraites, budget des collectivités locales) — et de l’autre, la division "banque d’investissement" (qui n’avait plus rien à investir), ainsi que le département "produits structurés" chargé d’éliminer au fil des ans des centaines de milliards de créances en déshérence.

Cela impliquait la création d’un nouveau fonds adossé à de l’argent public, qui garantissait un rachat à une valeur minimale (restant à déterminer à l’époque) en vue d’une cession à des spécialistes des produits obligataires à haut rendement, mieux connus sous l’appellation de junk bonds.

Et c’est là que le scandale a éclaté… comme nous le verrons dès lundi.

Philippe Béchade,
Paris

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