La Chronique Agora

2008 n’était pas la fin de la crise financière…

▪ Si les marchés actions ont peur, ils le cachent bien. La fin du QE a été annoncée mercredi dernier. Le lendemain, le Dow reprenait 221 points.

Ce sont là de bonnes nouvelles pour Janet Yellen et les autres. Elle doit penser qu’elle s’en est tirée à bon compte. Elle a pu fuir les lieux du plus grand cambriolage de l’histoire sans que les flics se pointent. Ils ne sont même pas au courant qu’un crime a été commis !

Ce cambriolage — le plus important de l’histoire — concernait 3 600 milliards de dollars — tous contrefaits jusqu’au dernier. Aucun n’a jamais été honnêtement épargné ou gagné… ni extrait du sol et transformé en pièces.

Non, on parle là du casse du siècle… commis en plein jour… avec des millions de témoins… Et pourtant, personne ou presque n’a compris ce qui se passait.

Nous commençons par demander : combien de téléviseurs, d’appartements de luxe, de dîners aux chandelles et de places de parking y a-t-il ?

Réponse : nous n’en avons pas la moindre idée. Mais ce n’est pas un chiffre infini. Et chacun d’entre eux a un prix. Qui les achète ? La personne qui a l’argent.

Suivez l’argent — vous découvrirez ce qui s’est passé

Question suivante : qui a l’argent ? Nous ne le savons pas non plus… mais 3 600 milliards de dollars ont été fabriqués ces cinq dernières années… et tous sans exception ont atterri dans les poches de quelqu’un. Suivez l’argent — vous découvrirez ce qui s’est passé.

▪ Un peu de lecture…
Sur notre bureau se trouvent deux excellents livres. L’un est The Great Deformation ["La Grande déformation", ndlr.], de David Stockman. L’autre est Easy Money ["Argent facile", ndlr.] de Vivek Kaul. Tous deux décrivent le même phénomène, mais de points de vue différents.

Stockman était présent lors de la création, en quelque sorte. Il était directeur du Budget pour Ronald Reagan lorsque le parti républicain a déraillé — choisissant de filer vers les déficits et l’activisme. Stockman s’est battu pour enrayer le processus… se heurtant à Dick Cheney et aux néo-conservateurs… et a perdu. Il a écrit un livre sur ce naufrage, The Triumph of Politics ["Le Triomphe de la politique", ndlr.]. Le titre est révélateur. La politique l’a emporté sur les principes budgétaires sains. "Les déficits n’ont aucune importance", a déclaré Cheney. Ce qui signifie que la dette n’a aucune importance. Et si la dette n’a aucune importance… dans quel monde vivons-nous ? Pourtant, à partir de ce moment-là, aucun gouvernement — qu’il soit républicain ou démocrate — ne s’est opposé à la grande bulle du crédit.

Stockman s’est vite retrouvé à la porte du Capitole. Il est allé à Wall Street, où il a assisté en direct à l’autre côté de la Grande déformation. Avec une quantité quasi-illimitée de crédit à sa disposition, l’industrie financière a vite relevé le défi. Elle a refourgué de la dette à tout le monde — les gouvernements, les entreprises et les ménages. Les Américains ont mordu à l’hameçon… dépensant en moyenne 1 000 milliards de dollars de plus qu’ils ne gagnaient tous les ans, depuis la première entrée en fonction de Ronald Reagan jusqu’en 2014. Leur style de vie — et les revenus de Wall Street — sont venus à en dépendre. De10% environ des revenus totaux des entreprises dans les années 60 et 70, la part de la finance est grimpée à 40% en 2007. Les bonus ont atteint plusieurs millions de dollars…

Stockman connaît l’histoire sur le bout des doigts. Il l’a vécue. Il la raconte en détails dans son livre… mais nous y reviendrons.

▪ Une autre manière de voir les choses
Passons à Kaul. Nous l’avons rencontré en Inde ; c’est un auteur profondément cultivé, avec une vision incisive de l’économie politique. Dans son livre, il attribue généreusement à notre visite le fait de lui avoir "ouvert un nouveau monde". Ce qui en dit plus sur le monde que sur notre capacité à l’ouvrir. Kaul — un commentateur cultivé et intelligent pour les plus grands journaux économiques d’Inde — n’était pas conscient qu’il y avait un autre moyen de comprendre ce qui se passait.

Les autorités financières — dans quasiment toutes les grandes économies à part l’Allemagne — sont soit idiotes soit malhonnêtes, et probablement les deux

Nous tenons pour acquis que les autorités financières — dans quasiment toutes les grandes économies à part l’Allemagne — sont soit idiotes soit malhonnêtes, et probablement les deux. Nous observons… tâtons… et retournons leurs travaux depuis 15 ans. La plupart des gens n’ont en fait aucune idée de la manière dont les choses fonctionnent. Pourquoi le devraient-ils ? Les politiques monétaires des banques centrales sont aussi mystérieuses que l’immaculée conception ou la formule chimique exacte du pâté de foie, pour autant qu’ils en sachent.

Kaul prend plus de recul pour envisager la situation. Les autorités — celles des Etats-Unis en tête — ont créé une bulle immense, avec une dette mondiale totale dépassant désormais les 100 000 milliards de dollars. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Il s’est passé plus de 30 ans avant que le gouvernement fédéral américain commence à enregistrer des déficits année après année. Près de 50 ans avant que le dollar se sépare de son ancre d’or, laissant le monde entier flottant sur une mer de papier monnaie. Et 65 ans depuis le sommet du dernier marché haussier obligataire.

Ces tendances — si longues, si profondes et si répandues — ont convaincu la majeure partie de la planète que notre monde financier est "normal". Les gens vont être très surpris lorsqu’ils réaliseront à quel point il est en réalité étrange et transitoire.

"Divers experts ont trouvé diverses raisons à la crise financière [de 2008-2009]", écrit Vivek. "Certains pensent que la crise a été causée par l’avidité de l’industrie financière. Mais la question est alors : y a-t-il eu un moment où l’industrie financière ne s’est pas montrée avide ? Etant donné cela, pourquoi des crises financières ne se produisent pas tout le temps ?"

Elles ne se produisent pas tout le temps parce que jamais encore, de toute l’histoire de l’humanité, les finances du monde entier n’ont été si déformées par la dette. La dette, c’est ce que l’industrie financière vendait. La dette, c’est ce que les politiques voulaient. Et la dette, c’est la manière dont les élites ont transféré la richesse du public vers elles-mêmes. Janet Yellen et al. ont transféré 3 600 milliards de dollars du public (sinon du public, d’où pouvait provenir cet argent ?) vers l’establishment. L’élite est plus riche. Le public est plus pauvre. Et on dirait que Mme Yellen va s’en tirer sans encombre.

Mais la crise de 2008-2009 n’était pas la fin de la bulle de dette. Ce n’était que le début.

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