La Chronique Agora

2010… l’année des tripes à la mode de Caen

 

▪ Les commentaires, de Wall Street à Chicago (marchés obligataires), affichaient unanimement la même teneur vendredi dernier après la publication des chiffres du chômage aux Etats-Unis : « la reprise s’avère lente et incertaine ».

L’embellie du mois de novembre fait long feu, l’économie américaine continue de détruire des emplois. Qu’à cela ne tienne, la place de Wall Street s’est de nouveau envolée au cours du dernier quart d’heure, tout comme lors des trois séances précédentes !

Les chiffres économiques s’enchaînent et les déceptions succèdent aux déceptions, et ce sur le front de l’immobilier, de l’emploi… et du crédit à la consommation. Ce dernier chute dans des proportions jamais observées depuis 1943 : il enregistre -17,5 milliards de dollars en novembre, soit -8,5% en rythme annuel, un comble en pleine période consumériste de Thanksgiving.

Autant d’indicateurs qui confirment le scénario d’un redressement laborieux de la croissance américaine… C’est au fond la meilleure nouvelle possible pour Wall Street, qui ne jure que par la perspective du maintien des taux par la Fed au niveau zéro.

Les places européennes (+0,5% à Paris) ont une fois de plus servi de précurseur à l’évolution des indices américains. Après avoir fait la grimace avec les destructions d’emplois (-85 000) plus nombreuses que prévues, les places américaines ont retrouvé le sourire dès la mi-séance avec un Nasdaq en hausse de 0,75% et un S&P qui pulvérise un nouveau record annuel à 1 145 points.

L’accélération haussière du dernier quart d’heure est devenue un scénario récurrent et complètement répétitif depuis fin décembre. Mais ceux qui veillent depuis six mois à ce que l’issue de la séance soit inexorablement positive (trois fois sur quatre ces six derniers mois… un ratio historique et quasi surréaliste) y sont allés très fort ce vendredi. On a assisté à une envolée de 50 points du Dow Jones jusque vers 10 618 — et ce sans aucun lien avec la moindre nouvelle favorable identifiable — au cours des 20 dernières minutes.

▪ Le but, qui était de faire inscrire une série de nouveaux records, est largement atteint. Mais où s’arrête le discret soutien aux indices et où commence la manipulation pure et simple des cours, au profit de quelques initiés qui sont les seuls à pouvoir tirer le meilleur parti de tels mouvements totalement déconnectés de l’actualité ?

Comme ce genre d’aubaine réjouit une majorité de commentateurs, à défaut de susciter un réel travail d’investigation, les explications apparemment les plus fumeuses font l’affaire. Puisque les chiffres sont mauvais, il faut se placer dans l’optique d’un nouveau plan de relance (quitte à creuser encore plus profondément les déficits). Plus les nouvelles sont négatives, plus il faut espérer du positif de la part de la Fed et de la Maison Blanche : nous pensions ce raisonnement trop simpliste.

Nous avions tort !

Christina Romer, présidente du Conseil des conseillers économiques de la Maison Blanche, déclarait ce dimanche : « le gouvernement va prendre des mesures immédiates pour faire redémarrer la création d’emplois, la priorité n’est pas la stabilisation du déficit budgétaire lorsque le taux de chômage est à 10% ».

Avec de telles déclarations, la hausse des marchés peut effectivement tendre vers le mouvement perpétuel… C’est ce qu’illustrait vendredi à merveille la treizième hausse du S&P sur une série de 14 séances — un record qui remonte à 2006 !

Les chiffres de l’emploi ne revêtent plus alors qu’une importance anecdotique, presque abstraite. Le nombre d’heures travaillées aux Etats Unis est inchangé à 32,2… de même que le taux de chômage, stable à 10% tout rond.

L’autre baromètre du chômage — incluant les salariés à temps très partiel (quelques heures de travail sous-qualifié par mois) et les demandeurs d’emplois « marginalisés » (aucune réponse favorable aux demandes ni aucune embauche en 18 mois) — affiche en revanche une nouvelle progression à 17,3% contre 17,2%. Le taux d’emploi global de la population chute à 58,2% contre 58,5% le mois dernier — c’est le pire score depuis 1945.

Ce sont au total 4,2 millions d’emplois au total qui ont été détruits aux Etats-Unis en 2009 et 7,3 millions depuis décembre 2007. Mais pas de quoi gâter l’humeur de Wall Street puisque c’est « de moins en moins pire »… y compris dans le secteur immobilier.

▪ Partant d’un tel état d’esprit, il suffirait que la conjoncture redevienne seulement médiocre (au lieu de ressembler à une récession à la japonaise)… que le prix des logements se stabilise 25% en deçà des plus hauts historiques… que Washington sponsorise quelques milliers d’emplois supplémentaires aux frais des contribuables… pour que le Dow Jones retrouve ses sommets historiques d’octobre 2007.

Tout le monde oublie bien volontiers que les cours étaient surévalués de 20% à 25% à l’époque, alors que la croissance économique américaine semblait ne jamais devoir ralentir en deçà de 3%. Cela ne réjouit personne de se remémorer les tragiques erreurs de notation des agences ou les milliers d’études  haussières d’analystes qui validaient un Dow Jones à 15 000 points et un Nasdaq à 3 000 points avant le 1er janvier 2008.

Les krachs de 2000 et 2008 constituèrent la sanction d’une inefficience des marchés, d’une incapacité à évaluer le risque, de la fascination des investisseurs pour les bulles et d’un acharnement des médias à justifier des cours idiots.

Wall Street a bien compris la leçon. Aujourd’hui, l’économie va nettement moins bien mais les actions se payent déjà beaucoup plus cher qu’elles n’ont jamais valu dans de telles conditions. Et la justification est imparable : quel autre type de placement pourrait vous permettre d’engranger entre 65% et 80% de gains en neuf mois ?

Si les tripes à la mode de Caen avaient vu leur cote progresser de 90% depuis mars 2009, toutes les études valideraient un scénario haussier sur cette recette alimentaire incontournable, désormais recommandée par l’élite des nutritionnistes et appelée à être stockée par boîtes de 12 kg par les gastronomes du monde entier — qui se garderont bien de les consommer car les stocks devraient prendre une valeur considérable en 2010… et ce ne sera rien en comparaison de 2011.

Nous ajouterons que même après un gain de 60% en 2009, les tripes à la mode de Caen ont encore une marge de progression considérable par rapport au foie gras truffé — encore très en vogue en décembre 2007, avant que son cours ne s’effondre suite au scandale de corruption des guides gastronomiques qui notaient AAA+ des « produits du terroir » ne contenant que du champignon noir d’origine chinoise et un mélange de foies de volailles de nature indéterminée, ne valant qu’une poignée d’euros au quintal.

Nous vous proposons donc ce slogan : la tripe ne vaut rien, mais rien ne vaut la tripe !

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